L'infirmière Magazine n° 358 du 01/03/2015

 

FORMATION

DOSSIER

Que ce soit dans les Ifsi ou dans les établissements de santé, la formation à l’usage des outils numériques reste insuffisante. La situation devrait cependant évoluer rapidement.

Près d’un tiers (32 %) des employés hospitaliers français estiment ne pas avoir reçu de formation adaptée aux nouvelles technologies déployées dans leurs établissements, signale une enquête réalisée en 2012 par le bureau d’études Coleman Parkes, en partenariat avec le groupe Ricoh Europe. Pourquoi un tel manque de formation, alors même que le plan « Hôpital numérique » prévoit « le renforcement des compétences des équipes et des professionnels de santé sur les aspects “systèmes d’information” [SI] » ? « Le volet compétences d’Hôpital numérique prévoit l’évolution des plans de formation initiale et continue », détaille Caroline Le Gloan, adjointe au chef du bureau systèmes d’information des acteurs de l’offre de soins à la DGOS(1). « Pour l’instant, ce n’est pas là-dessus que nous avons le plus travaillé, mais nous nous y attelons. Nous avons déjà élaboré un référentiel national avec 29 fiches métier, afin d’évaluer les besoins en compétences et de permettre aux DRH d’adapter leurs formations. Dans les mois qui viennent, nous allons mener une enquête dans les Ifsi pour formuler des préconisations en termes de modules de formation, d’ici à 2017. » Car, pour l’instant, les nouvelles technologies sont quasiment absentes des programmes des instituts de formation. Selon Lisette Cazellet, présidente de l’association FORMATICSanté, « aujourd’hui, les infirmières se forment sur le tas. Les Ifsi sont sous-équipés et les formateurs sous-formés au numérique. C’est encore pire pour la télésanté. Une réflexion est en cours, au ministère, pour mettre en place un module obligatoire dans la formation des infirmières et des cadres, mais on en est encore à la phase de consultation, c’est très lent. En outre, les Ifsi sont très contraints par les questions de sécurité : ils ne peuvent accéder aux systèmes d’information des hôpitaux dont ils dépendent pour en apprendre le fonctionnement aux étudiants. À mon avis, ils devraient avoir leur propre SI, indépendant de celui de l’hôpital. Les instituts privés, comme ceux de la Croix-Rouge, ont plus d’autonomie, ils sont plus avancés. »

Projets novateurs

Malgré tout, des projets innovants émergent ici ou là. Ainsi, l’Institut régional de formation sanitaire et sociale de la région Centre, à Chambray-les-Tours (Indre-et-Loire), travaille sur un projet de formation en télémédecine à destination des infirmières des Ehpad, ainsi que sur un module de formation initiale pour les étudiants infirmiers portant sur les nouvelles technologies. Mais la mise en place de tels cours nécessite une refonte totale des modèles de formation. « On ne peut pas se contenter de cours théoriques, approuve Caroline Le Gloan. Il faut des démonstrateurs, de l’e-learning. » Un défi pour les instituts, qui n’ont bien souvent pas anticipé cette révolution numérique. « La question de la formation des formateurs va se poser, estime Gilles Desserprit, directeur de l’institut de formation des cadres de santé à l’AP-HP. Nous avons été dépassés par les étudiants, qui vont plus loin que nous dans l’utilisation des outils. »

Certains Ifsi, sous l’impulsion d’une équipe pédagogique intéressée par les nouvelles technologies, prennent le taureau par les cornes et développent des projets audacieux. Ainsi, des cadres formatrices de plusieurs Ifsi sont en train de finaliser Simul APM, un serious game sur l’application des prescriptions médicales visant à sécuriser les pratiques sur l’ensemble du circuit médicamenteux. « Nous nous basons sur cinq scénarios, inspirés par les situations à risque identifiées par l’ANSM(2) : l’administration de traitements anticoagulants, l’utilisation des pousse-seringues électriques… explique Marie Nhan, membre de l’équipe et cadre formatrice à l’Ifsi de l’hôpital Tenon (Paris XXe). Il s’agit d’un apprentissage par essais-erreurs, sans dommage pour le patient. » Le déploiement du jeu, dans quatre Ifsi pour commencer, est prévu pour fin 2016.

