Le projet de loi de santé autorise les paramédicaux à exercer en « pratiques avancées ». L’attente est forte chez les infirmières cliniciennes, qui pâtissent d’un manque de reconnaissance.
La famille des infirmières va bientôt s’agrandir. La petite dernière, l’infirmière de pratique avancée (IPA)
Née aux États-Unis dans les années 1950, l’IPA, de niveau master, est aujourd’hui reconnue dans une vingtaine de pays, dont la Suisse, le Royaume-Uni et le Canada. En France, la spécialité est en gestation depuis une vingtaine d’années. Les années 1980 ont vu apparaître les premières infirmières cliniciennes « certifiées » et spécialistes cliniques, développant une expertise dans le champ du rôle autonome. Pour répondre aux besoins de santé créés par le vieillissement de la population, le développement des maladies chroniques et les problèmes de démographie médicale, de nombreux rapports plaident dans les années 2000 pour la création de métiers « intermédiaires » entre les paramédicaux et les médecins. Une importante étape vers la pratique avancée est franchie en 2009. D’une part, avec l’article 51 de la loi HPST, autorisant les délégations de tâches à titre dérogatoire et, d’autre part, grâce à la création du master sciences cliniques en soins infirmiers par l’École des hautes études en santé publique (lire ci-dessous) et l’université d’Aix-Marseille. Un progrès poursuivi par l’ouverture du master de Sainte-Anne/Université de Versailles-Saint-Quentin en 2011.
D’après les estimations du Réseau de pratiques avancées en soins infirmiers (Repasi), quelque 1 500 IDE cliniciennes, 150 spécialistes cliniques et une centaine de titulaires de master en sciences cliniques infirmières exerceraient actuellement en France. Une enquête menée en 2014 par le Repasi, à laquelle ont participé 240 soignantes, met en avant leur expertise : elles cumulent en moyenne 21 ans d’expérience professionnelle et 80 % d’entre elles ont suivi des formations complémentaires. Leurs domaines : les soins palliatifs et la douleur (54, %), la cancérologie (27,5 %), l’éducation/consultation (24,2 %), la coordination (12,5 %), les plaies, la formation, la gérontologie (9,2 % chacun) et la pédiatrie (4,2 %). Des compétences qui ne sont que rarement valorisées. L’enquête montre que seulement 20 % des répondantes ont un poste dédié ; seules 5 % déclarent être rémunérées à hauteur de leur expertise ; 28 % le sont peu et 67 % ne le sont pas du tout. « Il y a un problème d’employabilité et de reconnaissance », admet Florence Ambrosino, la coordinatrice du Repasi. L’absence de statut officiel et de grille indiciaire ou de cotation d’actes spécifiques y est pour beaucoup. Les évolutions législatives sont donc attendues de pied ferme. Des passerelles (accès direct en master 2, VAE) devraient permettre à certaines cliniciennes d’accéder aux pratiques avancées.
Florence Ambrosino évoque également les « craintes » des professionnels de santé, dont les médecins, qui redoutent de voir ces soignantes « empiéter sur leur domaine de compétences ». Les cadres de santé ne voient pas toujours d’un bon œil ces infirmières qui veulent exercer leur leadership auprès des équipes. « Ce n’est pas le même positionnement, explique-t-elle. Les cadres font du management, de la gestion de planning, alors que les infirmières cliniciennes portent des projets, mettent en place des protocoles de soins et restent au chevet du patient. »
En cause, aussi, une méconnaissance de ces fonctions de la part des directeurs des soins et des cadres. Or, le soutien de la direction est essentiel pour financer la formation de l’IDE, son remplacement, et mettre en place un projet permettant de réinvestir ses nouvelles compétences. Ce n’est pas un hasard si près de la moitié (43,3 %) des répondantes à l’enquête du Repasi exercent en libéral. « Les Idel peuvent plus facilement dégager du temps et trouver un financement », souligne Florence Ambrosino, qui a réussi à caser une douzaine d’allers-retours Marseille-Paris et trois mois de stages dans son emploi du temps chargé d’Idel. Détentrice d’un master depuis 2013, elle est aujourd’hui formatrice en plaie et cicatrisation à temps partiel.
