L'infirmière Magazine n° 357 du 01/02/2015

 

FORMATION

LA PATHOLOGIE

DENIS RICHARD  

L’entérocolite nécrosante néonatale (ENN) s’observe essentiellement chez le prématuré. Elle constitue l’urgence médico-chirurgicale digestive la plus commune en néonatalogie. Des soins médicaux et chirurgicaux adaptés limitent la mortalité des formes sévères.

1. DESCRIPTION

Les premières évocations d’ENN remontent au début du XIXe siècle : à cette époque, la maladie était considérée comme une infection nosocomiale. Il a fallu attendre les années 1970 pour que soient publiées les premières recommandations de prise en charge.

Également appelée entérocolite ulcéro-nécrosante (ECUN), cette maladie a une définition avant tout anatomopathologique : elle se caractérise par l’apparition puis le développement d’un infarcissement hémorragique de la muqueuse intestinale inflammée, avec constitution de plages de nécrose ischémique et hémorragique débutant sur le versant luminal (et affectant parfois tout le tube digestif). Elle peut induire des ulcérations, elles-mêmes susceptibles d’évoluer vers une perforation digestive puis vers une péritonite : il s’agit d’une urgence digestive médico-chirurgicale.

Étiologie

L’étiologie de l’ENN étant multifactorielle, plusieurs causes sont intriquées : nourriture lactée, microbisme, immaturité digestive. Plus précisément, les facteurs le plus souvent incriminés sont au nombre de quatre :

→ Prématurité. C’est un facteur essentiel de survenue d’une ENN car, chez le prématuré, le système immunitaire, encore immature, est moins compétent. De plus, la motricité digestive est réduite, la sécrétion muqueuse et la perfusion sanguine entérique sont insuffisantes et la barrière intestinale est moins fonctionnelle. Au final, l’intestin, plus sensible, est plus perméable aux agressions bactériennes.

→ Facteurs infectieux. L’intestin du prématuré est rapidement colonisé par une flore diversifiée dès sa naissance, qui entre en interaction avec la muqueuse. Un micro-organisme (staphylocoque, entérobactérie, entérocoque, mais aussi virus à tropisme entérique : rotavirus, norovirus, coronavirus, etc.) est retrouvé dans environ un tiers des cas d’ENN : ceci suggère une participation importante des facteurs infectieux au développement de l’affection, qu’il s’agisse d’une infection materno-fœtale, d’une méningite, d’une septicémie, ou d’autres causes (il a ainsi été décrit une ENN à Enterobacter sakazakii semblant provenir d’aliments lactés en poudre ayant été contaminés ; Clostridium difficile, une bactérie anaérobie colonisant volontiers l’intestin du nouveau-né, est un agent causal régulièrement isolé).

Les endotoxines bactériennes libérées in situ entraînent la sécrétion réactionnelle de médiateurs pro-inflammatoires (PAF, TNF, interleukines 1 et 6, etc.), d’où une inflammation muqueuse chronique contribuant elle-même à aggraver l’entérocolite.

Ces considérations renforcent l’intérêt porté à la prophylaxie de l’ENN par administration de probiotiques (voir p. 54).

→ Alimentation. Stase entérale liée à l’hypomotilité, dilatation des anses et dysbiose microbienne expliquent que l’alimentation entérale favorise la survenue d’une ENN, tout comme un début d’alimentation retardé après le 4e au 7e jour, ou une augmentation rapide du volume de la ration quotidienne (> 20 à 24 ml/kg/j). Les lésions inflammatoires s’observent aussi lorsque l’enfant est nourri avec une préparation lactée hyperosmolaire, a été traité par des solutés hypertoniques mal adaptés ou par une antibiothérapie ayant déséquilibré la flore intestinale.

→ Ischémie et hypoxie intestinales. Le risque de survenue d’une ENN est potentialisé par la réduction du flux sanguin mésentérique : l’hypoperfusion induit le développement de lésions ischémiques de la muqueuse, d’où intolérance alimentaire et pullulation microbienne. Elle peut avoir une origine diversifiée : asphyxie périnatale, détresse respiratoire avec apnée et bradycardie, persistance du canal artériel, cardiopathies, retard à la croissance intra-utérine, exsanguino-transfusion, pose d’un cathéter ombilical, etc. L’événement terminal est une nécrose de la paroi avec perforation.

Diagnostic

La fréquence et l’âge de survenue d’une ENN sont inversement proportionnels à l’âge gestationnel et au poids à la naissance. Si elle apparaît généralement dans les 2 à 4 semaines suivant une venue au monde à moins de 30 semaines d’aménorrhée, certains cas s’observent dès les premiers jours suivant une naissance à plus de 34 semaines d’aménorrhée ; d’autres cas, tardifs et rares, surviennent dans les 3 mois.

