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CAS CLINIQUE
Lors de la phase d’agonie d’un malade, les infirmières accompagnent également ses proches. Ces relations avec l’entourage peuvent être difficiles, surtout si le professionnel n’est pas préparé à ce genre de situation et à l’agressivité qu’elle peut générer.
Dans leur ouvrage Soins palliatifs, éthique et fin de vie, Régis Aubry et Marie-Claude Daydé soulignent que « généralement, la famille passe par des étapes similaires à celles vécues par la personne qui va mourir », en particulier « le déni de la mort, la peur de la séparation, le travail de deuil ». Ils précisent qu’au sein d’une même famille, chacun réagit différemment, en fonction de sa personnalité, de son vécu, de son lien à la personne qui va mourir, de ses capacités du moment et de sa propre histoire. Ainsi, dans la situation de Monsieur M., si sa femme et son fils semblent avoir accepté l’idée que leur époux et père va mourir et qu’il faut collaborer avec l’équipe soignante pour que tout se passe selon ses volontés, la fille de Monsieur M. se situe encore dans le déni de la mort prochaine de son père. L’équipe adaptera donc ses propositions d’accompagnement à son attitude. Il ne suffit pas qu’une personne ait reçu et compris l’information concernant la mort de son parent pour qu’elle l’accepte. Il peut y avoir un écart entre le niveau de compréhension intellectuelle et le vécu émotionnel, qui entraîne parfois des réactions de déni, d’agressivité, de refus. Elles doivent être considérées comme normales par les soignants.
D’après Marie-Sylvie Richard, responsable de la Maison médicale Jeanne-Garnier, à Paris, l’état psychologique et la réaction des membres de l’entourage dans cette phase d’accompagnement est extrêmement variable. Les relations souvent difficiles avec les familles sont facteur de stress pour les soignants, qui s’en plaignent. Selon une enquête menée au sein du service du Dr Richard, les relations entre l’équipe et les familles sont conflictuelles dans environ 50 % des cas. Ces conflits sont dus à la culpabilité des familles, en particulier lorsque l’état du patient ne leur permet plus de le soigner au domicile, à leur propre souffrance face à la séparation à venir, à la détérioration de l’image corporelle et parfois aussi relationnelle de leur parent, à la peur que les souhaits du patient ne soient pas respectés ou encore à la crainte de ne pas être consultés lors des prises de décision. Pour le docteur Richard, les relations conflictuelles sont aggravées par l’épuisement, les inquiétudes concernant leur devenir après le décès de leur parent et leur ambivalence, en particulier lorsque la phase terminale dure et que les familles souhaitent que cela s’arrête tout en voulant prolonger la vie du malade.
Pour accompagner les proches, les soignants ont besoin d’identifier leurs attentes et leurs besoins. Parmi ceux-ci, on peut citer :
→ Le besoin d’information et d’échange : les membres de la famille doivent être informés de l’évolution de la maladie et de l’état de leur proche. Cela leur permet aussi de donner leur avis sur les choix thérapeutiques lorsque les médecins les sollicitent, par exemple en cas de décision d’arrêt de traitement. L’équipe soignante peut également informer sur le moment de la mort, répondre aux questions que les proches se posent à ce sujet tout en n’osant pas les formuler, faire le point sur les démarches à effectuer. Ce sujet est souvent évité alors que l’expérience montre que, quand il est abordé avec les familles, l’anxiété diminue et l’entourage peut se concentrer sur le moment présent. Les soignants doivent apprendre à parler de ces moments avec simplicité, expliquer comment les choses peuvent se passer, aborder les souhaits et attentes de la famille en matière de respect des rites (voir p. 53). Ils peuvent évoquer la présence d’un représentant du culte et d’autres personnes proches du malade. Savoir que l’équipe sera présente à chacune de ces étapes si la famille le souhaite apporte le plus souvent un grand soulagement.
