Autonomie, goût des responsabilités ou sens relationnel sont autant de qualités exigées des infirmières de psychiatrie de liaison. Leur mission ? Favoriser la bonne prise en charge somatique des patients souffrant de troubles psychiques.
Déambulation nocturne, sentiment de persécution, propos contradictoires, hallucinations… En difficulté avec M. K.
Les infirmières interviennent à la demande des services intrahospitaliers : médecine, chirurgie, obstétrique, urgences… mais aussi, selon les contextes, en milieu pénitentiaire, dans des Ehpad ou des maisons d’accueil spécialisé. La demande émane parfois d’un service de psychiatrie s’il y a lieu d’accompagner un patient nécessitant une hospitalisation somatique. Syndromes dépressifs, tentatives de suicide et troubles du comportement constituent l’essentiel des motifs. À Lorient, au CH de Bretagne Sud, la liaison est rattachée à l’Unité médico-psychologique basée aux urgences de l’hôpital général et compte deux postes infirmiers. « L’équipe n’intervient qu’en intrahospitalier et souvent pour des troubles d’adaptation à la structure. Des patients souffrant de pathologies psychiatriques peuvent notamment être envahis par la peur de l’inconnu », pointe Stéphane Mouthon, le cadre de santé. « On voit aussi des patients à qui l’on a découvert une maladie, tel un cancer, des personnes âgées ayant des démences et pour qui le maintien à domicile est difficile, ou de jeunes anorexiques suivies en médecine générale », complète Armelle Glot, infirmière en psychiatrie de liaison à temps plein. Ici, les demandes parviennent à la secrétaire, qui ouvre un dossier. Avant toute rencontre, les éventuels antécédents psychiatriques sont recherchés, voire des éléments de suivi recueillis dans les structures du secteur. L’infirmière travaille en lien étroit avec un psychiatre, en charge de la dimension thérapeutique. « En général, je vois les patients en binôme avec le psychiatre, puis je les rencontre seule s’il faut mener un suivi. Certains malades ne sont vus qu’une fois mais, pour d’autres, la prise en charge dure plusieurs semaines. Notre travail n’est jamais prévisible », explique-t-elle. Après son passage, l’infirmière rend un avis. Elle effectue un bref retour oral puis rédige un compte rendu transmis au médecin prescripteur. À Cadillac, la pratique diffère quelque peu. Après rencontre avec l’équipe, l’une des deux infirmières de liaison se rend au chevet du patient. « Nous avons le luxe de pouvoir prendre le temps, précise l’une d’elles, Hélène Seegers (voir p. 67). Après un long entretien, nous donnons notre avis infirmier au médecin somaticien, qui prend la décision. Nous communiquons en termes de symptomatologie et ne posons pas de diagnostic, même si nous avons notre idée. Nous sollicitons en fait très peu notre psychiatre. »
Œuvrer auprès des soignants fait partie des missions. « Nous devons faire accepter les troubles d’adaptation du patient car cela interfère dans sa prise en charge. Nous sommes un peu le rouage permettant que cela se passe bien sur le long terme », observe Stéphane Mouthon. À Cadillac, où, grâce à des conventions, les infirmières interviennent, outre à l’hôpital, dans une clinique privée, des établissements de convalescence et des Ehpad, le duo cherche à soutenir les professionnels. « En milieu rural, des équipes se révèlent très démunies et en quête d’explications sur la psychopathologie. En Ehpad, notamment, où se retrouvent des personnes démentes, nous avons maints échanges informels. Nous décryptons ainsi par exemple la différence entre tristesse et dépression », témoigne Hélène Seegers. À cette fin, les infirmières passent chaque semaine, hors demandes médicales, partout où elles exercent. Atténuer le cloisonnement somatique-psychiatrique est d’ailleurs l’un des enjeux clés de la psychiatrie de liaison. « La transmission d’un savoir et d’un savoir-faire censés permettre à tous les non-spécialistes d’assurer, par leurs propres moyens, une prise en charge globale optimale de leurs patients, est une mission prioritaire […]. Cela va de la sensibilisation des médecins et des équipes soignantes au fait psychique à un véritable transfert de compétences », écrit ainsi le Pr Silla Consoli, chef de service de psychiatrie de liaison à l’hôpital Georges Pompidou, à Paris
