L'infirmière Magazine n° 358 du 01/03/2015

 

FORMATION

BONNES PRATIQUES

AFSANÉ SABOUHI  

De la crainte de la sanction à la culture de sécurité, une révolution est en cours dans les pratiques des professionnels de santé, confrontés à une société intolérante au risque.

L’obligation est inscrite sans ambiguïté dans le Code de la santé publique, à l’article L.1413-14 précisément : « Tout professionnel ou établissement de santé ayant constaté une infection nosocomiale ou tout autre événement indésirable grave lié à des soins réalisés lors d’investigations, de traitements ou d’actions de prévention, doit en faire la déclaration au directeur général de l’agence régionale de santé. » Le décret précisant la nature et la gravité des événements à déclarer et leurs modalités de recueil n’a toujours pas été publié. En pratique, l’ARS devrait toutefois jouer de plus en plus ce rôle de pilote régional de la sécurité sanitaire. Le rapport sur la réorganisation des vigilances sanitaires remis par l’ancien directeur général de la santé Jean-Yves Grall à la ministre Marisol Touraine en septembre 2013 dénonçait notamment « un système construit par strates successives en réaction à des crises et de fait sans cohérence globale ». Il préconisait à la place un portail commun à toutes les vigilances (du médicament aux infections nosocomiales en passant par la radioprotection), accessibles à tous, professionnels et usagers, pour faciliter les déclarations.

Erreur et culpabilité

Selon l’enquête nationale sur les événements indésirables liés aux soins (Eneis) menée en 2004 et 2009, il survient entre 275 000 et 395 000 événements indésirables graves (EIG) dans les établissements de santé, soit 1 tous les 5 jours en moyenne, dans un service de 30 lits. La crainte de sanctions a longtemps été l’explication principale à leur sous-déclaration. En s’inspirant des industries de haute sécurité comme l’aéronautique, les autorités sanitaires ont toutefois pris conscience qu’une culture de sécurité et de gestion des risques ne pouvait se décréter ni s’implanter sans climat de confiance. « Même les mots ont leur sens. C’est une erreur qui est déclarée, pas une faute. La nuance est fondamentale », souligne Brigitte Sabatier, pharmacienne et référente du circuit du médicament à l’hôpital européen Georges Pompidou, à Paris. De nombreux établissements ont donc adopté des chartes de « non-sanction » pour encourager leurs équipes à essayer d’apprendre de leurs erreurs, plutôt que de les dissimuler. Mais attention, l’absence de sanction ne s’applique qu’aux erreurs non intentionnelles. Elle ne concerne pas les situations dans lesquelles les professionnels de santé ont commis un manquement délibéré ou répété aux règles de qualité et de sécurité des soins.

Autre écueil, toute personne impliquée dans un événement indésirable grave en garde souvent un souvenir difficile, même si l’analyse de l’incident en équipe a des vertus utiles et déculpabilisantes. De nombreux établissements assortissent donc leur système de déclaration des EIG d’une cellule de soutien psychologique.

Signal d’alerte salutaire

L’objectif est vraiment de parvenir à dépasser l’erreur humaine pour s’attaquer à ses « causes racines », liées aux processus et aux organisations. Il est donc important de convaincre tous les corps de métier de participer aux signalements, même les non-soignants. Le personnel de ménage peut par exemple assurer une veille particulièrement utile sur les problématiques d’hygiène. Pour que tout le monde sache bien quels événements indésirables signaler, à qui et comment, la définition d’un protocole précis et son explication en formation interne est indispensable au moment de la mise en place du système de déclaration. Ces formations doivent par la suite devenir assez régulières pour les nouveaux personnels et pour rappeler les enjeux aux professionnels déjà formés.

Pour les spécialistes, l’étape suivante serait de parvenir à déclarer non seulement les événements graves, mais aussi les petites erreurs qui auraient pu mal tourner et les quasi-accidents. Une étude menée au CHU de Lyon et publiée en juin 2013 par le Bulletin épidémiologique hebdomadaire soulignait l’importance de signaler les petits dysfonctionnements sans conséquences mais fréquents, tels que les difficultés de communication et de fonctionnement au sein des équipes. Pris un à un, ces petits événements sont anodins. Pourtant, leur répétition peut constituer, s’ils sont déclarés, un signal d’alerte permettant d’anticiper les événements graves. Les pilotes d’avion appellent cette idée la théorie de « l’alignement des trous de gruyère ». Tant que les cavités du fromage sont décalées, il y a toujours une maille du filet de sécurité pour rattraper l’erreur. Mais dès que les trous sont placés en enfilade, c’est le drame. Autrement dit, si un grain de sable ne grippe pas forcément la machine, plusieurs grains de sable que l’on aurait laissé s’accumuler sans les signaler peuvent y parvenir. D’où l’importance de décortiquer les moindres erreurs, même anodines en apparence.

