SOINS PALLIATIFS
SUR LE TERRAIN
INITIATIVE
À Liège, une dizaine d’infirmières de seconde ligne se rendent au domicile de patients en soins palliatifs. Elles apportent un soutien psychologique au malade, à la famille et aux infirmières indépendantes, ainsi qu’une expertise en matière de soins. On compte 28 équipes de ce type en Belgique.
Une dizaine d’infirmières, trois médecins, une psychologue et une kinésithérapeute composent l’équipe soignante de l’association belge Delta. Ce petit groupe de professionnels fait vivre une structure d’un genre inconnu en France : un service de soutien de seconde ligne en soins palliatifs. Ainsi, au domicile du patient, les infirmières de seconde ligne, et parfois la psychologue, offrent leur appui tant au patient et à ses proches qu’aux soignants intervenant en première ligne, explique Dominique Briard, infirmière de formation et coordinatrice du service. Les interventions ont lieu toutes les semaines ou tous les quinze jours pendant un ou deux mois, et se font sous deux conditions : tout d’abord, l’un des aidants ou des professionnels de première ligne doit en faire la demande auprès de Delta. Ensuite, le médecin traitant doit donner son accord écrit. Elles prennent fin lors du décès du patient ou lorsque sa situation devient chronique, mais les infirmières peuvent être recontactées à tout moment pour reprendre l’accompagnement. En Belgique, les soins palliatifs à domicile sont particulièrement développés, notamment depuis une expérimentation menée dans les années 1990. « À cette époque, 70 % des gens mouraient à l’hôpital et 30 % à domicile, alors qu’en fait, les 70 % voulaient mourir à domicile », souligne Dominique Briard. De plus, l’essai a démontré que le coût des soins palliatifs à domicile était moins élevé. Diverses mesures ont ainsi été mises en place, dont les équipes de soutien de seconde ligne du type de Delta, créées en 1999 par un arrêté royal. Il existe 28 équipes en Belgique, soit une par province environ. Financées par l’assurance maladie fédérale (INAMI), elles sont rattachées à une plateforme de soins palliatifs dont les missions portent sur l’information, la formation et la sensibilisation.
Les infirmières de seconde ligne sont souvent sollicitées pour apporter un soutien psychologique, notamment aux infirmières libérales. « Certaines suivent des patients depuis des années, et c’est souvent difficile de les voir décliner », observe Nadine Muyters, infirmière à Delta depuis 2005. Tout comme il est délicat de se retrouver face à leur souffrance, et parfois à la croisée de positions familiales contradictoires. À domicile ou au téléphone, l’équipe Delta prend le temps d’écouter les soignantes. « Cela leur permet de prendre du recul par rapport à ce qu’elles vivent », poursuit Nadine, et aussi de réaliser les soins dans une atmosphère sereine. Quand le « soutien émotionnel » ne suffit plus ou que Nadine sent qu’elle atteint ses limites, elle passe la main à Charline Waxweiler, la psychologue de l’association, qui intervient séparément, deux ou trois fois, auprès des infirmières de première ligne, des proches ou des patients. Et en cas de difficulté de communication entre les différents intervenants, des rencontres sont organisées pour permettre à chacun d’exprimer son point de vue et d’entendre ceux des autres.
Les IDE de seconde ligne ne réalisent pas de soins, si ce n’est pour les expliquer aux infirmières de première ligne, mais elles aident à trouver des solutions à l’inconfort ou à la douleur, présentent le fonctionnement d’une pompe à morphine, montrent comment piquer dans un PAC et mettent en place des aides matérielles ou humaines. Elles communiquent aussi avec les médecins traitants qui ont préalablement donné leur accord, notamment « quand un élément nouveau apparaît dans la situation du patient », explique Nadine. « J’essaie également de les mettre en relation avec les médecins de Delta ». Même réduite, l’implication de ces derniers dans le cadre de l’intervention de Delta apporte une importante caution médicale à leur démarche.
