INTERVIEW : CATHERINE LEPORT PROFESSEUR DES UNIVERSITÉS ET PRATICIENNE SPÉCIALISTE DES MALADIES INFECTIEUSES
DOSSIER
Catherine Leport a coordonné le rapport « Les maladies infectieuses émergentes, état de la situation et perspectives », commandé par le Haut Conseil de la santé publique et paru en 2011.
L’INFIRMIÈRE MAGAZINE : Comment les MIE sont-elles prises en compte en France ?
CATHERINE LEPORT : En 2001, on a craint une épidémie de charbon. Les services de maladies infectieuses ont décontaminé les patients ayant reçu des enveloppes contenant de la poudre blanche. En réalité, il n’y a eu aucun cas de charbon en France. En 2003, quand est apparu le SRAS, ce dispositif a été réactivé. Là encore, il y a eu beaucoup d’animation pour sept cas avérés en France. On peut en tirer deux conclusions : d’une part, des progrès techniques importants ont été réalisés en vingt ans. Là où deux ans ont été nécessaires à Françoise Barré-Sinoussi et Luc Montagnier, prix Nobel, pour isoler le virus du Sida, il n’aura fallu qu’un mois en 2003 pour identifier le coronavirus agent du SRAS. Par ailleurs, on a pris conscience du rôle des médias dans l’amplification de la crise. Notre défi est d’informer sans alarmer, pour une juste prise en compte des enjeux des maladies infectieuses.
L’I. M. : Ces enjeux vont au-delà du simple domaine de la santé ?
C. L. : Pour comprendre comment ces pathologies apparaissent et se diffusent et proposer une réponse cohérente, il est nécessaire d’avoir une approche globale. C’était d’ailleurs l’un des points forts du rapport rendu au Haut Conseil de la santé publique en 2011. La pluridisciplinarité est désormais suscitée et valorisée dans l’évaluation des travaux de recherche, ce qui est à la fois novateur et un bon signal.
L’I. M. : Y a-t-il un domaine dont l’intégration vous satisfait particulièrement ?
C. L. : Les sciences humaines et sociales sont primordiales dans la recherche sur les MIE. C’est d’ailleurs une dimension de la médecine qui touche de près au travail des infirmières. Malheureusement, on manque de chercheurs en France…
L’I. M. : En 2011, vous appeliez de vos vœux la création d’un groupe de prospective et d’expertise…
C. L. : Nous nous sommes saisis de cette question pour que nos travaux puissent accompagner les évolutions de ces phénomènes. Nous avons mis en place un séminaire annuel sur les maladies infectieuses émergentes, qui est un lieu d’échanges très riches.
L’I. M. : Y a-t-il des retombées concrètes ?
C. L. : Oui, il y a une sensibilisation progressive aux risques associés aux maladies infectieuses émergentes, et pas uniquement dans le domaine de la santé. Un des défis est d’ailleurs que cette sensibilisation ne se transforme pas en panique. La continuité de nos travaux est aussi assurée par l’interaction avec la sénatrice Fabienne Keller et la délégation à la prospective du Sénat, qui s’est saisie de ce dossier, à un rythme qui permet un travail de fond.
L’I. M. : Votre rapport recommandait aussi la mise en place d’un plan stratégique générique global…
C. L. : Un tel plan n’a pas encore été communiqué. Le plan Ebola laisse certaines insatisfactions, dont sa publication tardive en novembre 2014. Dans le cadre du réseau de Coordination du risque épidémique et biologique (COREB), nous essayons de développer une activité de veille et d’alerte hyper opérationnelle. Face à des modes de gouvernance très hiérarchiques, un des objectifs est de mettre davantage en relation les gestionnaires des crises et les décideurs avec les professionnels en contact avec le quotidien. Il serait intéressant d’associer davantage les infirmières, qui sont, avec les aides-soignantes, les personnels de santé les plus proches des malades, à l’élaboration des stratégies et procédures de soins. Un pan notable de la réalité qu’elles perçoivent dans l’exercice de leur métier échappe en effet aux décideurs actuellement.
L’I. M. : Qu’en est-il de la coopération internationale ?
C. L. : Elle a progressé, notamment sous l’influence de l’épidémie de Sida. Essayer d’implanter la recherche dans des pays où les systèmes de soin sont incomplètement structurés, voire inexistants, permet justement d’introduire une forme d’organisation. Pour Ebola, les premiers médecins français sont arrivés en mars 2014 et continuent d’apporter leur appui au soin et à la recherche sur le terrain. On ne peut que regretter une mobilisation un peu tardive pour endiguer l’épidémie. Il est primordial de maintenir les échanges en dehors des crises pour être efficaces dès les premiers signes d’une nouvelle alerte.