L'infirmière Magazine n° 357 du 01/02/2015

 

INFECTIOLOGIE

DOSSIER

Nouvelles pathologies, protocoles de protection, chambres innovantes à pression négative… Au cœur du service des maladies infectieuses du CHU de Rennes, deux IDE racontent leur quotidien et décrivent comment, derrière leur masque et leur surblouse, ils parviennent à nouer des liens avec les patients.

Un peu à l’écart du bâtiment flambant neuf des urgences et de l’imposant pôle de cardiologie-pneumologie, le pavillon Claude Bernard dispose d’une entrée séparée des autres services du CHU de Rennes. « C’est la première mesure d’isolement », souligne Jean-Christophe Becel, IDE. L’endroit accueille en effet le service des maladies infectieuses. 22 chambres individuelles, toutes équipées d’un sas d’entrée, hébergent des patients atteints pour l’essentiel de VIH ou de Sida, de tuberculose, – notamment ses formes multirésistantes – ou d’endocardite infectieuse. Le service est aussi le centre de référence pour l’accueil de patients atteints d’Ebola pour la zone « grand Ouest ». « Ici, on voit des pathologies multiples, variées, et on rencontre des personnes de cultures très diverses », explique Anne Manguy, IDE dans le service depuis trois ans. De nombreux patients atteints de tuberculose sont en effet étrangers : des migrants venus d’Europe de l’Est, où ils ne parvenaient pas à se soigner, ou d’autres primoarrivants infectés dans des foyers d’accueil ou des squats. « Ces tuberculoses sont parfois résistantes à plusieurs antibiotiques, et elles n’affectent pas que le système respiratoire », détaille-t-elle.

Quatre niveaux de protection

Le service est organisé pour que les patients ne se transmettent pas leurs germes. Les soignants connaissent par cœur les protocoles de protection propres à chaque type d’infection. Au-delà de la protection « standard », commune à tous les personnels de soin (lavage des mains et désinfection à la solution hydro-alcoolique), on distingue trois autres niveaux. Les protections de type « contact » sont appliquées dans la majeure partie des soins. Les soignants sont équipés de gants, de tabliers et de surblouses à usage unique. Pour s’occuper des patients atteints de tuberculose, par exemple, un protocole de protection « air » s’applique : les membres de l’équipe soignante portent alors un masque filtrant de type « bec de canard ». Pour les bactéries circulant par les sécrétions trachéo-bronchiques, c’est la protection « gouttelettes » qui est indiquée, soit le port d’un masque chirurgical dans un rayon d’un à six mètres autour du patient. « Ces mesures visent à nous protéger des patients, pour éviter que l’on soit infecté ou que l’on transmette l’infection à d’autres patients, précise Anne Manguy. Dans certains cas, elles s’appliquent aussi aux visiteurs. Les patients concernés par les protections “gouttelette” et “air” doivent également porter un masque chirurgical dès qu’ils sortent de leur chambre. »

Enfin, afin de protéger les patients immunodéprimés de tout ce dont les soignants pourraient être porteurs, ces derniers se couvrent de la tête aux pieds avec gants, masques, charlottes et surchaussures. Des gestes devenus des réflexes pour le personnel du service, au même titre que la désinfection des mains à la solution hydro-alcoolique à chaque étape du soin, puis du retrait des protections. Et quand apparaît une maladie méconnue ? « Quand la pathologie est identifiée, on se reporte à des protocoles écrits par le service d’hygiène de l’hôpital. Et quand on ne sait pas de quoi il s’agit, on applique la protection maximale. » Pour les ERV (entérocoques résistants à la vancomycine), souvent d’origine digestive, la lutte passe aussi par des mesures drastiques de nettoyage de la chambre, trois fois de suite, à l’eau de Javel. Peu d’antibiotiques sont efficaces contre ces BMR et la limitation de leur propagation est donc primordiale.