Certaines institutions se distinguent par leur volontarisme : l’ARS d’Île-de-France porte le projet Prefics (préfiguration infirmière clinicienne spécialisée), qui vise à utiliser les compétences infirmières pour répondre à des besoins de santé dans des domaines prioritaires : santé mentale et psychiatrie, personnes âgées, maladies chroniques. Mis en route en 2014, il implique une quinzaine d’établissements volontaires pour mettre en place des expérimentations et former des IDE en master. De son côté, l’ARS finance le remplacement des soignantes en formation. Elles sont trois à l’EPS Maison Blanche, chacune positionnée sur un projet. L’hôpital psychiatrique parisien vient ainsi de constituer une équipe mobile avec pour mission de prévenir les troubles psychiatriques et de favoriser le maintien à domicile des personnes âgées. Deux autres projets porteront sur la réhabilitation sociale des patients porteurs de pathologies mentales sévères et sur l’accès aux soins somatiques des patients suivis en ambulatoire. « 80 % n’ont pas de médecin référent et beaucoup ont d’importantes comorbidités », souligne Jean-Pierre Andrieu, cadre supérieur de santé. L’infirmière clinicienne spécialisée devra « faire le lien entre les centres médico-psychologiques et les centres de santé et accompagner les équipes dans les situations complexes ». Comme pour de nombreux étudiants en master, l’avenir professionnel de Baptiste Oriez, 30 ans, en 2e année à Sainte-Anne, reste à définir. Infirmier au centre thérapeutique de Nancy, il veut développer de nouveaux outils de prise en charge des auteurs de violences sexuelles. « Le master est un point de départ, on n’aura pas un poste clé en main à la sortie. Les diplômés doivent porter des projets. Ça leur laisse une liberté d’action », témoigne-t-il, impatient de relever le défi.
1- Infirmière de pratique avancée est un terme général englobant deux fonctions : l’infirmière clinicienne spécialisée, qui dispense des soins experts dans le champ du rôle autonome, et l’infirmière praticienne, qui se voit confier des tâches auparavant exercées par un médecin.
L’unique département des sciences infirmières et paramédicales (DSIP) français est sur le point de fermer ses portes. Créé en 2009 au sein de l’École des hautes études en santé publique (EHESP) par Monique Rothan-Tondeur, il avait permis de « rattraper le retard accumulé en France depuis 1995, date de fermeture de l’école internationale de Lyon », relève Christophe Debout, qui a dirigé le département entre 2012 et 2014. Le DSIP a, en effet, été à l’origine du premier master sciences cliniques infirmières. Après une « année de transition », le M1 sera transféré dès la rentrée prochaine à l’université d’Aix-Marseille, qui gérait déjà le M2. L’EHESP entend ainsi recentrer ses activités. « On ne forme pas des soignants, mais des cadres, explique Laurent Chambaud, son directeur. Je suis convaincu de la nécessité d’avoir des masters et des doctorats en sciences infirmières, mais intégrés à une faculté de santé. » Les universités d’Île-de-France, de Limoges, de Bordeaux ou encore, de Nancy seraient prêtes à prendre le relais.
1- Les infirmières cliniciennes sont-elles reconnues en France ?
Statutairement, non. Seules trois spécialités sont reconnues par le code de la santé publique : Ibode, Iade et puéricultrice. Le cadre de la fonction publique laisse peu de marge de manœuvre pour reconnaître cette fonction, même si certains établissements tentent de l’exploiter, comme le CH de Valenciennes, qui valorise la plus-value apportée. Mais là où elles exercent, leur expertise est reconnue et mise à profit. Les cliniciennes sont souvent référentes dans leur service ou dans leur pôle. Elles sont intégrées à des équipes transversales douleur, soins palliatifs ou gériatrie. On leur confie l’animation de consultation, etc. Il faut aller au-delà, avec une juste rémunération.
2- Hormis le statut, quels sont les obstacles ?
La polysémie en France est source de confusion. Le Plan Cancer III prévoit la création du métier d’« infirmière clinicienne », là où, dans les autres pays, on parlerait d’infirmière « praticienne », au regard des activités qui lui seront confiées (diagnostic, adaptation de prescription…). Pourquoi créer une exception culturelle qui va compliquer la vie de tout le monde ? Utilisons la terminologie internationale, ce sera plus simple pour établir des comparaisons de résultats.
3- Sur quoi doivent déboucher les travaux ministériels qui vont s’ouvrir cette année ?
Il faut une réglementation claire, avec des qualifications qui construisent des compétences, une rémunération adaptée et une régulation spécifique de ces professionnelles. Il devra également y avoir une démarche d’accompagnement du changement, avec un message approprié pour les patients, les médecins, les directeurs des soins, les professions paramédicales et les acteurs du secteur médico-social.
PROPOS RECUEILLIS PAR A. M.