Si l’épidémie récente de la maladie à virus Ebola a attiré l’œil des médias sur les maladies infectieuses émergentes (MIE), ces pathologies préoccupent les chercheurs de nombreux domaines depuis plusieurs années.
La définition d’une MIE retenue par le Haut Conseil de la santé publique dans son rapport publié en juin 2011 est celle adoptée par la Cellule permanente des maladies infectieuses émergentes (CP-MIE). Il s’agit d’« une phénomène infectieux – ou présumé infectieux – inattendu (en référence à ses propriétés intrinsèques ou aux connaissances de la biologie) touchant l’homme, l’animal ou les deux ». Sont comprises les pathologies infectieuses nouvellement apparues ou identifiées, ainsi que les maladies connues, dont l’incidence augmente ou dont les caractéristiques se modifient. On estime que plus de la moitié des MIE sont des maladies animales ayant évolué pour se transmettre à l’homme. Certaines sont transmissibles entre les humains, par exemple la tuberculose. D’autres, comme la dengue, ont besoin d’un vecteur animal. Les maladies infectieuses sont responsables de 43 % des décès dans les pays en voie de développement, contre 1 % dans les pays industrialisés. Comprendre leur fonctionnement est complexe, organiser la lutte contre leur propagation aussi. « La première difficulté est de savoir que l’on est face à un phénomène inconnu. La plupart des malades présentent des symptômes proches de ceux de la grippe », souligne Pedro Conches, infirmier de santé publique (ISP) à l’ARS de Bourgogne.
Il est difficile de nommer et de décrire toutes les MIE, mais certaines sont emblématiques par leur incidence, leur rapide propagation ou leur mutation. Au premier chef se trouve la maladie à virus Ebola, apparue en 1976 entre le Soudan et la République démocratique du Congo, et transmissible d’homme à homme. L’épidémie récente est due à la migration du virus, probablement transporté par des chauves-souris dans des zones très peuplées de l’Afrique de l’Ouest. Cette flambée est la plus meurtrière : début janvier 2015, un bilan de l’OMS a fait état de plus de 8 000 morts.
Dans l’histoire récente, on peut aussi mentionner le SRAS (Syndrome respiratoire aigu sévère), révélé lors d’une épidémie en février 2003 et lié à un coronavirus. Le réservoir précis du virus et sa capacité d’adaptation sont méconnus : l’épidémie mondiale, qui a fait 774 morts et touché plus de 8 000 personnes, a pris fin officiellement en juillet 2003, sans que l’on ait pu avancer sur ces points. Les mesures sanitaires telles que la détection précoce, la protection des soignants et l’isolement, voire la quarantaine pour certains cas, ont permis d’endiguer la contagion.
Un autre coronavirus, proche de celui du SRAS, est responsable du syndrome respiratoire du Moyen-Orient (Mers-CoV). Découvert en septembre 2012 en Arabie Saoudite, le virus avait touché, deux ans plus tard, 887 personnes dans le monde, dont 352 sont décédées. Des recherches sont en cours pour déterminer comment circule le virus. Plusieurs pistes évoquent les dromadaires comme possibles réservoirs. Une transmission interhumaine a été documentée. On peut encore citer le virus du Nil occidental, le chikungunya ou la dengue. D’autres maladies, que l’on pensait éradiquées ou presque, refont surface. La rougeole, qui avait fortement diminué en France après l’introduction du vaccin en 1983 (on comptait en 2004 moins de 4 500 cas, contre 331 000 en 1986, d’après l’Institut de veille sanitaire), connaît une nouvelle poussée, due notamment au refus de certains parents de faire vacciner leur enfant. En 2011, environ 15 000 cas ont été signalés en France. Ailleurs dans le monde, c’est la poliomyélite, la lèpre et la tuberculose qui resurgissent.
« Notre inquiétude majeure concerne les bactéries multi-résistantes [BMR] et les impasses thérapeutiques qu’elles engendrent », alerte le Pr Christian Rabaud, chef de service au CHU de Nancy et membre de la Société de pathologie infectieuse de langue française (Spilf). Les ERG (entérocoques résistants aux glycopeptides), aussi appelés ERV (entérocoques résistants à la vancomycine), sont bien implantés en Allemagne et aux États-Unis, mais pas encore en France. Les BLSE (bactéries productrices de bêtalactamases à spectre étendu) sont présentes en France et responsables de « 3 à 6 % des infections urinaires », selon le Pr Rabaud. Enfin, contre les EPC (entérobactéries productrices de carbapénèmases), presque aucun antibiotique n’est actif. Particulièrement dangereuses à l’hôpital, ces BMR seraient déjà responsables de 23 000 morts aux États-Unis et de 25 000 décès en Europe, surtout du Sud.
« Il y a toujours plusieurs facteurs expliquant qu’une maladie latente se transforme en pandémie », souligne Fabienne Keller, vice-présidente de la Délégation sénatoriale à la prospective, qui a dirigé le rapport « Les nouvelles menaces des maladies infectieuses émergentes en 2012 ». Elle pointe du doigt, pêle-mêle, les concentrations de populations, les changements climatiques, les conditions d’hygiène dégradées et les réseaux de soins peu structurés de certains pays. « Les nouveaux comportements humains jouent un rôle important dans la transmission des agents infectieux : voyages, migrations, alimentation industrialisée qui implique la circulation des animaux, etc. », renchérit Pedro Conches.
