Les professions de santé font partie des plus représentées dans les fictions télévisées. De plus en plus sérieuses et documentées, celles-ci changent peu à peu le regard du public sur le monde hospitalier et peuvent même influencer la pratique des soignants.
Venez, je vous en prie…” C’est ce que je fais tous les jours : je viens. Le temps passe vite au travail. On est auprès des patients lors?qu’ils sont le plus vulnérables, quand ils sont nus, faibles. On les touche, on regarde leurs corps, on les voit de plus près que les membres de leurs familles… Mais c’est mécanique et temporaire. On est là pour s’occuper d’eux ou les voir mourir. D’une façon ou d’une autre, ça se termine. Mais nous, on continue… » Quand le Dr Luka Kovac de la série Urgences, incarné par Goran Visnjic, parle de son métier, ses paroles font écho à une réalité bien connue de milliers de soignants.
Avec les séries télévisées, les professionnels de santé sont sortis du monde confiné de l’hôpital. C’est même « le deuxième groupe professionnel des héros de fiction [du petit écran, NDLR], juste après les professionnels de l’ordre public »
Largement produites aux États-Unis, les séries illustrent les particularités du système de santé américain. Elles valorisent largement l’image des soignants, leur attention à l’autre, leur capacité de réactivité. Ces super soignants – réalistes mais totalement fictifs – se caractérisent par une énergie sans cesse renouvelée et une liberté que l’on peut leur envier. Mais qu’en est-il du point de vue des « vrais » professionnels ? Miroir à la fois déformant et valorisant, comment les séries sont-elles reçues par les soignants ? Ont-elles – et en quoi – fait évoluer l’image du professionnel de santé auprès des patients ? L’univers décalé qu’elles proposent peut-il dire quelque chose sur notre société ? « Ce décalage, c’est cette fiction qui est finalement au service de trajectoires humaines : des personnages qui s’aiment, se détestent, etc. », explique Xavier Matthieu, scénariste de la série française H, qui est toutefois déconnectée du contexte hospitalier. Et si la médiatisation des professionnels de santé renvoyait – enfin – une autre image du soignant, impliqué dans son travail, parfois dépassé… en un mot, humain ? « J’ai perdu le sentiment d’être un superhéros. […] Ça vous change, ce boulot, vos patients, vos confrères, vous vous changez les uns les autres. Vous ne pensez jamais que vous allez vous égarer… Malgré ce qui peut se passer dans cet hôpital, n’oubliez jamais pourquoi vous y êtes venus. » (Grey’s Anatomy)
1- « La confusion des conditions. Une enquête sur la série télévisée Urgences ». Réseaux n° 95, CNET/Hermès Science Publications, 1999.
2- « Why Nurse Stereotypes Are Bad for Health », 1er juillet 2009. http://nyti.ms/1wYII7b
Juin 1996. La première diffusion en France d’Urgences fait entrer les séries hospitalières dans une nouvelle ère, faisant partager les raisonnements cliniques et les émotions des soignants de l’hôpital Cook County de Chicago. Deux autres séries s’inspirent de la richesse de l’univers hospitalier pour nous faire partager les débuts difficiles des residents, les internes américains. Le ton se fait plus humoristique et décalé dans Scrubs (diffusé à partir de 2002 en France), tandis que Grey’s Anatomy (diffusé depuis 2006) exploite une veine plus romantique. La dimension médicale s’étoffe par la suite avec l’apparition de Dr House (2006), mettant en valeur la profession d’interniste. Dans un registre plus sarcastique, Nip/Tuck (2004) souligne certains travers de la société américaine à travers la vie d’une clinique de chirurgie esthétique. Il faut attendre 2009 pour voir apparaître des personnages jusque-là négligés : les infirmières. Nurse Jackie, Mercy Hospital (2010) et HawthoRNe : infirmière en chef mettent en scène des professionnelles très engagées dans leur métier en prise avec des problèmes personnels. En 2014, ce sont les personnages historiques qui sont mis en valeur : William Halsted, un des pionniers de la chirurgie américaine du début du XXe siècle, dans The Knick, et William Masters, le père de la sexologie, avec Masters of Sex, qui se passe dans les années 50.