Un événement indésirable grave lié au positionnement de la tubulure d’un cathéter est survenu dans un service de néonatologie. L’analyse de pratique réalisée a permis de repenser les pratiques et de renforcer les effectifs du service.
→ Lucas est un bébé de 3 mois, né prématurément à l’âge gestationnel de 34 semaines. Il pèse 3,3 kg et est hospitalisé depuis sa naissance. Très rapidement, il a développé une entérocolite ulcéro-nécrosante, avec perforations du grêle ayant nécessité plusieurs opérations. Au moment des faits, il est pris en charge dans le service de soins intensifs en néonatologie. Il est nourri de façon mixte (nutrition parentérale et biberon) et est porteur d’un KTPC. On le décrit comme un bébé agité.
→ Durant la nuit du 3 août 2011, l’infirmière de garde entend le bébé pleurer. La maman de Lucas, dont c’est le premier enfant, est exceptionnellement absente cette nuit-là. L’infirmière va voir le nourrisson, le rassure, lui donne une tétine et décide de préparer son biberon.
→ Un quart d’heure plus tard, l’infirmière revient dans la chambre, Lucas ne pleure plus. Comme il s’agit d’une alimentation à la demande, elle n’allume pas la pièce. À la lumière de la veilleuse, elle constate que Lucas s’est rendormi mais s’aperçoit que son bras est violacé. La tubulure a fait une double circulaire autour de son bras, générant une compression type garrot. Elle observe que la pompe de l’alimentation parentérale n’a pas sonné. L’infirmière retire immédiatement la tubulure, réinstalle l’enfant. Des photos sont prises et un premier signalement est effectué au pédiatre senior de garde. Un massage est réalisé sur le bras de Lucas, que l’on a surélevé.
→ À l’arrivée du chef de service de néonatologie et de la cadre de santé, une nouvelle série de photos est réalisée. Le signalement écrit de l’événement est faxé à l’équipe matériovigilance.
Suite à la déclaration d’événement indésirable grave (EIG), le service qualité propose de réaliser une analyse de pratique. Proposition à laquelle le Dr Jean Sarlangue, chef de service, et Anne Dumas-Laussinotte, cadre puéricultrice à l’unité de soins intensifs de néonatologie, (CHU Bordeaux) ont tout de suite adhéré. Ce dernier « est très impliqué dans la qualité et la transmission de la culture du risque. J’y suis moi-même très sensible, explique la cadre. L’événement s’est produit trois jours après ma prise de poste et, au plan managérial, j’y ai vu un moyen idéal pour m’intégrer dans l’univers néonatal et investir le champ de l’analyse de pratique avec mon équipe. »
Une réunion d’analyse pluridisciplinaire (médecin, cadres puéricultrices, puéricultrices et auxiliaires de puériculture) est organisée au sein de l’unité en présence de l’équipe matériovigilance. Des causes immédiates sont identifiées dans un premier temps par l’équipe, et des documents sur des cas similaires sont évoqués (voir ci-contre p. 43).
En résumé, il s’agit d’un accident corporel lié à l’enroulement du bras d’un nouveau-né présentant des signes d’agitation autour d’une ligne de perfusion. Cet événement indésirable grave fait ressortir plusieurs problématiques et axes d’amélioration.
→ Un premier questionnement concerne la matériovigilance : pourquoi la pompe à perfusion n’a t-elle pas sonné ? « Ce dysfonctionnement a beaucoup interpelé l’équipe. Il s’agit pourtant de pompes adaptées à une population de prématurés, c’est-à-dire à même de renseigner en cas de surpression. Or, la circulaire autour du bras provoque forcément une surpression. Le matériel a été expertisé auprès du fournisseur qui ne s’explique pas la défaillance. En fait, si le cathéter n’a pas été pincé, il n’y a pas de raison pour que la machine donne l’alerte », explique Anne Dumas-Laussinotte.
