L'infirmière Magazine n° 354 du 01/11/2014

 

35 HEURES

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CAROLINE COQ-CHODORGE  

Les hôpitaux cherchent à renégocier leurs accords pour revenir sur certains avantages (repos supplémentaires, temps de repas), provoquant la colère des syndicats. De son côté, la FHF demande le plafonnement des RTT à 15 jours.

Un compromis est-il possible entre des points de vue aussi divergents ? D’un côté, les syndicats : « Les établissements sont en train de remettre en cause les accords sur le temps de travail conclus au moment du passage aux 35 heures. Ceux qui ne l’ont pas déjà fait le feront bientôt. L’objectif est, à chaque fois, de remettre en cause les RTT. Nous défendons nos acquis sociaux, notre quotidien et la qualité des soins », explique Ghislaine Raouafi, secrétaire fédérale de la CGT Santé et action sociale. De l’autre, les directions d’établissement : « Les accords de 2002 ont figé les organisations du temps de travail, estime Marie Houssel, adjointe au pôle ressources humaines de la Fédération hospitalière de France (FHF). Les révisions sont aujourd’hui difficiles, notamment parce que la mise en place des 35 heures a pu être comprise comme la création de jours de congés supplémentaires. Est-ce que les agents y ont gagné un meilleur équilibre vie professionnelle-vie privée ? Ce n’est pas certain, car les 35 heures ont mis sous tension les organisations : les agents font des heures supplémentaires, sont parfois rappelés sur les jours de congés. Ni l’absentéisme ni la pénibilité n’ont baissé. »

Voilà, en substance, la teneur des échanges qui animent les CHSCT (1) des établissements de santé lorsqu’ils abordent l’épineux problème du temps de travail. Ces renégociations donnent lieu à des conflits majeurs. La remise en cause des acquis sociaux est ainsi au cœur du mouvement « Convergence des hôpitaux en lutte contre l’hôstérité », animé par les syndicats SUD et CGT, qui multiplie les manifestations locales ou nationales, comme celle du 23 septembre dernier devant le ministère de la Santé, à Paris. Le contexte est en effet sensible : les hôpitaux doivent dégager, d’ici à 2017, 5 milliards d’euros d’économies sans diminuer la qualité des soins.

Entre 0 et 20 RTT par an

La FHF a mis les pieds dans le plat, le 18 septembre, lors d’une audition de la commission d’enquête de l’Assemblée nationale sur l’impact de la réduction du temps de travail. Le président de la fédération, Frédéric Valletoux, a présenté les résultats d’une enquête sur le temps de travail menée cet été auprès de 152 établissements de santé, qui réunissent 30 % des effectifs de la fonction publique hospitalière. Elle montre « une très grande diversité » de situations : le nombre de RTT accordées aux salariés varie, ainsi, de « 0 à plus de 20 par an », selon Frédéric Valletoux. Pas toujours prises, ces journées de récupération alimentent des comptes épargne-temps – 5,9 millions de jours étaient stockés fin 2010 – qui grèvent les finances des établissements. D’après cette enquête, près de la moitié d’entre eux (44 %) ont déjà procédé à une renégociation du protocole.

Cependant, pas question pour la FHF de « remettre en cause la réglementation sur les 35 heures. Nous voulons trouver de la souplesse, de l’adaptabilité », a plaidé son président. Ce dernier propose de « plafonner le nombre de RTT à 15 », en évoluant vers une organisation en journées de 7 ou 12 heures, qui ne génèrent pas de RTT. La FHF évalue les économies à 640 000 journées de travail, soit 3 200 équivalents temps plein et 400 millions d’euros. Frédéric Valletoux appelle aussi « les politiques et les tutelles à soutenir les directions lors des renégociations des accords locaux »… sous-entendu, contre les syndicats.

La flèche décochée par le président de la fédération est retombée à Villejuif (Val-de-Marne), du côté du groupe hospitalier Paul-Guiraud. Ses agents y travaillent 8 heures par jour, 40 heures par semaine et bénéficient de 27,5 jours de RTT. La renégociation du temps de travail engagée par la direction est à l’origine d’un mouvement social qui se poursuit depuis mai dernier et a été émaillé de plusieurs actions fortes (voir ci-dessous).

« Règles transparentes »

S’il n’a pas connu de tels débordements, le CH d’Argenteuil (Val- d’Oise) a négocié un nouvel accord sur le temps de travail « ligne par ligne », raconte la directrice des ressources humaines, Valérie Chapelle. L’accord n’a pas porté sur les horaires, déjà souples, en 7 h 30 avec 14 jours de RTT ou en 12 heures, sans RTT. L’objectif était de « revoir les règles, qu’elles soient écrites, équitables et transparentes, d’identifier ce qui dysfonctionnait », explique la DRH. Par exemple, certains services organisés en 12 heures pratiquaient la « semaine blanche : les agents travaillaient 4 ou 5 jours par semaine, ce qui n’est pas légal, pour avoir ensuite une semaine complète de repos. C’était dangereux pour leur santé et cela désorganisait les équipes, car ces agents en profitaient souvent pour prendre des vacances et ne pouvaient pas être rappelés en cas d’urgence. » Les syndicats reconnaissent que cette négociation a permis de « cadrer des situations vécues comme des injustices », explique Aline Boulay, représentante d’Autonome, le deuxième syndicat de l’hôpital. Mais elle s’est aussi traduite par une perte d’acquis sociaux. Jusqu’ici, le temps de repas était inclus dans le temps de travail pour tous. La direction a estimé que cette mesure n’était pas justifiée pour les agents administratifs : « On a eu 1 720 jours de grève, mais on n’a pas lâché », rapporte la DRH. « Les soignants ne se sont pas mobilisés. C’est chacun pour soi », regrette la syndicaliste.

La direction est revenue sur « un avantage extraréglementaire qui accorde deux jours de repos supplémentaires aux agents travaillant plus de 20 dimanches par an », explique la DRH. L’accord est aussi plus strict sur les heures supplémentaires. Il n’a pas été signé par les syndicats, mais s’applique quand même. La syndicaliste conclut, amère : « Dans le contexte actuel, les agents ont toujours beaucoup à perdre dans une renégociation du temps de travail. »

1- Comités d’hygiène, de sécurité et des conditions de travail.

RAPPORT

Pour la Cour des comptes, les hospitaliers travaillent moins de 35 heures

La Cour des comptes apporte de l’eau au moulin de la FHF dans son dernier rapport sur la Sécurité sociale, remis en septembre dernier, qui s’intéresse aux dépenses de personnel des hôpitaux. « Pratiquement tous les établissements dont la gestion a été examinée […] présentent des durées annuelles de travail inférieures à la durée légale », de 1 607 heures, soit 35 heures par semaine. Les écarts les plus importants concernent « les personnels en repos fixe ou de nuit », qui travaillent jusqu’à 25 heures de moins annuellement. Cet écart est encore plus grand si on décompte « les temps de pause, d’habillage, déshabillage et de repas », souvent inclus dans le temps de travail. Finalement, la Cour des comptes relève « un manque de rigueur assez général ». Il y a donc, d’après les sages, « des marges d’efficience » pour les établissements, à condition qu’ils renégocient leurs accords locaux.

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