→ Signes d’alerte. Si le début d’une ENN peut être brutal, avec émission de selles sanglantes et choc septique, il est généralement insidieux. Il faut toujours rester attentif à des signes d’alerte peu spécifiques et discrets : intolérance alimentaire, distension abdominale, modification des selles, etc.

→ Signes cardinaux. Les symptômes cliniques présentés par un prématuré atteint d’ENN sont digestifs et généraux :

• Intolérance digestive avec résidus gastriques plus ou moins bilieux ;

• Météorisme abdominal avec distension ;

• Vomissements ;

• Diarrhées parfois sanglantes ;

• Épisodes de détresse respiratoire (parfois avec apnée) ;

• Instabilité thermique ;

• Léthargie, hypotonie, repliement de l’enfant sur lui-même et parfois grimaces, le tout traduisant une douleur digestive ;

• Tégument prenant parfois une coloration grisâtre.

L’analyse biologique peut révéler une acidose sanguine et une hyperglycémie. Des examens complémentaires confirment le diagnostic clinique :

• La radiographie de l’abdomen sans préparation (ASP) permet de mettre en évidence un iléus (obstruction intestinale complète), une distension des anses, un épaississement pariétal et, quelquefois, une pneumatose intestinale typique (double contour de la paroi trahissant la présence de gaz), voire un pneumopéritoine (surtout en cas de perforation entérique).

• L’échographie intestinale, réalisée en cas de suspicion clinique sans signes radiologiques, met en évidence une éventuelle pneumatose portale et/ou une collection liquidienne péritonéale et/ou une perforation intestinale.

• Le bilan infectieux comprend le dosage de la protéine C réactive (marqueur de l’inflammation), une hémoculture (germes aéro- et anaérobies), une numération formule sanguine (NFS) et l’analyse des gaz du sang (mise en évidence d’une acidose).

• La calprotectine fécale, un marqueur de l’inflammation dosé dans les selles, constitue un marqueur biologique fiable, simple et non invasif de l’ENN en voie d’évaluation.

→ Sévérité. Les signes d’entérocolite permettent de hiérarchiser les cas en fonction de leur sévérité, selon la classification de Bell modifiée par Walsh et Kliegman.

→ Diagnostic différentiel. Le diagnostic d’une ENN peut, du moins dans un premier temps, se révéler délicat. Certains symptômes, notamment les vomissements ou les diarrhées, évoquent les signes d’autres troubles alimentaires associés à la prématurité mais qui sont généralement loin d’être aussi sévères. Pour compliquer la situation, les symptômes précoces de l’ENN, comme l’apnée, une accélération du rythme respiratoire, l’instabilité thermique et la dysglycémie, sont également évocateurs de certains troubles respiratoires ou cardiaques.

2. TRAITEMENTS

Traitement médical

Constituant une urgence, le traitement de l’ENN a deux objectifs essentiels : maintenir les fonctions vitales de l’enfant et mettre un terme à l’évolution morbide des lésions digestives avant qu’elles n’évoluent vers une perforation ou une sténose intestinale (une guérison spontanée peut être observée, mais elle reste rare). Si le pronostic d’une ENN demeure sévère, la survie globale s’est améliorée, passant de 50 % seulement dans les années 1980 à environ 75 %, voire 90 % actuellement. La mortalité est d’autant plus importante que l’âge gestationnel à la naissance est faible, que l’ENN est sévère, que l’alimentation parentérale exclusive a été prolongée et que la longueur de grêle conservée est inférieure à 80 cm.

→ Soutien hémodynamique. Un remplissage au sérum physiologique ou avec un culot globulaire si l’hémoglobinémie est insuffisante permet de maintenir un état hémodynamique satisfaisant. Il peut être utile d’y adjoindre des amines vasopressives (dopamine ou dobutamine).

→ Ventilation. La détresse respiratoire, les troubles hémodynamiques ou une distension abdominale importante comprimant les poumons rendent souvent nécessaire le recours à une ventilation assistée avec intubation concourant au succès de l’antalgie thérapeutique (elle doit accompagner toute administration d’opioïdes).

→ Antalgie. L’ENN étant douloureuse, un antalgique de palier I, II, voire III est systématiquement administré au prématuré.

→ Antibiothérapie. Le stade 1 de l’affection ou un soupçon d’ENN relève, en règle générale, d’un traitement par trois antibiotiques à spectre large, couvrant les germes aérobies comme anaérobies (métronidazole, céfotaxime ou autre céphalosporine de 3e génération, aminoside ou traitement plus spécifique type clindamycine). Le traitement est instauré généralement pour trois jours mais parfois plus (ex : 10 jours d’administration de vancomycine pour traiter une ENN à Clostridium difficile).

