Si son efficacité est prouvée en matière de lutte contre la douleur, l’hypnose est également en plein essor en chirurgie. Susceptible d’être employée à tous les stades de l’intervention, elle valorise le rôle infirmier.
L’hypnose moderne, réinventée au XXe siècle par le psychiatre américain Milton Erickson, se définit comme un état de conscience modifié que l’on peut expérimenter de manière naturelle, dans sa vie quotidienne. Il peut également être instauré et renforcé par une communication entre un soignant et un patient. On en distingue deux formes : l’hypnose conversationnelle, qui place le patient dans un état de transe légère, et l’hypnose formelle, qui l’emmène dans un état de conscience modifié plus profond.
L’hypnose, utilisée en préopératoire, permet de réduire l’angoisse des patients. L’entretien infirmier les aide à se préparer et à se projeter dans l’opération à venir. En cas d’induction anesthésique classique, l’hypnose place le patient dans un climat favorable avant son endormissement. Il est également possible d’y avoir recours pour calmer une douleur aiguë en postopératoire.
En peropératoire, l’hypnosédation constitue une alternative à l’anesthésie générale. Elle combine hypnose formelle et technique de sédation consciente, avec possibilité d’injection en intraveineuse d’hypnotiques ou de morphiniques à très faibles doses. La chirurgie est alors réalisée sous anesthésie locale. Elle se déroule dans les mêmes conditions de sécurité qu’une intervention avec sédation classique. À tout moment, il est possible de basculer vers une anesthésie générale. On peut également placer le patient en état de conscience modifié en complément d’une anesthésie locorégionale.
En réduisant les injections de produits, l’hypnosédation permet de diminuer les douleurs, les nausées, les vomissements et la fatigue, fréquents en postopératoire après une anesthésie générale. Elle évite aussi les complications liées à l’anesthésie tout en assurant une récupération plus rapide des patients. Ils peuvent par ailleurs « participer » à leur propre opération, ce qui est valorisant.
En 2005, après une demande d’évaluation émanant du Conseil national de l’Ordre des médecins, la Société française d’anesthésie et de réanimation (Sfar) a émis un avis positif quant à l’intégration de cette technique parmi les outils utilisables en anesthésie.
L’hypnose est un moyen pour les Iade de calmer les angoisses de leurs patients avant l’opération et de faciliter leur endormissement. Elles peuvent avoir recours à des techniques hypnoanalgésiques comme le « gant magique » – le patient imagine qu’il enfile un gant le protégeant de la douleur – ou à des suggestions hypnotiques permettant de se projeter positivement dans l’opération. « Quelques mots peuvent suffire pour qu’un patient se prépare mieux à une intervention et domine ses peurs », souligne Nathalie Le Gall, Iade au CH de Cornouaille (Quimper-Concarneau).
De plus en plus de services de pédiatrie se tournent vers l’hypnose pour faciliter l’endormissement des jeunes patients. Cette technique est évoquée lors de la consultation en anesthésie, avec l’enfant et sa famille. Les parents du patient ou lui-même, en fonction de son âge, peuvent remplir une fiche qui servira à cerner ses goûts et ses centres d’intérêt. L’Iade saura ainsi sur quelle thématique focaliser l’attention du patient avant l’induction anesthésique.
Il peut arriver que l’usage de l’hypnose s’impose au dernier moment, pour des patients qui ne s’étaient pas montrés motivés dans un premier temps, comme le fait remarquer Joëlle Kinderf, Iade à l’hôpital Robert-Debré, à Paris : « Si nous remarquons que la panique s’empare du patient quand il entre dans le bloc, nous entamons une hypnose conversationnelle. Il s’agit de le prendre de court pour faire retomber la tension. Si nous connaissons le thème qui lui convient, nous l’utilisons pour partir dans un voyage imaginaire. Si nous ne disposons d’aucun élément, nous improvisons en employant diverses techniques hypnotiques. La saturation des mots, par exemple, fonctionne très bien dans ces cas. » Il s’agit alors de parler sans répit, la musique des mots emmenant le patient dans un autre état de conscience. Préparé ou non, ce moment dure en général quelques minutes, avec une possibilité de le prolonger en cas de grande angoisse. Pendant qu’il part en voyage en compagnie de l’infirmière, le patient se calme et ne s’aperçoit pas des gestes préparant son endormissement.
Il peut arriver que les infirmières ressources douleur interviennent en proposant en aval une consultation de préparation à l’hypnose, comme c’est le cas à l’hôpital Robert-Debré. Cette rencontre est destinée à aider l’enfant à se projeter dans l’opération, mais c’est aussi l’occasion d’évoquer un possible recours à cette technique afin d’aborder l’anesthésie dans des conditions optimales.
