L'infirmière Magazine n° 354 du 01/11/2014

 

RISQUES PSYCHOSOCIAUX

DOSSIER

Pour endiguer l’explosion de l’épuisement professionnel, la DGOS prépare une nouvelle réglementation. Certains établissements ont pris les devants et expérimentent déjà des démarches de prévention ambitieuses.

Nous accueillons des patients atteints de maladies graves, sans espoir de guérison. Beaucoup mourront, explique Nathalie Favre, cadre de santé de l’unité de soins palliatifs de l’hôpital des Charmettes, à Lyon (Rhône). Nous côtoyons la souffrance, l’angoisse des derniers instants, la mort à répétition, le chagrin des familles. Tout cela peut conduire à un épuisement professionnel, nous sommes très vigilants. » Ces précautions semblent efficaces, puisque les soignantes qui exercent en soins palliatifs sont moins exposées au burn-out – le syndrome de l’épuisement professionnel – que la moyenne des infirmières, selon une étude dirigée par la médecin du travail Madeleine Estryn-Béhar (voir p. 23).

Du temps pour les transmissions

Les soins palliatifs sont une exception dans la fonction publique hospitalière, où les risques psychosociaux explosent : en 2012, 9,9 % du personnel étaient touchés, contre 9,1 % en 2011, selon la Caisse nationale de retraites des agents des collectivités locales (CNRACL). Ces risques restent cependant difficiles à cerner. Selon le fonds national de prévention de la CNRACL, ils incluent « le stress, les violences internes, dont le harcèlement moral et sexuel, les violences externes ou la souffrance et le mal-être ». Pour la Direction générale de l’offre de soins (DGOS), qui s’apprête à publier une circulaire sur le sujet (voir encadré), le risque psychosocial se définit comme « un risque systémique qui engage l’organisation du travail, les relations interindividuelles et les relations collectives ». Sa prévention exige donc « l’implication de l’ensemble des personnels, médicaux et non-médicaux, et la mise en commun de leurs connaissances sur le travail et son organisation ».

Les échanges pluriprofessionnels autour des malades et le soutien entre soignants font justement partie des principes qui encadrent la pratique des soins palliatifs. « Les temps de transmission entre équipes sont de trente minutes minimum matin et soir, d’une heure et demie en milieu de journée, détaille Nathalie Favre. Toute l’équipe y participe : médecins, infirmières, aides-soignantes, psychologues, kinésithérapeutes. Tous les jeudis se tient un “café pallia” au cours duquel nous échangeons autour d’un article scientifique ou d’un nouveau médicament. Et chaque mois, l’équipe de nuit se joint à des groupes de parole. Parfois, nous faisons venir des intervenants extérieurs – psychologues, cliniciens – pour analyser notre pratique. » Nathalie Favre admet « travailler dans un contexte privilégié. Mais je suis convaincue que dans d’autres services, on peut aussi trouver des ressources ».

À une toute autre échelle, le CHU de Rouen (Seine-Maritime) a engagé une démarche globale visant à faire évoluer les organisations de travail de ses 10 000 agents, de la direction aux services techniques. Le CHU a été sélectionné dans le cadre d’un appel à projets national, lancé en juillet 2012 par la DGOS et destiné à soutenir des démarches novatrices dans la prévention des risques psychosociaux. À ce titre, il bénéficie d’un budget d’1 million d’euros sur trois ans. Il a commencé par étudier l’absentéisme : « Avec un taux de 11,37 %, on s’est rendu compte qu’on était au-dessus de la moyenne nationale », explique Jean-François Caillard, ancien chef de service de médecine du travail du CHU, aujourd’hui consultant pour l’établissement. « Cela coûte 24 millions d’euros à l’hôpital. Et c’est bien sûr un facteur aggravant pour les conditions de travail. Une commission de prévention des risques psychosociaux a été créée en 2011. Celle-ci a commencé par affiner son diagnostic, service par service. Un audit a été réalisé, révélant que les atteintes psychiques – le stress, les burn-out – étaient majeures. Leur cause est toujours la charge de travail et des problèmes d’organisation. Mais il n’y a pas de recette miracle. »