La pratique d’infirmière en psychiatrie de liaison se révèle un exercice de haute voltige. Elle exige d’abord de savoir travailler seul, les équipes étant réduites. « On a une forte autonomie. On est un peu isolé et on peut se retrouver en première ligne », souligne Armelle Glot. Les responsabilités s’en retrouvent accrues. « Les six premiers mois, j’ai flippé ! Devoir donner un avis à un médecin somaticien me paraissait compliqué. Heureusement, nous pouvons interpeller le psychiatre en cas de doute. De plus, avec ma collègue, nous débattons des situations problématiques », témoigne Sophie Le Moine, infirmière en psychiatrie de liaison à Cadillac. Pas toujours facile non plus, en tant qu’infirmière, de devoir effectuer un retour au médecin contredisant sa perception, comme pour M. K. Ni, d’ailleurs, d’adapter son vocabulaire pour que le message passe avec tous les professionnels. L’exercice suppose en outre de l’humilité. « L’infirmier ne peut pas arriver en disant : “Vous n’y connaissez rien, c’est moi l’expert !” Il doit respecter les compétences des partenaires, tels les aides-soignants qui détiennent plein d’informations utiles », assure Jean-Michel Bourelle, pour qui cela implique d’écouter ce que les autres ont compris d’une situation et de tenir compte de leurs difficultés. « Parfois, une infirmière se retrouve seule avec les patients de tout un étage. Lorsqu’ils manifestent en plus des troubles psychologiques ou découlant d’une pathologie psychiatrique sous-jacente dont elle n’a pas l’habitude, ça n’a rien d’évident. » Au fil du temps, cependant, des améliorations sont perceptibles. « À force de faire des topos, les équipes s’imprègnent de notre approche. On ne s’impose pas dans leur système mais on démontre l’intérêt de ce qu’on peut apporter », assure Stéphane Mouthon. Même observation à Cadillac, où le travail infirmier a modifié certains regards. « On a un peu un rôle de formateur. Je constate que l’accueil a évolué aux urgences », atteste Sophie Le Moine. Une excellente connaissance du réseau, de ses fonctionnements et dysfonctionnements se révèle enfin incontournable. « Le travail d’infirmier de liaison en est aussi un de partenariat et donc de construction », insiste Jean-Michel Bourelle. Les infirmières sont en effet amenées à faire le lien avec d’autres structures (CMP, services addictologiques, PMI, psychiatrie privée, etc.), afin d’instaurer des relais pour certains patients.
La liaison n’étant pas une spécialisation, aucune formation spécifique n’est exigée. Il en existe d’ailleurs peu. Une réalité qui incite le Pr Patrick Hardy, chef de service de psychiatrie à l’hôpital de Bicêtre et coresponsable d’un DIU (voir encadré), à s’interroger: face au constat que « des services, notamment en cancérologie, ont monté leurs propres équipes de liaison », il se demande « si cette activité d’interface a une homogénéité suffisante, au plan conceptuel et de l’analyse des pratiques, pour faire l’objet d’une formation de base commune, ou si elle doit être fragmentée, chacun définissant ses propres besoins, au risque du compartimentage ». De son côté, Jean-Michel Bourelle, qui a enseigné en IFSI, estime qu’au plan infirmier, « la formation initiale est insuffisante et [que] la liaison mériterait des montages spécifiques ». Le consultant note ainsi la nécessité « d’une consolidation des savoirs en psychiatrie, d’une formation solide à l’entretien, d’un développement des compétences en lien avec la transmission, l’approche partenariale, etc. » Les infirmières, quant à elles, estiment indispensable la formation continue et suivent des modules variés : psychopathologie, crise suicidaire, communicabilité, relation d’aide, syndrome post-traumatique, systémie, etc. Elles recommandent aussi de ne pas se lancer sans expérience. Ce que confirme le consultant : « Être infirmière de liaison sans une bonne compréhension de la psychopathologie et une solidité clinique me paraît risqué. Il faut aussi être rompu à des techniques de soins tel l’entretien à la relation d’aide. C’est fondamental pour le bien du patient et la sécurité du professionnel. » Il est enfin impératif d’être à l’aise avec les aspects somatiques. « Il faut bien connaître les pathologies organiques car tout est intriqué: les traitements, les interactions médicamenteuses et les soins techniques aussi, ne serait-ce que pour parler le langage des équipes », insiste Armelle Glot.
