Vue a posteriori, l’apparition du sida aura marqué le retour des politiques de prévention et la naissance de l’investissement militant des patients ; le scandale du sang contaminé aura amélioré la sécurité transfusionnelle et ainsi, la sécurité sanitaire. En 2003, une canicule mal gérée renforcera le maillage d’intervention auprès des personnes âgées fragiles. Plus récemment, le scandale des prothèses PIP aura démontré une faiblesse des systèmes de contrôle et celui du Mediator, notamment un déficit de pharmacovigilance. Chacune de ces crises a entraîné des évolutions de notre système de santé. Car les autorités sont contraintes d’agir… dès lors que les informations arrivent au grand public. Il aura ainsi fallu des années d’actions organisées par les associations de victimes de l’amiante pour lever la chape de plomb posée sur ce scandale ou un médecin « lanceur d’alerte » pour placer enfin le Mediator sous les projecteurs. Découverte d’un risque mal ou pas identifié, conséquences tragiques, réaction des autorités sanitaires et politiques jugée trop tardive ou inadaptée… Autant de points communs entre ces crises révélatrices. L’accès via Internet à une immensité d’informations sur la santé, de la plus scientifiquement rigoureuse à la plus baroque, n’a fait qu’amplifier le phénomène. La première victime ? La politique vaccinale. Nombre de concitoyens, sous l’influence de discours plus ou moins rationnels, a aujourd’hui plus peur d’un vaccin que de la maladie dont il protège… Cette succession de crises sanitaires de grande ampleur a néanmoins contribué à améliorer le système de veille et l’anticipation des réponses. Ainsi, les dangers liés à la propagation d’agents biologiques, favorisée par la mondialisation (Sras, Ebola…), ou d’insectes vecteurs, due au réchauffement climatique, semblent maîtrisables. Mais le système de santé français est aujourd’hui exposé à d’autres risques structurels identifiés et décrits dans de nombreux rapports trop souvent restés sans suite : les limites de notre culture curative au regard du vieillissement de la population et de l’explosion du nombre de malades chroniques, le renoncement croissant aux soins dans une société en crise, la réalisation d’actes inutiles alors que le système de santé est en déficit, l’échec de la politique de lutte contre les conduites addictives ou encore, les difficultés de la psychiatrie publique à accompagner les populations en souffrance psychique, notamment parmi les plus précaires… Et si le premier facteur des crises à venir était l’incapacité à réformer ce système, les freins provenant des politiques, financeurs, institutions, professionnels de santé et usagers ? Quand corporatismes, individualismes, vision politique à court terme et course au profit paralysent toute évolution… Notre inertie d’aujourd’hui sera-t-elle responsable des crises de demain ?