L’Ifsi du CH Sud Francilien (Essonne) a, quant à lui, lancé en février une unité d’enseignement optionnelle sur les applications mobiles en santé. « Nous avons mené un sondage qui a montré que 98 % des étudiants étaient équipés d’un ordinateur, d’un smartphone ou d’une tablette, que 77 % d’entre eux voyaient un intérêt à la santé mobile, et que 69 % trouvaient les objets connectés intéressants dans le cadre de leur exercice professionnel », rapporte Nelly Dondelli, formatrice. Le programme du module porte sur la législation relative aux données personnelles, ainsi que sur l’utilisation des applications mobiles et des objets connectés. À l’issue de cette formation, en guise d’évaluation, les étudiants devront eux-mêmes présenter un projet d’application répondant à un besoin en santé. Ces incursions des nouvelles technologies dans la formation initiale des infirmières restent encore très timides, mais sont amenées à se multiplier dans les années qui viennent. Pour celles qui ont quitté les bancs de l’école, quelques diplômes universitaires et masters réalisables dans le cadre de la formation continue viennent d’être mis en place. L’université de Bordeaux et l’association Agir pour la télémédecine ont par exemple lancé en septembre 2014 un DU intitulé « Approche globale de la télémédecine »(3). Un diplôme similaire est également proposé par la faculté de médecine de Montpellier-Nîmes(4).

Adaptation rapide

Enfin, des temps de formation sont également prévus au sein de chaque hôpital, au fil de leur informatisation. Le CH de Gonesse (Val-d’Oise) achève sa transition vers le dossier patient informatisé : « Nous avons organisé des formations de quatre heures avec les infirmières, pour leur expliquer comment remplir le dossier et réaliser les transmissions ciblées, explique Muriel Forest, cadre de santé et chargée d’applications informatiques parcours de soins au sein de la Direction du système d’information (DSI). Chaque nouvel arrivant y a droit, et nous avons instauré une session par mois pour les équipes de jour et de nuit. Ensuite, pendant trois semaines, je suis présente en permanence dans le service, afin de leur expliquer comment effectuer les manipulations. Bien sûr, tout changement est une contrainte. Il y a une période d’adaptation d’environ trois semaines. Certaines aides-soignantes ont des difficultés avec l’informatique, de même que les infirmières en fin de carrière. Mais, finalement, elle s’approprient bien le matériel. » Dans cet hôpital, des soignants ont pu être détachés afin de s’occuper de l’informatisation grâce à des financements du plan Hôpital 2012. Et les réticences au numérique s’estompent rapidement. D’après Jean-Pierre Grangier, responsable de projets de télémédecine dans le Rhône, « la formation est un faux problème. Aujourd’hui, les outils doivent être pensés pour que n’importe qui puisse les utiliser. Il n’existe pas de formation à l’utilisation de l’iPhone, car c’est très intuitif ! Il faut arrêter de se bloquer avec ça ». Eric Lepage, directeur du projet Terris@nté en Ile-de-France, estime lui aussi que le problème ne tient pas à l’outil numérique, mais aux logiciels de santé eux-mêmes. « Pourquoi sont-ils aussi compliqués ? s’insurge-t-il. Il faudrait demander aux industriels de concevoir des outils plus conviviaux. Dans le domaine du patient, des efforts importants ont été faits. Ce n’est pas le cas pour les logiciels destinés aux professionnels de santé. »

1- Direction générale de l’offre de soins (DGOS)

2- Agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé (ANSM)

3- www.formations-telemedecine.org/presentation

4- http://du.med.univ-montp1.fr/fmc/du-telemedecine-179.html