Remise en cause de l’obligation, élargissement des compétences des professionnels de santé… À l’approche de l’hiver, le dispositif vaccinal français est au cœur des débats.
Nous sommes l’un des seuls pays, avec l’Italie, à avoir un système d’obligations aussi étendu. On peut s’interroger sur son efficacité, si l’on compare notre couverture vaccinale avec celles des autres pays européens, qui n’ont pas d’obligation : les taux sont comparables. De plus, dans l’esprit du public, les vaccins recommandés sont moins importants que ceux qui sont obligatoires, alors qu’ils protègent contre des maladies plus fréquentes et tout aussi graves, comme les méningites, le papillomavirus et l’hépatite B. Autre problème : il n’y a pas de vaccin pédiatrique correspondant aux trois seules va-lences obligatoires. Ils sont combinés aux valences recommandées, ce qui suscite des incompréhensions.
La couverture vaccinale des adolescents contre l’hépatite B est insuffisante. Ce vaccin a souffert dans les années 90 de la polémique sur la sclérose en plaques. Tout comme les prétendus effets secondaires du vaccin contre le papillomavirus font régulièrement baisser la couverture vaccinale, déjà faible. La vaccination contre le méningocoque C progresse depuis 2010, date de sa recommandation, mais cela reste en deçà de ce qui est nécessaire et l’incidence des infections augmente. Nous n’atteignons pas non plus le niveau de protection suffisant pour arrêter la circulation de la rougeole. Quant à la grippe, on a perdu 10 points de couverture depuis l’épisode H1N1.
C’est la crainte. Mais je ne vois pas ce que nous avons de différent des Italiens, qui sont en train d’arrêter leurs obligations. La Vénétie l’a déjà fait, sans répercussions notables sur la couverture. Il est certain que la levée de l’obligation doit s’accompagner d’une campagne de communication, notamment auprès des médecins.
Pourquoi s’en priverait-on ? Les sages-femmes sont une profession médicale. Dans d’autres pays, les pharmaciens vaccinent et ça marche. Bien entendu, ils ont besoin d’une formation. Mais vérifier les prescriptions médicales, les indications et les contre-indications fait déjà partie de leurs missions. Ce n’est pas compliqué de faire une injection, ni de se servir d’une seringue auto-injectable d’adrénaline en cas de choc anaphylactique. En ce qui concerne la traçabilité, le dossier pharmaceutique sera bientôt utilisé pour améliorer la connaissance du statut vaccinal des patients. Quant aux infirmières, on sous-utilise leurs compétences. Au Royaume-Uni ou encore en Finlande, qui a d’ailleurs la meilleure couverture d’Europe, ce sont elles qui vaccinent dans les centres de santé, en suivant le calendrier vaccinal.
Les épidémies de rougeole et d’infections respiratoires aiguës que nous gérons dans les établissements via les plates-formes régionales d’alerte montrent que l’intérêt de la vaccination pour soi et pour les autres n’est pas compris par tous. Plusieurs facteurs entrent en ligne de compte dans la décision de se faire vacciner, notamment la représentation de la maladie et l’influence des professionnels de santé. Il y a eu plus de 23 000 cas de rougeole depuis 2008, dont 1 500 pneumopathies graves et 10 décès ; pourtant, l’impression que c’est une maladie bénigne persiste, y compris chez certains médecins.
Dans les Ehpad, la couverture vaccinale des résidents est très correcte, grâce à l’action conjointe de l’infirmière et du médecin coordinateurs. Mais l’immuno sénescence est telle que l’efficacité du vaccin contre la grippe ou la coqueluche n’est pas optimale. Or, le personnel est mal vacciné. Les infections à caractère nosocomial ne sont pas rares.
Ces acteurs de terrain sont des leviers indispensables de la prévention car ils inspirent confiance aux usagers. S’ils recommandent et expliquent la vaccination, dans la majorité des cas, le processus va s’enclencher. En termes de traçabilité et de surveillance sanitaire, les pharmaciens sont efficaces. Le vaccin est une injection, certes, mais c’est un acte banal. Quant aux infirmières libérales, qui sont les mieux réparties sur le territoire et qui se rendent au domicile des personnes fragiles, elles doivent être incluses dans le dispositif. Sans oublier les infirmières scolaires, qui travaillent déjà beaucoup sur la prévention. Elles sont au plus près de l’élève et ont accès au carnet de santé. Problème : il faudrait qu’elles aient l’autorisation parentale.
Par ailleurs, des protocoles de coopération permettent aux infirmières des services de santé publique de six régions (Ile-de-France, Alsace, Franche-Comté, Bourgogne, Centre et Haute-Normandie) de prescrire des vaccinations et sérologies en lieu et place du médecin. D’autres demandes sont en cours. Inclure tous ces professionnels compétents permettrait de banaliser cet acte important.
Non. La diphtérie, la poliomyélite et le tétanos circulent toujours dans le monde. Si l’obligation vaccinale était levée, cela banaliserait ces maladies graves et nous aurions une baisse de la couverture avec un risque d’importation. La population ne le comprendrait pas.
Le fait que la vaccination contre l’hépatite B et le papillomavirus, qui sont responsables chaque année de 2 300 décès en France, ne soit pas obligatoire est paradoxal…
Quant à la rougeole, pourquoi ne pas rendre la vaccination obligatoire, ne serait-ce que le temps d’éradiquer l’épidémie ? L’important est de vacciner les bonnes personnes, au bon endroit et au bon moment.
→ Professeur émérite de pédiatrie à l’universite Claude-Bernard de Lyon
→ Consultant hospitalo-universitaire en infectiologie pédiatrique à l’hôpital Femme-Mère-Enfant de Bron (Rhône)
→ Diplômé en 2002. Infirmier en psychiatrie au centre hospitalier spécialisé de l’Yonne jusqu’en 2008
→ Coordinateur du reseau des ISP
→ 1902 Première obligation vaccinale en France, contre la variole. Entre 1938 et 1964, d’autres sont imposées : diphtérie, tétanos, tuberculose (jusqu’en 2007) et polio.
→ Avril 2013 Le calendrier vaccinal est simplifié de façon à diminuer le nombre d’injections chez le nourrisson et à permettre des rappels à âge fixe chez l’adulte.
→ Septembre 2014 Le Haut Conseil de la santé publique appelle à la gratuité des vaccins du calendrier, à l’élargissement des lieuxde vaccination et des professionnels habilités à la pratiquer.
→ 9 octobre 2014 L’obligation pour les parents de faire vacciner leur enfant est portée devant le Conseil constitutionnel après la comparution d’un couple refusant la vaccination.
→ Début 2015 Le projet de loi de santé qui sera examiné au Parlement autorisera les sages-femmes à vacciner la mère et le nouveau-né et les pharmaciens « à pratiquer les vaccinations dont la liste est fixée par arrêté du ministre ».