L'infirmière Magazine n° 355 du 01/12/2014

 

PERSONNAGES

DOSSIER

Héroïsme, sentiment du devoir, humanité… Dans les séries télévisées, les qualités des soignants se retournent souvent contre eux.

A comme addictions

C’est le versant sombre des héros de série qui font preuve d’héroïsme dans leur quotidien professionnel. Le meilleur exemple en est le personnage du Dr House, qui porte régulièrement la main à sa poche pour avaler un cachet de Vicodin et soulager ainsi ses douleurs à la jambe. Nurse Jackie, elle, fait un usage explosif de médicaments censés calmer son mal de dos, mais auxquels elle a aussi recours pour faire face aux situations difficiles. Avec la nouvelle série The Knick, un pas supplémentaire est franchi. Celle-ci s’ouvre sur une vision floue d’une fumerie d’opium dont s’extrait un homme défait. Nous sommes à New York, en 1900, et ce personnage n’est autre que John Thackery, l’un des chirurgiens les plus brillants de sa génération. On s’aperçoit au fil de la série que les drogues sont, pour lui, une façon de supporter de côtoyer la mort, à une époque où la chirurgie parvient rarement à sauver ses patients. L’addiction au métier et à l’établissement hospitalier est aussi mise en avant. Le Dr Mark Green (Urgences) en est la triste illustration : sa trop grande implication professionnelle conduira à l’échec de son mariage.

C comme combat

La bataille est morale et physique. Bâillements, cafés à répétition, difficulté à s’extirper du sommeil lors d’une nuit de garde sont largement mis en avant dans les séries. Face à la rudesse du métier, à la lassitude qui peut s’ensuivre, les soignants « tiennent » parce qu’ils ont une conviction. Ils repoussent les assauts de la mort. Un credo énoncé avec lyrisme par le Dr Thackery, chirurgien dans The Knick, lors de l’éloge funèbre de son collègue et ami qui s’est donné la mort après un nouvel échec médical : « Avec chaque coup porté, chaque année supplémentaire donnée à un patient, je me souviendrai de mon ami tombé et je saurai qu’au moins quelque chose, même temporairement, aura été gagné. » Même combat pour Gregory House qui, derrière sa non-implication surjouée, ses fantaisies, ses provocations et ses silences, n’a qu’un but : résoudre l’énigme qui permettra de sauver la vie d’un patient.

D comme débutants

Scrubs commence par un réveil difficile. C’est le premier jour d’internat de John « J. D. » Dorian et une pensée le taraude : « S’il y a une chose que je sais, c’est que je ne sais rien. » Il est tétanisé quand on lui demande de réaliser ses premiers gestes techniques. Il est écarté du patient par des infirmières malicieuses qui l’ont surnommé « Bambi ». Zoey, l’un des personnages clés de Nurse Jackie, est aussi une élève infirmière maladroite et fantasque, mais sa spontanéité est parfois la meilleure réponse au désarroi des patients du All Saints Hospital. Les jeunes professionnels sont ainsi mis en opposition avec leurs prédécesseurs : ils affichent une fraîcheur qu’ont perdue ceux qui les devancent en âge et en expérience. Les questions qu’ils posent sont souvent naïves mais pertinentes. Ils sont malmenés par leurs aînés qui s’évertuent à leur forger le caractère avec une dureté qui frise souvent la cruauté. Mais c’est parfois le prix à payer pour devenir un bon professionnel de santé, doux avec ses patients et dur face à l’épreuve.

H comme hiérarchie

Elle n’épargne personne… et c’est sur les débutants qu’elle pèse le plus lourdement. Le Dr House se montre particulièrement impitoyable avec les jeunes médecins de son équipe. En piquant leur orgueil au vif, il les pousse à dépasser leurs limites. Dans Urgences, les relations entre médecins sont marquées par une forte hiérarchisation et un mépris envers ceux qui ont moins d’ancienneté ou qui exercent une spécialité moins prestigieuse. Dans la majorité des séries, les infirmières sont cantonnées au rôle d’exécutantes et leur relation avec les médecins est marquée par un rapport de domination. Mais dans les programmes faisant la part belle au regard et au métier infirmier, le poids de la hiérarchie n’est plus une évidence. Dans HawthoRNe, l’infirmier Ray tient tête au Dr Marshall, absentéiste, qui a fait une erreur de dosage d’insuline. Ce dernier, refusant d’écouter Ray qui s’inquiétait des doses indiquées, tente par la suite de le rendre responsable de l’arrêt cardiaque dont a réchappé de peu le patient. Nurse Jackie fait aussi savoir au jeune Dr Cooper ce qu’elle pense de ses compétences, qu’il s’agisse de l’accuser d’erreurs de jugement ou de lui reconnaître une perspicacité dont lui-même doute.

