L’INVITÉ
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Les premières lueurs de l’aube éclaircissent l’horizon. Les rues sont encore désertes et tout est calme. Il est 7 heures, ma journée de travail commence.
Rose se lève très tôt. J’aime passer le portillon en arrivant chez elle. Je traverse le petit jardin où règne un désordre végétal presque artistique. L’odeur de chèvrefeuille ne me quitte pas jusqu’à la porte d’entrée. La vieille dame mène une existence calme dans la maison où elle a vécu avec son mari jusqu’à ce qu’il s’éteigne, quelques années auparavant. Rien n’a bougé. Elle est entourée de souvenirs et de petites attentions laissées par le passage régulier de ses enfants et petits-enfants. Son grand âge lui a volé de la souplesse et lui a apporté des douleurs uotidiennes, invalidantes. Elle a besoin de notre aide pour démarrer la matinée en douceur, dans ses petits chaussons de laine.
Herman, soixante ans à peine, se lève tard, habituellement. Mais ces jours-ci, huit heures sonnent le moment de l’arrêt de la perfusion. Son deux-pièces se trouve au premier étage d’un petit immeuble collectif. Dans la pièce principale sont installés son lit médicalisé et tout le matériel nécessaire à une hospitalisation à domicile. Il y vit seul depuis son divorce. Sa maladie, arrivée peu de temps après, ne lui a pas vraiment laissé le temps de l’investir. Quelques photos de son fils et de sa petite-fille, qui habitent à l’autre bout du pays, donnent un peu de relief aux murs blancs qui l’encerclent. Herman fait régulièrement des séjours à l’hôpital et ne retrouve qu’avec amertume cet environnement si impersonnel. L’odeur de tabac flotte autour du lit. Tout comme la douleur, que peinent à soulager les drogues que nous venons lui injecter plusieurs fois par jour.
Ce matin, Herman et Rose sont les premiers patients de ma tournée. La différence entre leur situation respective et leur environnement est frappante. Les patients qui vont suivre seront tout aussi singuliers. Après avoir quitté le quotidien d’un milieu aseptisé, où toute différence sociale est comme gommée par l’institution et dans lequel tout, y compris l’être humain, est classé, regroupé, ordonné, je me retrouve face à un concentré d’humanité brute, sans filtre. À domicile, la vie reprend ses droits. Elle peut être aussi douce et sans accroc chez certains qu’elle est brutale et déchirante chez d’autres. Désormais infirmière libérale, je soigne, je pique, je panse, je perfuse mais, surtout, j’observe, j’écoute, je rassure… Je tisse du lien.