→ Nutrition parentérale. La nutrition entérale (voir fiche p. 55) est suspendue avec relais par voie parentérale (qui met au repos le tube digestif). Elle s’associe à une aspiration gastrique par une sonde double (permettant l’aspiration du contenu entérique, mais aussi la ventilation et l’irrigation entérique).

En l’absence de geste chirurgical, l’alimentation entérale (lait maternel tiré ; lait industriel à base de protéines hydrolysées) est reprise 2 à 3 semaines plus tard (après contrôle radiologique pour détecter une sténose séquellaire – voir plus loin le paragraphe « Complications à court terme »). La réintroduction d’un lait industriel standard est possible vers l’âge de 3-4 mois. Si une iléostomie de décharge est réalisée, l’alimentation gastrique continue est reprise 2 à 3 semaines après l’intervention (lait maternel tiré ; lait industriel à base de protéines hydrolysées). Elle est alors associée à une supplémentation orale en sodium et en vitamines liposolubles compensant les pertes iléales.

Traitement chirurgical

Un avis chirurgical est indispensable dès le premier stade de l’affection car, in fine, environ 30 à 60 % des enfants présentant une ENN sont opérés. Les principales indications d’un geste chirurgical sont les perforations intestinales, une aggravation de l’état général sous traitement médical, une occlusion intestinale, un pneumopéritoine ou une péritonite.

La résection étendue du grêle est évitée autant que possible : le chirurgien privilégie la création d’une dérivation, sans résection, ou une résection aussi limitée que possible de la section nécrosée, avec entérostomie en zone saine et drainage péritonéal. Les anses intestinales peuvent être extériorisées pour exploration si les paramètres hémodynamiques sont stabilisés avant l’intervention. La continuité intestinale est rétablie 4 à 6 semaines plus tard.

La chirurgie associée à l’ENN implique les risques usuellement associés à ce type d’intervention. Il s’agit du risque hémorragique et, plus courant, du risque infectieux. L’iléostomie expose à diverses complications tardives: irritation cutanée et/ou infection mycosique, prolapsus, sténose cutanée secondaire, suppuration locale, saignements liés à l’appareillage de la stomie (systèmes à poches, protecteur cutané type Stomahésive®, parfois simple poudre type Orahésive®).

Complications de l’ENN

À court terme

→ Sténose intestinale séquellaire. Unique ou multiple, la sténose (rétrécissement de la lumière intestinale) est redoutée lorsque le syndrome inflammatoire a été important : on retrouve ainsi un taux de CRP inférieur à 120 mg/l dans quelque 70 % des sténoses secondaires, ou quand une iléostomie a été pratiquée. Les lésions se constituent généralement en 3 à 6 semaines (parfois plus tardivement, en 3 mois) sur le colon gauche et requièrent une résection-anastomose ; elles sont systématiquement recherchées par réalisation d’un lavement opaque 4 à 6 semaines après l’épisode d’ENN. Au décours de la résection, deux situations peuvent se présenter :

• Lorsque la valvule iléo-cæcale est conservée et lorsque plus de 80 cm de grêle sont préservés, la reprise de l’alimentation entérale se résume à du lait maternel tiré ou à un substitut diététique à base de protéines hydrolysées.

• Lorsque la valvule ne peut être conservée et/ou si la longueur de grêle subsistant est inférieure à 80 cm, une alimentation mixte est poursuivie de façon d’autant plus prolongée que la longueur de l’intestin restant est brève : concrètement, on administre à l’enfant un aliment diététique sans lactose, des protéines hydrolysées, dont la moitié des lipides sont des triglycérides à chaîne moyenne. Il n’est pas exceptionnel de réaliser une cholécystectomie lorsqu’il y a résection du grêle terminal : elle prévient la survenue ultérieure d’une lithiase biliaire. Dans ce cas, il y a aussi nécessité de réaliser un apport parentéral complémentaire de vitamine B12 et l’administration d’un médicament fixant les sels biliaires (cholestyramine = Questran®).

Le pronostic chirurgical est lié à l’étendue de la résection intestinale, susceptible d’aboutir à un syndrome du grêle court chez 10 % des enfants.

→ Cholestase. Fréquente au décours d’une ENN (30 % des cas), parfois infraclinique, elle impose une surveillance hépatique prolongée et un apport de vitamine D (sous forme de 25-OH-vitamine D = Dédrogyl®). L’alimentation entérale est réalisée par un lait industriel dont 50 % des lipides sont des triglycérides à chaîne moyenne.

→ Leucomalacie périventriculaire. L’ENN, notamment de stade III, avec trouble hémodynamique, syndrome infectieux sévère, résection intestinale étendue, expose à un risque significatif de développement d’une leucomalacie (nécrose de la substance blanche du cerveau autour des ventricules, ayant probablement une étiologie ischémique) : elle justifie une surveillance neurologique étroite et la réalisation d’échographies transfontanellaires (ETF) répétées.