Avec l’hypnosédation, l’Iade gère l’induction hypnotique du patient en remplacement de l’endormissement classique par gaz ou perfusion. Une rencontre préalable entre l’infirmière et le patient est nécessaire afin de lui expliquer le déroulement de la séance d’hypnose et de s’assurer de son adhésion. Au cours de l’entretien est choisi le « lieu de sécurité » dans lequel se rendra le patient et qui lui permettra de devenir insensible aux stimulis externes. La voix de l’Iade lui permettra de maintenir son attention sur ce voyage intérieur. Lors de cet entretien, l’infirmière peut détecter le canal sensoriel qu’il faudra privilégier au cours de l’induction : olfactif, visuel, auditif, gustatif ou kinesthésique.
Dans la salle d’opération, l’Iade commence à parler au patient. Elle évoque des sensations associées au voyage envisagé, en ayant recours à des descriptions imagées et en employant des formulations positives. Peu à peu, elle ralentit le rythme de ses paroles. L’induction hypnotique agit. Le patient entre en catalepsie et en état de dissociation psychique. Une partie de son esprit est ailleurs, en voyage dans son « lieu de sécurité ». Une partie de sa conscience reste dans la salle d’opération et la soignante intègre à son discours certaines sensations qui y sont perceptibles. Si le patient ressent une douleur, il le fait savoir à l’infirmière grâce à un signe convenu avant l’opération. L’Iade surveille constamment le patient et ses paramètres vitaux, guette tout signe d’inconfort, s’assure de la stabilité de l’état de transe. À tout moment, il est possible de renouveler l’administration d’anesthésique local ou d’injecter un morphinique très faiblement dosé, n’occasionnant aucun relargage à moyen terme.
À l’issue de l’intervention, le patient sort progressivement de son état hypnotique. Le soignant prononce des paroles évoquant le bien-être à venir et la guérison. Peu à peu, le patient retrouve la réalité et se réassocie psychiquement. « Pour l’aider à retrouver l’ici et le maintenant, nous lui demandons de nous indiquer l’heure, affichée dans la salle d’opération », précise Arnaud Kergroac’h, Iade au CH de Cornouaille. Il est également important de reconnaître le rôle qu’il a joué. Pour Nathalie Le Gall, « la collaboration avec le patient est fondamentale. Il est important de le féliciter à l’issue de l’intervention. Il a lui-même été acteur de son opération ». Ce mode d’anesthésie suit les règles de sécurité en vigueur. Il faut pouvoir mobiliser à tout moment un médecin anesthésiste afin de remplacer l’hypnosédation par une anesthésie générale. « Dans ce cas, nous veillons à sortir le patient de son état de transe de la même façon qu’après l’opération, tout en lui expliquant que nous allons l’endormir par un autre moyen », précise Arnaud Kergroac’h.
L’usage de l’hypnosédation ne peut se faire sans l’aval des médecins. Ce sont d’ailleurs eux qui peuvent proposer cette alternative aux patients lors des consultations préopératoires. « Nous pouvons sentir dès ce moment si un patient se montre réceptif à ce type de prise en charge. Dans ce cas, nous évoquons cette possibilité », précise Olivier Sparfel, chef du pôle chirurgie du CH de Cornouaille. Avec la pratique, les doutes que peuvent ressentir certains professionnels à ce sujet se dissipent. « De plus en plus de chirurgiens perçoivent les bénéfices de l’hypnosédation. Ils ont des patients plus détendus, ce qui leur procure un meilleur confort », se félicite Nathalie Le Gall.
Si l’on veut utiliser l’hypnose dès l’accueil au bloc opératoire, l’adhésion du médecin anesthésiste est fondamentale. « Avec la pratique, les choses deviennent naturelles, estime Joëlle Kinderf. Je n’ai pas forcément besoin de prévenir l’anesthésiste que je vais procéder à une courte séance d’hypnose avant l’endormissement. Il le comprend tout seul quand il voit que je commence à parler avec l’enfant. Il se met en retrait, fait ce qu’il y a à faire et me laisse converser avec l’enfant. » Le médecin anesthésiste ou les étudiants présents lors de l’opération peuvent effectuer les gestes normalement dévolus à l’Iade, ce qui lui permet de se concentrer sur sa conversation.