→ La teneur de ces échanges, qui constituent un soin à part entière, est consignée dans le dossier du patient. Cela permet à l’ensemble des soignants de savoir ce qui a été évoqué, de le reprendre ou de le compléter si nécessaire. L’entourage peut en effet demander des informations qui lui ont déjà été fournies, surtout lorsque l’échange a eu lieu à un moment chargé en émotions. Le décalage entre ce que le soignant a dit et ce que le membre de la famille a entendu, compris, retenu est souvent important, ce qui est source de conflit. Les informations doivent donc être reprises aussi souvent que nécessaire, sans jugement de la part des soignants. Dans cette phase complexe, l’utilisation des techniques de communication, en particulier la reformulation, est très utile.
→ Le besoin d’écoute des familles est important. Les soignants peuvent leur permettre d’exprimer leurs émotions (tristesse, colère, rancœur, etc.), leurs incompréhensions, le sentiment d’injustice, les inquiétudes concernant l’avenir. Les proches peuvent aussi avoir besoin d’évoquer des souvenirs partagés avec le malade, la façon dont il se comportait, qui il était avant la maladie ou l’accident. Cela n’appelle pas obligatoirement de réponse de la part des soignants, mais essentiellement une qualité de présence et d’écoute, c’est-à-dire un intérêt sincère.
→ La présence : selon les situations, les proches souhaitent passer du temps avec la personne en fin de vie ou, au contraire, vivent difficilement ce temps d’attente et sont dans l’incapacité d’être présents auprès du malade. Dans tous les cas, les soignants doivent faciliter cette présence, même en dehors des horaires habituels de visite. Lorsque l’entourage est absent, le soignant veillera à ne pas porter de jugement, y compris si cela ne correspond pas à ses propres valeurs.
→ Le répit : lorsque la phase d’agonie est longue, les proches ont besoin de répit. Or celui-ci est difficile à obtenir tant l’incertitude peut être grande, selon la fragilité du malade. Pour qu’un proche puisse se reposer ou s’occuper des autres membres du foyer (les enfants en bas âge par exemple), l’équipe doit accepter qu’il soit relayé, s’assurer que le malade ne sera pas laissé seul s’il n’existe pas de relais, garantir que la personne qui a besoin de se reposer sera contactée si l’état du malade s’aggrave.
→ Le respect des choix du malade : si le patient a émis des souhaits ou écrit des directives anticipées, la famille a à cœur que ceux-ci soient respectés.
→ Être accompagné pour trouver un sens à l’épreuve vécue : chaque confrontation à la mort d’un proche permet à l’être humain de faire évoluer sa propre perception de cette étape ultime de la vie. Sauf exception, les individus sont confrontés à la perte de leurs proches de plus en plus tardivement, alors qu’autrefois, la mort était constamment présente dès le plus jeune âge. Lors du décès d’un proche, chacun a donc besoin de donner un sens à cette disparition. Si certaines situations peuvent paraître plus logiques que d’autres (on ne donne pas la même signification à la mort d’une personne très âgée qu’à celle d’un enfant de 3 ans), chacune peut interpeller sur le sens de la vie, sur ses valeurs, ses priorités. Les soignants sont souvent témoins de ces questionnements.
→ La réponse à des besoins physiques : lors de cette période chargée en émotions, parfois très fortes, la famille peut avoir besoin du soignant pour gérer un malaise, une crise douloureuse ou d’anxiété. Proposer un verre d’eau, une boisson chaude, du repos ou la possibilité de s’isoler sont des moyens simples et efficaces.
En résumé, l’accompagnement des familles et de l’entourage du patient en fin de vie en milieu hospitalier a considérablement évolué au cours des quinze dernières années. Si les réponses demeurent encore très disparates selon les lieux et les personnes, quel que soit le service dans lequel est accueilli le patient, ce travail incombe au personnel soignant.
Cette mission doit être reconnue comme des soins à part entière. Elle requiert des compétences spécifiques qui nécessitent une formation technique et relationnelle.