« Travailler en soins palliatifs n’est pas simple, cela peut parfois décourager, remarque Emmanuelle Grassagliata, infirmière indépendante de première ligne. Avec Delta, on se sent moins seule et les situations sont moins dures à vivre. » Son souhait ? Que Delta puisse intervenir pour toutes les prises en charge en soins palliatifs à domicile. L’approche spécifique des infirmières de Delta, leur expertise en matière de soins et de traitement et leur qualité d’écoute sont autant de raisons expliquant pourquoi Emmanuelle les sollicite systématiquement. Pourtant, elle n’obtient pas toujours l’accord du médecin traitant. « Dans les situations compliquées, quand, par exemple, la famille est en colère contre le monde médical parce qu’elle n’a pas encore accepté la situation, les infirmières de seconde ligne nous apportent un vrai soutien psychologique. Quand Delta est là, le climat s’apaise… Je les ai appelées des dizaines de fois pour parler, me confier. Et on cherche ensemble des solutions », ajoute-t-elle. Une permanence téléphonique 24 heures sur 24 est assurée par l’équipe, qui répond aux demandes de soutien ou de conseil, mais qui peut aussi se déplacer pour relancer une pompe à morphine, apporter une trousse de soins ou des aiguilles pour les PAC.
« Dès le début de ma carrière, j’ai commencé à me poser des questions sur la fin de vie, explique Nadine Muyters. Je trouvais qu’il y avait beaucoup de lacunes dans la prise en charge de la souffrance morale et physique des personnes. » Elle décide donc d’intégrer une formation en soins palliatifs : « C’était ce qu’il me fallait ! J’ai réalisé qu’il existait des réponses à mes questions. » Elle venait tout juste de valider sa formation quand un poste s’est libéré au sein de l’équipe Delta. Dans les premiers temps, elle a accompagné les plus anciennes, en visite et au téléphone, afin de se familiariser avec le positionnement particulier de l’infirmière de seconde ligne.
Dans l’équipe, le travail interdisciplinaire est essentiel. « Les infirmières ont par exemple une analyse différente de celle des médecins. C’est important qu’ils se parlent beaucoup », insiste Dominique Briard. Toute l’équipe se retrouve lors de réunions hebdomadaires pour discuter des situations rencontrées et échanger sur leurs pratiques lors de réunions de supervision mensuelles. Très autonomes dans l’organisation de leurs visites, les infirmières retrouvent chaque jour, au siège de l’association, leur bureau, leur téléphone et leurs dossiers. Elles prennent du temps pour se poser avec leurs collègues ou pour s’entretenir avec la psychologue de l’association. « Je suis là pour les soutenir dans leurs réflexions, les éclairer dans certaines situations difficiles », explique Charline Waxweiler. De manière informelle, en entretien ou en groupe de discussion thématique, elle accompagne les doutes et les émotions, les réflexions sur les demandes d’euthanasie. Et propose aussi d’autres façons de communiquer avec la famille ou les professionnels, d’autres attitudes pour trouver la bonne distance…
Chez Delta, les horaires sont respectés et les temps de formation sont nombreux. L’équipe connaît un absentéisme très faible, remarque Dominique Briard, qui souligne le professionnalisme des infirmières, « tant dans les questions qu’elles posent que dans la façon dont elles exposent les situations ».
La loi de 2002 dépénalisant l’euthanasie en Belgique a complexifié la question des soins palliatifs qui, justement, s’étaient partiellement développés en opposition à cet acte. Cette loi a donné lieu à d’intenses discussions au sein de l’association Delta. Il n’était pas question de devenir une « équipe euthanasiante », souligne Dominique Briard. En positionnant davantage l’action de Delta dans le cadre de la fin de vie, « cette loi a finalement ouvert notre façon de penser », ajoute la coordinatrice. Les infirmières de Delta s’attachent ainsi à décoder le sens des demandes d’euthanasie des patients et proposent à chacun d’exprimer son ressenti, avant et après l’acte. Le jour J, l’euthanasie est réalisée par le médecin mais l’infirmière de première ligne qui accepte de poser le cathéter et la perfusion peut demander à une seconde ligne d’être présente. Les infirmières de Delta ont cependant la liberté de refuser d’y assister.
A comme angoisse, B comme bonne mort, C comme coopération… Le livre écrit par l’équipe de Delta et Jean-Pierre Lebrun, psychanalyste, décline sous forme d’abécédaire l’activité de ces professionnels de seconde ligne. Il expose les valeurs qui animent l’équipe et le cheminement de leur réflexion sur leur rôle auprès des patients et des professionnels. Un condensé émaillé de situations concrètes et de témoignages de soignants.
Soins palliatifs : le dernier manteau, Érès, avril 2014.