Autre spécificité du service : les cinq chambres à pression négative pour l’accueil des maladies hautement contagieuses. Leur air est renouvelé en permanence par un système de climatisation et les fenêtres sont condamnées. Leur pression, maintenue à -10 bar, étant plus faible que celle du couloir, c’est l’air du service qui s’engouffre dans la chambre lorsque la porte du sas d’entrée s’ouvre, et non l’inverse. Cela évite donc la contamination de l’air par les germes respiratoires. « Totalement interdites pour les patients immunodéprimés, ces chambres sont utiles pour les tuberculoses à BMR et accueilleraient les malades d’Ebola si le cas se produisait », explique Jean-Christophe Becel. Devant la porte, deux indicateurs de pression renseignent sur l’état du sas et de la chambre elle-même.

L’étape stressante du déshabillage

Au cours de ses douze années d’exercice dans le service, Jean-Christophe Becel a vu le matériel et les protocoles évoluer, « en parallèle des pathologies ». Le personnel infirmier suit des formations régulières pour s’adapter à ces nouveautés. « Je pense qu’on est totalement prêts à accueillir des pathologies nouvelles ou inconnues. Nos protocoles sont rodés, on est toujours en état d’alerte et notre armoire de matériel “maladies hautement contagieuses” est prête en permanence », assure-t-il.

L’équipe a d’ailleurs réalisé récemment un exercice grandeur nature d’accueil de patients atteints d’Ebola, pour valider le protocole à respecter en cas de suspicion. « On fonctionne alors en binôme. Chacun vérifie que l’autre a bien suivi la feuille de route », explique l’infirmier. Dans le couloir des cinq chambres à pression négative, l’armoire « Ebola », ainsi que des tenues d’entraînement, côtoient des panneaux de photos qui détaillent les étapes de l’habillage et du déshabillage. « C’est cette dernière étape qui est la plus stressante, souligne Anne Manguy. La tenue a été en contact avec le patient, donc le risque de se contaminer en se trompant est élevé. » Lunettes, voire casque avec visière, combinaison intégrale, double paire de gants stériles et surchaussures complètent les outils habituels des soignants.

Un soin particulier porté au relationnel

Derrière tant de protections, la relation avec le patient peut-elle être préservée ? « Le rapport humain est plus compliqué : on sourit derrière nos masques, on touche avec des gants… Notre travail est aussi d’expliquer, de prendre le temps de dire et redire pourquoi ces tenues sont nécessaires. La relation avec le patient ne peut être fructueuse que si l’on sait être souples, respectueux et ne jamais juger », expriment les deux IDE. L’enjeu est doublement de taille. Les patients restent souvent hospitalisés plusieurs semaines, voire plusieurs mois. C’est donc une relation au long cours qui s’instaure. Et de sa qualité découle, en partie, l’adhésion au traitement proposé, souvent lourd, et parfois à vie.

L’aspect relationnel du métier est d’ailleurs au cœur des préoccupations de Jean-Christophe Becel. Déjà compétent pour l’éducation thérapeutique, il a consacré son mémoire de DU Soins palliatifs à la question des mesures d’isolement de type « contact » au cours de l’accompagnement de fin de vie. Suite à cela, une étude a été lancée dans le service – et se poursuit toujours – pour voir si l’utilisation à la lettre des précautions standard pouvait se substituer dans certains cas à l’application de mesures complémentaires.

D’ores et déjà, la désinfection systématique des mains après chaque geste a modifié les habitudes de travail. « Auparavant, on commençait la journée par les patients immunodéprimés pour terminer par les plus contagieux, témoigne Jean-Christophe Becel. Désormais, on effectue les visites dans les chambres au gré des besoins des patients. Les relations avec les familles sont également facilitées. » Cette capacité d’adaptation leur permet la souplesse nécessaire pour accueillir des patients aux profils en constante mutation : voyageurs, migrants ou encore porteurs d’agents infectieux nouveaux.

BIEN SE LAVER LES MAINS

La société française d’hygiène hospitalière (SF2H) a validé les protocoles des différents niveaux de protection. Au premier chef, le lavage et la désinfection des mains, à effectuer après chaque geste de soin.

Elle recommande de privilégier la désinfection à la solution hydro-alcoolique, sauf dans les cas où les mains sont visiblement souillées : un lavage au savon est alors préféré.

www.sh2h.net