→ L’équipe s’est également interrogée sur la fixation du KTPC, l’endroit où l’on pique l’enfant. Le KTPC est porteur d’une tubulure dont la longueur fait entre 30 et 50 cm, sachant qu’il faut retirer la partie qui est poussée jusqu’au cœur. S’y ajoute une tubulure très souple, « la nouille » reliée à un premier robinet. « Pour des raisons d’hygiène, il y a un second robinet permettant d’apposer la tubulure jointe à l’alimentation parentérale. Au final, il y a donc une longueur importante de tubulure. C’est cette marge de sécurité qui a posé problème », précise la cadre puéricultrice.
→ La question de la surveillance dans le service de néonatalogie a été posée. À l’époque où l’EIG a lieu, le service ne dispose pas de sa propre équipe de nuit et dépend du pool de suppléance. Les puéricultrices qui en dépendent sont donc rattachée à plusieurs unités. Ainsi, l’infirmière qui s’est occupée de Lucas ce soir-là était expérimentée mais assurait ponctuellement des nuits dans le service. « En cela, elle ne peut avoir une connaissance, une expertise, à l’égal des puéricultrices qui y travaillent depuis plusieurs années. Cette notion d’expertise, la connaissance fine de ces cathéters, aurait pu être un facteur favorisant dans l’alerte. On peut supposer que l’IDE aurait été plus attentive, par expérience, au fil du cathéter, qu’elle le repositionne. On se demande aussi si le bras du nourrisson n’était pas un peu bleu, lorsque l’infirmière est passée pour le calmer », affirme Anne Dumas-Laussinotte. Par ailleurs, le personnel déplore d’être insuffisamment nombreux pour effectuer les tâches de nuit. Le service était plein et chaque infirmière avait à s’occuper de onze bébés. Une seule auxiliaire était présente pour aider les trois infirmières.
→ Autre facteur : la mère, habituellement présente la nuit, était exceptionnellement absente ce jour-là. « Il ne s’agit pas qu’elle prenne la place du soignant, mais elle aurait pu donner l’alerte », souligne Anne Dumas-Laussinotte (lire p. 51). Ajoutons encore que l’on est en présence d’un bébé agité (lire ci-dessous). Enfin, il a été rappelé que plusieurs événements indésirables avaient eu lieu dans le service. Le praticien responsable a pointé une dérive des pratiques infirmières attachées au respect des nouvelles recommandations des psychomotriciens au détriment des fondamentaux, comme allumer la lumière, changer les bébés même s’ils dorment, etc. (Voir l’encadré Décryptage, p. 45).
L’analyse de pratique a permis de hiérarchiser les facteurs latents fortement corrélés à la survenue de l’EIG. Des actions ont été proposées avant et pendant l’analyse des causes, rassemblées dans le tableau ci-contre.
Des recommandations ont été demandées à la société Vygon au sujet de la pose des cathéters. Parmi les consignes, l’équipe a en particulier retenu celle qui précise que « la longueur de cathéter à introduire doit être déterminée avant la pose de celui-ci » ainsi que la suivante : « Le cathéter et le point de ponction exignet un contrôle soigneux permanent » Pour conclure, les membres de l’équipe ayant réalisé l’analyse, l’EIG a été jugé partiellement évitable. La principale leçon tirée met en évidence la vigilance accrue sur la longueur des lignes de perfusion et sur l’organisation des différents dispositifs médicaux autour du bébé.
→ Dossier de matériovigilance AA 2011-0495.
→ Avis aux hôpitaux Health Canada and Health Products and Food branch de décembre 2003. Mise à jour : risques de suffocation des nourrissons liés aux tubulures et aux câbles des moniteurs.
→ Informations et recommandations de l’Afssaps, suite au décès d’un bébé de 8 mois, à Tarbes, le 26 juillet 2010. Il avait été retrouvé dans son lit, tête au pied, avec la tubulure de perfusion enroulée deux fois autour du cou. À noter que la moitié des professionnels présents ignoraient ces documents.
→ Documents de presse sur l’accident de Tarbes.