Une analyse bénéfique

Déclarer est en effet le premier pas à franchir, mais le plus important reste le suivant : l’analyse en équipe des événements déclarés. Car il ne suffit pas de déclarer, il faut apporter des réponses à ces événements indésirables, des réponses concrètes et rapides. La prise en compte des événements déclarés est en effet un facteur qui joue beaucoup sur l’implication des équipes. Signaler une erreur est chronophage, et même les soignants les plus sensibles à la culture de sécurité risquent de perdre rapidement leur motivation si leurs déclarations restent sans réponse de l’établissement et sans effet sur leur activité quotidienne.

Pour la Haute autorité de santé (HAS), le degré de maturité de la démarche de gestion des risques d’un établissement peut donc se mesurer à sa capacité à recueillir, analyser et apporter des réponses aux événements indésirables. En mars 2012, dans un guide intitulé Mettre en œuvre la gestion des risques associés aux soins en établissement de santé – Des concepts à la pratique, la HAS évoquait une échelle de la sécurité du patient allant crescendo :

Le degré « pathologique » : les EIG sont dissimulés, les déclarants rejetés et les erreurs couvertes.

Le degré « réactif » : la sécurité des soins est prise au sérieux et des actions sont mises en place lorsque des EIG surviennent.

Le degré « bureaucratique » : des systèmes sont organisés pour traiter les risques identifiés, mais les EIG sont peu exploités et des responsables restent recherchés et sanctionnés. Les groupes de travail prolifèrent au détriment des actions.

Le degré « proactif » : l’alerte est permanente et les problèmes de sécurité des soins qui pourraient survenir sont présents dans les esprits.

Le degré « génératif » : la gestion de la sécurité des soins est intégrée dans chaque activité. L’information est recherchée, les déclarants encouragés, les erreurs sont analysées et des actions d’amélioration sont proposées rapidement.

In fine, signaler les événements indésirables n’a qu’un seul objectif : sécuriser la prise en charge du patient. La transparence est donc également de mise envers lui : il doit être le premier informé. La Haute autorité de santé a publié en mars 2011 un guide intitulé Annonce d’un dommage associé aux soins, dans le but d’aider les équipes dans cette démarche délicate. Celle-ci, lorsqu’elle est bien menée, peut effectivement permettre de rétablir la confiance entre soignants et soigné, et de limiter la judiciarisation de ces événements.

SIGNALEMENT D’EIG

Le secteur médico-social, meilleur élève que l’hôpital

Selon une étude réalisée par l’ARS Ile-de-France et publiée en décembre dans le Bulletin épidémiologique hebdomadaire, les établissements médico-sociaux déclarent les événements indésirables graves (EIG) plus rapidement que les hôpitaux. L’équipe a analysé les 883 signalements d’EIG déclarés en 2012 et 2013, hors infections nosocomiales. Elle pointe une hausse significative des signalements entre 2012 et 2013, particulièrement dans le secteur médico-social, avec + 39 % de déclarations. Globalement, un quart des cas ont été déclarés dans les 24 heures. Le délai de signalement était toujours inférieur à 31 jours dans les établissements médico-sociaux, alors que 20 % des hôpitaux déclaraient au-delà d’un mois. Mais les EIG restent nettement sous-déclarés : s’appuyant sur les précédentes enquêtes nationales, l’ARS estime qu’elle devrait recevoir plus de 50 000 déclarations chaque année. Les motifs des 883 déclarations enregistrées en deux ans suggèrent que les événements dont la survenue expose l’établissement à un risque médiatique ou judiciaire sont davantage signalés. 59 % des signalements correspondaient en effet à des décès, un tiers concernaient des suicides ou des tentatives de suicide, 9 % étaient liés à des chutes, la même proportion à des complications maternelles et périnatales, et 5 % à des erreurs médicamenteuses.

QUATRE RÈGLES

Pour un système de signalement efficient :

> Encourager à signaler sans restriction.

> Assurer la confidentialité (du patient et du déclarant).

> Être non punitif.

> Être indépendant de toute autorité ayant un pouvoir de sanction, de toute autorité de régulation, à l’échelle nationale comme au sein des établissements.

Source : Organisation mondiale de la Santé, Alliance mondiale pour la sécurité des patients.