L comme liberté (s)

Les soignants des séries TV affichent une certaine liberté d’action et de pensée. Christina Hawthorne, infirmière en chef, pousse les infirmiers qu’elle chapeaute à se fier à leur intuition. Elle-même n’hésite pas à écouter ses élans, quitte à ne pas respecter le règlement intérieur du Richmond Trinity Hospital. Même liberté affichée par Jackie Peyton, subversive, dévouée à la cause des patients et à ce qu’elle considère comme la justice. Nurse Jackie s’est construit sa propre morale, quitte à contrevenir au code de la déontologie. Ainsi, révoltée par les propos irrespectueux d’un criminel sexuel envers ses victimes, elle jette aux toilettes l’oreille qu’on doit lui recoudre. Le Dr William Masters, dont le travail sur la sexualité est rejeté par la faculté, fait participer des prostituées vulnérables à ses recherches. Et pour obtenir une reconnaissance scientifique, il n’hésite pas à exercer un chantage sur le doyen de la faculté, qui est également son ami et son ancien mentor. Dans The Knick, la sage-femme de l’hôpital quitte son habit de religieuse le soir pour se rendre dans les bas-fonds de la ville où elle procède à des avortements clandestins.

M comme maison

L’hôpital, une deuxième maison. Les soignants y sont comme chez eux. En témoigne le troisième épisode d’Urgences, intitulé « Going Home », pendant lequel l’infirmière Carol Hathaway revient au travail après une tentative de suicide. Les séries représentent l’hôpital comme une ruche bourdonnante dont on s’extrait avec difficulté. Même fourbus, les personnages semblent quitter à regret leur lieu de travail. D’ailleurs, le monde extérieur est souvent dépeint sous un jour difficile et froid, en opposition à la chaleur humaine et à l’attention à l’autre que l’on retrouve à l’hôpital.

P comme proximité

Elle caractérise les relations entre soignants et entre le soignant et le soigné. Les patients pris en charge aux urgences sont constamment encouragés par des « Accroche-toi » lancés avec conviction par les médecins. Dans un épisode d’HawthorRNe, une SDF raconte qu’elle a trouvé un nouveau-né dans la rue, mais on s’aperçoit très vite qu’il s’agit de son propre fils. Avant de quitter l’hôpital, elle confie son fils à « Tatie Christina » et aux infirmières, qui assure-t-elle, l’aiment « presque autant que moi ». Professionnelles au grand cœur, Christina Hawthorne comme Jackie Peyton réconfortent un nombre incalculable de personnes, qu’il s’agisse de soignants découragés ou de proches de patients éplorés. Seul personnage à contre-courant, le Dr House refuse de voir ses patients. Pour lui, la mise à distance permet d’objectiver le cas et de mieux soigner. Ne pas écouter les patients lui permet d’atteindre la vérité, car comme il ne cesse de le dire : « Everybody lies » (« Ils mentent toujours »).

SCENARIOS

Ils ne font pas que jouer…

Le souci de réalisme médical est très fort lors de l’élaboration des séries. Le créateur d’Urgences, Michael Crichton, lui-même diplômé en médecine, a attendu une vingtaine d’années pour concrétiser son projet : « Je voulais écrire une histoire inspirée de faits réels. Quelque chose qui ait un rythme rapide et décrive la médecine de façon réaliste. »

Le contenu médical de Dr House est également très étayé scientifiquement. Des médecins participent à l’écriture des scénarios, inspirés en partie de la rubrique historique du magazine The New Yorker décrivant des cas médicaux complexes des années 40 à 90. Les intrigues que résout Gregory House sont tellement bien documentées que l’an dernier, elles ont aidé un médecin allemand à poser un diagnostic complexe. En s’inspirant d’un épisode de Dr House, Juergen Schaefer, professeur à la Clinique universitaire de Marbourg, est parvenu à identifier une intoxication au cobalt consécutive à la pose d’une prothèse de hanche métallique chez un patient présentant des symptômes combinés et difficiles à interpréter.