À moyen et long terme

→ La pérennisation de troubles du transit ou un retard staturo-pondéral (résultant d’une malabsorption des nutriments) dans l’enfance, désormais rares, concernent quelque 4 à 5 % des enfants ayant subi une résection étendue du grêle ; la survenue d’une occlusion avec volvulus du grêle est encore plus rare.

→ Une antibiothérapie prophylactique discontinue peut être proposée pour prévenir un risque d’ulcération tardive des anastomoses iléo-sigmoïdiennes, dont le traitement curatif est toujours difficile.

→ Un retard neuro-développemental ne peut être exclu dans les suites d’une ENN sévère.

Prophylaxie de l’ENN

La prophylaxie de l’ENN, une préoccupation constante des services de néonatalogie, repose sur l’association de mesures simples : prévention des asphyxies périnatales, surveillance pluriquotidienne de la tolérance alimentaire et nutrition au lait maternel ou maternisé, asepsie (hygiène du personnel soignant) et isolement de l’enfant.

→ Administration de médicaments. L’administration anténatale (à la mère, peu avant l’accouchement) ou postnatale (à l’enfant prématuré) de corticoïdes a un effet protecteur. Des études suggèrent l’intérêt d’une supplémentation en L-arginine : en augmentant la production de monoxyde d’azote (NO) un médiateur vasodilatateur déficitaire dans la muqueuse intestinale du nouveau-né prématuré, elle régulariserait le flux sanguin entérique et réduirait ainsi l’ischémie.

→ Administration de probiotiques. La flore intestinale du nouveau-né prématuré contient peu de souches probiotiques(1) et plus de germes potentiellement pathogènes que celle d’un enfant né à terme. Cette dysharmonie est liée à l’environnement hospitalier mais aussi à la fréquence des délivrances par césarienne ou à la pression des antibiotiques à spectre large.

Divers essais randomisés ont évalué l’intérêt de l’administration prophylactique de probiotiques chez des prématurés : ce traitement réduirait le risque d’ENN de deux tiers et la mortalité par deux. Si aucun effet iatrogène sévère n’a été rapporté sur une série de plus d’un millier de nourrissons traités, certains auteurs émettent quelques réserves, car des sepsis à probiotiques ont été décrits chez des sujets adultes et des enfants immunodéprimés, et une étude suggère un risque accru d’une telle complication chez le nouveau-né d’un poids < 1 000 g. De plus, les conséquences à long terme d’une administration de probiotiques sur la flore microbienne entérique et le système immunitaire ne sont pas encore établies. Les schémas de traitement par probiotiques (souches choisies et associations, doses, durée, etc.) restent à mettre en œuvre selon des protocoles locaux, une fois évalué le rapport bénéfice-risque de l’opération : ils sont d’ores et déjà introduits en routine néonatalogique dans divers pays (États-Unis, Australie) et dans certains services en France.

1- Les probiotiques sont définis par l’Organisation mondiale de la santé (OMS) comme « des micro-organismes vivants qui, ingérés en quantité suffisante, produisent des effets bénéfiques sur la santé ».

CHIFFRES CLÉS

→ Prévalence comprise entre 3 % et 11 % selon les séries statistiques (environ 5 % des prématurés en Europe) ;

→ 85 % des cas chez des prématurés < 1 500 g et/ou nés avant la 32e semaine d’aménorrhée ;

→ Sex-ratio de 1 ; absence de facteur saisonnier ;

→ Pic de prévalence pour les enfants nés entre 32 et 35 semaines d’aménorrhée ;

* Observée généralement vers la semaine 2 à 4 de vie extra-utérine ;

→ 5 à 15 % des cas chez des enfants nés à terme.

PROBIOTIQUES

Exemples de prescriptions

Il n’existe que peu de recommandations quant à l’usage d’une supplémentation probiotique chez le nouveau-né.

À titre d’exemple, les hôpitaux universitaires de Genève ont recours à Infloran® [chaque capsule contient Lactobacillus acidophilus 1 x 109 UFC (= Unité Formant Colonie) et Bifidobacterium infantis 1 x 109 UFC], à raison d’une demi-capsule deux fois chaque jour pendant 10 jours, chez le nouveau-né dont le poids à la naissance est inférieur à 1 500 g ou l’âge gestationnel inférieur à 32 semaines et recevant une alimentation entérale, même a minima.

Cette supplémentation s’administre dès le 3e jour si l’enfant n’a pas reçu d’antibiotiques, sinon dès le jour de l’arrêt du traitement antibiotique. Une nouvelle antibiothérapie dans les 6 premières semaines suivant la naissance impose de reconduire l’administration de probiotiques pendant 10 jours et ce, dès le jour de son arrêt.