Système d’alerte

Le CHU a donc engagé une vaste réflexion à l’échelle de l’établissement. « Pour nous, la bonne façon de faire est d’amener les professionnels à méditer sur leur façon de travailler, poursuit Jean-François Caillard. Nous avons donc créé cinq groupes. » Le premier est celui des directeurs « qui subissent une forte pression administrative ». Les médecins, eux, « ont une grande responsabilité, car ils organisent le travail des soignants. Mais ils méprisent souvent la prévention, y compris pour eux-mêmes. Ils considèrent qu’ils sont là pour soigner les autres. » Les cadres de santé sont « peut-être les plus en souffrance, car ils sont à la jonction de l’administratif et des soins, pris dans des injonctions contradictoires ». Les partenaires sociaux constituent le quatrième groupe, « car la qualité du dialogue social est essentielle dans cette démarche ». Le dernier groupe est formé par les préventeurs – le service de santé au travail, le service social –, qui doivent s’interroger sur leurs méthodes. Jean-François Caillard admet une limite : « Il faut dégager du temps. On s’y prend trois mois à l’avance pour organiser les réunions. » Ce travail de réflexion se double d’une importante offre d’information sur la prévention des risques psychosociaux : « On organise des conférences, on invite des personnes extérieures à l’établissement, on a créé un intranet et on communique sur l’avancée du plan. » Un système d’alerte a également été développé. Les agents sont incités à le déclencher « lorsqu’un collègue ne va pas bien ou lorsqu’une unité entière dysfonctionne ».

Cette démarche commence à se diffuser dans la région Haute-Normandie. En lien avec le CHU, le centre hospitalier intercommunal Elbeuf-Louviers-Val de Reuil a lui aussi mis en place un outil de veille sur l’absentéisme. « Auparavant, nous en avions une vision globale, explique Sylvie Lavoisey, coordinatrice générale des soins. En étudiant plus finement la situation, nous avons identifié des problèmes spécifiques aux deux Ehpad, aux aides-soignantes et aux ASH. » Les Ehpad sont fragilisés par leurs « faibles moyens. Mais nous sommes tenus par les conventions tripartites, c’est compliqué ». Quand aux ASH, les plus en souffrance sont « celles qui font fonction d’aides-soignantes, un travail auquel elles n’ont pas été formées ». Le CHI a également identifié des difficultés liées à ses nombreuses restructurations : « Nécessaires pour rendre les organisations plus efficientes, elles sont délétères pour les conditions de travail lorsqu’elles sont imposées au personnel sans concertation. »

En Haute-Normandie, c’est l’agence régionale de santé qui est à l’origine de cette dynamique. Elle anticipe ainsi la circulaire de la DGOS, qui renforce le rôle des ARS dans la prévention des risques psychosociaux. « Nous avons mis sur pied un comité de pilotage régional associant les fédérations hospitalières, des DRH et des directeurs des soins, qui travaillent à l’amélioration des conditions de travail, explique Bruno Anquetil, directeur délégué à la qualité et à l’appui à la performance au sein de l’ARS. Ce comité suit les contrats locaux d’amélioration des conditions de travail (Clact) dans les établissements. Nous avons aussi consacré 650 000 euros à des actions de prévention des risques professionnels (52 % sont fléchés vers les risques psychosociaux) dans quatorze établissements. Nous sommes conscients que la charge de travail se concentre, que la productivité augmente. Mais nous ne sommes pas des philanthropes : nous voulons réduire l’absentéisme, favoriser le maintien et le retour à l’emploi. »

JURIDIQUE

Des obligations renforcées

→ « Au même titre que les risques physiques, chimiques, biologiques, le risque psychosocial doit être pris en compte par les établissements de la fonction publique hospitalière » : c’est ce que précise une circulaire que prépare la DGOS.

→ Elle rappelle le rôle de chacun : le chef d’établissement a « une obligation de résultat » ; le CHSCT « procède à l’analyse » des risques et est associé aux actions de prévention ; le service de santé au travail conduit ces actions.

Les établissements devront se doter de plans d’évaluation et de prévention.

→ L’établissement peut s’appuyer sur l’ARS ou le fonds national de prévention de la CNRACL. La Haute Autorité de santé pourra l’encourager lors de la procédure de certification.

Enfin, l’Institut national de recherche et de sécurité et l’Agence nationale pour l’amélioration des conditions de travail proposent des outils et des actions de formation.