L’adhésion de l’ensemble de l’équipe chirurgicale est également primordiale pour accepter que l’Iade soit l’interlocutrice principale du patient, et pour assurer une ambiance calme lors de l’opération, propice à la transe hypnotique. Nathalie Le Gall tient à souligner l’importance d’une sensibilisation élargie aux principes de base de la technique hypnotique : « Nous avons intérêt à ce qu’un maximum de personnes soient formées à l’hypnose. Il est important que l’ensemble des soignants comprennent ce que nous faisons et maîtrisent certains procédés conversationnels, comme les formulations positives, fondamentales en hypnose. »
Si l’hypnose nécessite l’apprentissage de techniques précises et beaucoup de pratique, elle demande aussi aux infirmières de puiser dans leurs ressources intérieures. Une bonne capacité à partir dans l’imaginaire et à s’adapter à celui du patient est impérative. « Afin d’accompagner le patient dans sa transe hypnotique, nous devons être nous-mêmes capables de lâcher prise », précise Nathalie Le Gall. Une forme d’esprit littéraire, voire une propension au bavardage est requise, comme s’en amuse Joëlle Kinderf : « Quand je me faisais réprimander à l’école parce que je parlais trop, mes enseignants ne savaient pas que ça me servirait plus tard professionnellement. Nous devons également faire preuve d’intuition. Sans oublier l’entretien de la culture générale, pour le travail avec les enfants. » Beaucoup de jeunes patients désirent en effet partir dans un de leurs jeux ou dessins animés favoris.
Pour Arnaud Kergroac’h, l’hypnosédation nécessite une grande concentration et une capacité à faire plusieurs choses à la fois : « Nous devons continuer à parler au patient, le surveiller, prendre en compte son ressenti et adapter notre discours à ce qui se passe. »
Si la pratique de l’hypnose ne donne accès à aucun statut ou rémunération particuliers, elle procure une grande satisfaction aux infirmières : une relation patient-soignant incarnée et enrichissante.
L’hypnose suscite chez les infirmières de la curiosité, mais aussi une envie d’enrichir leur pratique. Depuis la création du PHRIP (programme hospitalier de recherche infirmière et paramédicale), en 2010, quatre projets portant sur l’hypnose ont été sélectionnés par le ministère de la Santé. Ils portent sur l’incidence de l’hypnose sur l’impulsivité alimentaire et la perte de poids des patients obèses (PHRIP en 2013), l’intérêt de l’association de l’hypnose et de la neurostimulation électrique transcutanée dans la prise en charge des douleurs neuropathiques (2012) ou la manière de réduire les douleurs induites par les pansements en gynécologie ambulatoire (2010). En 2011, un projet sur « L’impact de l’hypnose préopératoire avant induction anesthésique sur les enfants de 10 à 18 ans » a pu voir le jour grâce au PHRIP. Pilotée par une Iade et une infirmière ressource douleur de l’hôpital Robert-Debré, à Paris, cette recherche est en train d’arriver à son terme. Elle a permis de comparer l’anxiété et la douleur d’une centaine de jeunes patients opérés en chirurgie orthopédique. La moitié des enfants ont bénéficié d’une séance d’hypnose avant leur endormissement, l’autre non. Tous ont profité d’une consultation infirmière préparatoire. Selon Anne-Françoise Thiollier, infirmière de la cellule douleur de l’établissement, qui a participé à l’étude, « cette recherche a permis de mettre en lumière une évolution des pratiques. On peut dire maintenant que l’hypnose est entrée au bloc opératoire. L’importance de l’entretien infirmier préopératoire a été clairement démontrée ». Cette séance avait pour but de préparer l’enfant à une éventuelle séance d’hypnose, en évoquant ses centres d’intérêts. Mais elle était également l’occasion d’écouter ses peurs, de lui redonner certaines informations et de lui permettre de se projeter dans l’opération en mobilisant toutes ses ressources.
Les formations à l’hypnose peuvent aller de quelques jours au diplôme universitaire. Les formations courtes permettent de s’initier aux principes de base de l’hypnose conversationnelle. Pour acquérir une maîtrise plus approfondie de cette technique ou pour apprendre l’hypnosédation, une formation d’une dizaine de jours, courant sur plusieurs mois, est recommandée.
> À Paris, l’Institut français d’hypnose propose divers modules de formation, adaptés aux besoins de chaque professionnel.
38, rue René-Boulanger 75010 Paris.
Tél. : 01 42 51 68 84.
> À Rennes, Émergence propose également plusieurs types de formations, allant de l’apprentissage de base à des techniques plus spécifiques et approfondies.
Institut de formation et de recherche en hypnose et communication thérapeutique.
6 bis, avenue Louis-Barthou 35000 Rennes.
Tél. : 09 62 16 34 17.
> L’Association française pour l’étude de l’hypnose médicale (Afehm) propose un module infirmier-kiné-psychomotricien de quatre jours.
I19, avenue Franklin-Roosevelt 75008 Paris.
Tél. : 01 42 56 65 65.
> L’université Paris-XI Sud et la faculté de médecine du CHU du Kremlin-Bicêtre proposent le DU « Hypnose et anesthésie », centré sur l’hypnosédation, ouvert aux Iade et infirmières en salle de réveil.
Renseignements à prendre auprès de Sandra Quercy (kabedol@gmail.com).