Il est impossible d’agir directement sur une bonne partie de ces facteurs, d’autant plus qu’ils varient d’une maladie à l’autre. « Il est important de mettre en place des réseaux de surveillance et d’information, de créer des habitudes de travail entre spécialistes de différentes disciplines, pour pouvoir réagir au plus vite quand une nouvelle crise survient », insiste la sénatrice du Bas-Rhin.
L’approche plurisectorielle a fait ses premiers pas au début de l’épidémie de VIH/Sida. « Dès le début, en France, la recherche s’est organisée en étroite collaboration avec les patients, le milieu hospitalier, la recherche publique et le secteur privé. Les réseaux, les programmes de recherche, la collaboration avec les industriels ont abouti, dès 1985, à la mise sur le marché de tests sérologiques, puis au développement des antirétroviraux », a rappelé, lors du séminaire de 2014, Françoise Barré-Sinoussi, qui a reçu le prix Nobel de médecine en 2008 pour avoir identifié avec Luc Montagnier, en 1983, le virus du Sida. Ce « travail en temps de paix » est aujourd’hui assuré par les séminaires annuels consacrés aux MIE. Une collaboration pluridisciplinaire encore perfectible, selon Fabienne Keller.
Les réseaux mis en place pour le VIH/Sida n’ont pas de pendant aussi efficace pour les autres pathologies. Pour autant, la veille sanitaire est organisée en France. Les maladies à déclaration obligatoire font l’objet d’un signalement par les professionnels de santé à l’INVS, via les Cire (Centres interrégionaux d’épidémiologie) et les ARS, et les préfectures travaillent de concert avec ces organismes. « Chaque nouvelle directive est répercutée sur tous les acteurs, de la même façon, sur tout le territoire métropolitain », souligne Pedro Conches.
Communiquer avec le ton juste est pourtant un défi majeur de santé publique. Tout le monde garde à l’esprit l’exemple de la grippe H1N1. L’imposant dispositif s’étant révélé sans réel fondement, la population a rejeté l’action des soignants. Résultat : des professionnels discrédités, et un recul global de la vaccination. Pourtant, dans l’éventualité d’une crise sanitaire importante liée à une MIE, l’adhésion du public au discours des médecins et des infirmières est indispensable. « Il faut transmettre aux professionnels des informations fiables, vérifiées, pour qu’ils puissent ensuite les relayer aux autres citoyens », insiste Fabienne Keller.
Particulièrement exposés au risque infectieux par les contacts avec les patients, leur rôle ne se limite pas à informer et à soigner. Ils doivent aussi prendre toutes les précautions nécessaires pour ne pas être vecteurs des agents pathogènes. Le SRAS, par exemple, a été diffusé, à son corps défendant, par un médecin ayant séjourné dans un hôtel international à Hong Kong…
→ Le Pr Christian Rabaud, chef du service maladies infectieuses du CHU de Nancy et membre de la Spilf, prévient : « Si l’on n’y prend pas garde, on sera bientôt incapables de traiter une bonne partie des infections urinaires. Les bactéries qui se développent sont de plus en plus résistantes aux antibiotiques. » Depuis plusieurs années, des campagnes militent pour une utilisation raisonnée de ces médicaments.
→ Comment les infirmières peuvent-elles agir ? « Elles ont d’abord un rôle de vigilance, explique-t-il. À l’hôpital, on poursuit parfois des antibiothérapies juste parce qu’on a oublié de les arrêter. Elles peuvent questionner les médecins sur l’intérêt de continuer le traitement quand le patient va mieux. » Les IDE peuvent aussi proposer d’enlever les sondes urinaires avant dix jours. Au-delà de ce délai, les infections sont quasi systématiques. « Mais cela peut parfois signifier de devoir changer les patients plus souvent. »
→ Le but de la Spilf : se rapprocher des pays nordiques, qui prescrivent trois fois moins d’antibiotiques et font face à trois fois moins d’antibiorésistance. « La lutte contre les BMR est un enjeu de santé publique majeur, bien plus que la lutte contre Ebola », martèle le Pr Rabaud.
→ Enjeux pluridisciplinaires des MIE : émission « Treize minutes » de l’université Paris Diderot, suivre http://petitlien.fr/7s3z
→ « Les MIE, état de la situation et perspective », rapport remis en 2011 au Haut Conseil de la santé publique.
→ Actes du séminaire annuel sur les MIE, suivre http://petitlien.fr/7s40
→ Recommandations, états de situation et protocoles à suivre (voir notamment la section Docs/Alertes) sur infectiologie.com.
→ « Responsabilité et environnement », n° 51 des Annales des Mines, consacré aux MIE (Cairn.info)
→ Cours en ligne dispensé de mars à mai par le Pr Antoine Flahault aux prof. de santé. Inscriptions sur france-universite-numerique-mooc.fr