Au-delà des connaissances, la personnalité des infirmières compte. « La liaison est d’abord une affaire d’aptitudes », affirme Jean-Michel Bourelle. Parmi elles : la capacité d’ouverture, le goût de la relation, le sens de la responsabilité et l’assertivité – ou capacité d’affirmer son avis. À cela il convient d’ajouter une belle dose de souplesse pour s’adapter aux équipes et aux situations, de la patience « pour garder son calme et affronter le stress, voire la colère des autres », selon Sophie Le Moine, et, pour Hélène Seegers, « une bonne tolérance à la frustration ». Côté conditions de travail, rien de particulier. Les infirmières sont pour la plupart présentes en journée du lundi au vendredi. Quant à leur salaire, il respecte les grilles de la fonction publique. Un point mérite cependant attention: le risque d’usure. « En liaison, on est dans un face-à-face avec le patient qui ne va pas bien, confronté à des situations parfois terribles, et il n’y a personne pour assurer un relais », prévient le formateur. Pour prendre de la distance, les infirmières sont donc appelées à bénéficier de réunions d’analyses de pratiques et de supervision clinique. Malgré la complexité de la tâche, les infirmières se disent passionnés. « Tout ce que j’aime en psychiatrie, je le fais maintenant », s’enthousiasme Sophie Le Moine. « C’est hyper intéressant d’évaluer des situations en milieu somatique, car il faut tout recouper, travailler en pluridisciplinarité, dans l’imprévu. C’est un exercice très varié. » Et qui semble promis à un bel avenir. « Le rôle des infirmières, même si leur nombre reste encore restreint, est essentiel et amené à se développer », affirme ainsi le Pr Silla Consoli. Une tendance que pourrait accélérer le manque de plus en plus criant de psychiatres. « Le besoin bascule vers le monde infirmier », constate Jean-Michel Bourelle, pour qui l’essor du « travail de liaison et de partenariat », comme il le nomme, pourrait, à terme, s’inscrire dans un dispositif de pratiques avancées.
1- Cas présenté lors du congrès « Soins somatiques et douleur en santé mentale », organisé à Paris en juin 2014 par l’Association nationale pour la promotion des soins somatiques en santé mentale.
2- Psychiatrie de liaison – Quelles sont les qualités exigibles d’une équipe de psychiatrie de liaison ? Annales médico-psychologiques n° 163, 2005.
3- Le Livre blanc de la psychiatrie – Fédération française de psychiatrie, 2003, Éd. John Libbey Eurotext.
« En pédopsychiatrie de liaison, à l’hôpital Necker, il y a une réelle relation de confiance et mon avis compte. Les décisions sont vraiment collégiales », se réjouit Maria Pistuddi, l’infirmière de liaison. Dans cet établissement parisien, les enfants sont soignés en pédiatrie générale, voire dans d’autres services. Beaucoup ont tenté un suicide. D’autres cumulent pathologie organique et problème psychologique ou psychiatrique. « Certains ont des espérances de vie très courtes et des angoisses de mort très violentes », précise-t-elle. Maria Pistuddi assiste aux entretiens médicaux avec le pédopsychiatre et propose des soutiens aux patients. « J’effectue parfois seule un premier entretien pour évaluer l’urgence », détaille-t-elle. L’infirmière réalise aussi des entretiens à la demande du patient, notamment avec les adolescentes, qui évoquent plus facilement certains sujets avec une infirmière. Les parents sont également pris en charge. Dans le cas des jeunes suicidants, trois entretiens parentaux sont ainsi prévus durant l’hospitalisation. Maria Pistuddi, qui a travaillé en pédiatrie et s’est formée à la pédopsychiatrie, informe les équipes sur le suivi de l’enfant, apaise les situations. « J’explique aux infirmières les réactions du jeune qui les dérange, je les forme à la psychopathologie des enfants. » Parmi les difficultés, l’infirmière pointe le décalage entre temps psychique et somatique, la vigilance dont il faut faire preuve pour ne pas être entraîné à outrepasser son rôle, ou encore la confrontation à des décès d’enfants.
À lire : La pédopsychiatrie de liaison – L’hôpital Necker au quotidien – Sous la dir. de P. Canouï, B. Golse et S. Séguret, 2012, Éd. Érès.
→ Les universités Paris-Descartes et Paris-Sud organisent en commun à partir de l’année 2015-2016 un DIU « Psychiatrie de liaison et soins somatiques en santé mentale ». Cette formation, qui résulte de la fusion du DU « Soins somatiques en santé mentale » et du DIU « Psychologie médicale et psychiatrie de liaison », dont les objectifs sont complémentaires, est ouverte aux professionnels de santé ayant une activité en relation directe avec la psychiatrie de liaison. Mr le Dr Djea Saravane
Tél. : 01 82 26 81 09 (secrétaire)
→ Le Grieps, uncentre de formation continue à Lyon, proposera à partir de novembre 2015 une formation courte à la psychiatrie de liaison et de partenariat. Ouverte à tous les professionnels de santé, elle sera néanmoins très centrée sur le rôle infirmier, fera la part belle à l’analyse de situations cliniques vécues et prendra en compte le contexte d’exercice des participants.
Tél. : 04 72 66 20 42