L'infirmière Magazine n° 358 du 01/03/2015

 

FORMATION

ACTUALITÉS

REGARDS CROISÉS

CÉCILE ALMENDROS  

En place depuis début 2013, le Développement professionnel continu (DPC) a très vite rencontré de gros problèmes de financement. Au point de devoir être profondément réformé, au terme d’une concertation débutée fin 2014.

Jean-François Thébaut

« En termes qualitatifs, il y a une perte de charge »

La Haute Autorité de santé (HAS) avait pour mission de fixer les modalités du DPC. Deux ans après sa mise en œuvre, quel bilan tirez-vous ?

La HAS avait à cœur de proposer des méthodes pour toutes les professions et tous les modes d’exercice. Nous voulions également tenir compte de l’existant, en prenant garde de ne pas trop complexifier le dispositif. Nous avions quelques priorités, comme privilégier des méthodes au plus près de l’exercice professionnel. L’objectif a été atteint du point de vue des méthodes et modalités, dont nous avons publié la liste, acceptée par les commissions scientifiques indépendantes (CSI et CS du Haut Conseil des professions paramédicales). En revanche, cela a abouti à un long catalogue, dans lequel il est parfois difficile de se retrouver. Finalement, c’est un succès en termes quantitatifs. En termes qualitatifs, en revanche, il y a une perte d’efficacité du fait de la diversité des offres.

Comment améliorer la qualité des programmes ?

Il faut d’abord être capable d’évaluer cette qualité. Or, c’est pour l’instant un vœu pieux, parce qu’il n’y a pas de définition de ce qu’est un programme DPC, ni de procédure d’évaluation a posteriori. Il faut limiter les thèmes, de manière à être beaucoup plus précis, par exemple sur des objectifs de politique publique de santé, comme sur les objectifs conventionnels pour les libéraux.

Quels sont les avantages du DPC, par rapport au système préexistant de formation professionnelle conventionnelle (FPC) et d’évaluation des pratiques professionnelles (EPP) ?

Le gros point positif, c’est d’avoir fait le même dispositif pour tout le monde, ce qui permet de proposer des programmes pluriprofessionnels. L’autre point fondamental pour l’amélioration continue de la qualité des soins, c’est d’avoir lié la formation et l’évaluation : il ne suffit pas d’avoir des professionnels savants, il faut également qu’ils soient compétents et, surtout, qu’ils mettent leurs pratiques en accord avec leurs savoirs.

Nombre d’établissements se sont fait agréer comme organismes habilités pour le DPC. N’est-il pas gênant qu’un même opérateur propose, dispense et évalue la formation ?

C’est aux professionnels de santé d’en juger. Bien entendu, cela peut poser problème, mais il est également indéniable que cela facilite la mise en œuvre. En revanche, il faut que les programmes délivrés par les établissements de santé soient évalués par des structures externes.

Quelle place le DPC fait-il à la coopération entre professionnels de santé ?

On observe une très forte progression par rapport aux dispositifs antérieurs, mais l’effort mérite d’être soutenu. On ne peut que déplorer l’absence de coordination entre les différentes commissions scientifiques pour examiner les programmes pluriprofessionnels. La manière dont sont évalués le DPC et ses programmes types par la CSI des médecins/pharmaciens d’une part et par la commission scientifique du Haut conseil des professions paramédicales (HCPP) d’autre part, n’est peut-être pas la plus pertinente.

Daniel Guillerm

« Il vaudrait mieux valider des programmes que des organismes »

Le DPC est-il pour vous une réussite ou un échec ?

Parmi les bonnes choses, l’obligation réglementaire et plus seulement déontologique a stimulé la formation : 32 457 infirmiers libéraux ont suivi une formation DPC en 2014, contre 8 000 en 2011. Notre regret, c’est que les organismes sont évalués sur un programme-vitrine qui ne rend pas compte de l’exhaustivité de leurs capacités pédagogiques. Il est à peu près certain que des faux nez ont été agréés. Il vaudrait mieux valider des programmes que des organismes.

La qualité des formations n’est donc pas assurée ?

Pas toujours. Est-ce qu’une formation en management est au cœur du métier du professionnel de santé ? Des organismes ont mis en place ce type de formation pour y faire accéder des professionnels qui font ensuite office de managers dans les services. L’idée qui prévaut, dans la concertation actuelle(1), est donc de définir quatre critères cumulatifs : la formation doit répondre à des priorités nationales, être construite selon des méthodes définies par la HAS, s’appuyer sur du contenu scientifique et être centrée sur le soin ou, en tout cas, se rapprocher du cœur de métier.

Est-il normal que les IDE n’aient pas de CSI spécifique(2) ?

La solution proposée par le comité de pilotage de la concertation consiste à diviser la commission scientifique du HCPP, qui traite aujourd’hui des dossiers infirmiers, en quatre filières : médico-technique, soin, appareillage et rééducation. Or, certaines professions, comme les orthophonistes, sont à la fois dans la réadaptation et dans le soin. Il faut pousser la logique jusqu’au bout : soit on crée une CS pour chaque profession, soit on laisse la CS paramédicale en l’état. Ses modalités d’examen des dossiers répondent à des critères préalablement définis : on évite, par exemple, de donner des dossiers d’appareillage à des infirmières.

Sur quoi va déboucher la concertation ?

J’ai le sentiment que la réforme en cours est extrêmement médico-centrée. On le voit à travers le rôle que veut donner le comité de pilotage aux collèges nationaux des professionnels mis en place par la HAS et la Fédération des spécialités médicales. Je n’ai cessé de dire qu’il ne fallait pas calquer le dispositif médical sur la totalité des professions, car l’hétérogénéité des collèges est énorme. Celui des infirmières a adopté des statuts et élu un bureau, mais n’a jamais travaillé ! La gouvernance du DPC va être modifiée. Conformément aux préconisations de l’Igas(3), on va mettre en place un conseil d’administration vraisemblablement paritaire, composé de représentants de l’assurance maladie, de l’État et des syndicats professionnels représentatifs. Les thèmes seront recentrés sur les priorités nationales de santé. Le DPC risque de devenir un outil d’accompagnement des politiques publiques. S’il faut demain répondre à un appel d’offres pour être agréé DPC et que le cahier des charges ne reprend que les thèmes de la stratégie nationale de santé, cela constituera un levier de développement des structures cibles du ministère, les pôles et maisons de santé, par exemple.

1- une réunion de synthèse conclusive devait se tenir le 18 février.

2- Quatre CSI sont chargées d’examiner les candidatures des organismes proposant des formations DPC pour les médecins, les chirurgiens- dentistes, les pharmaciens et les sages-femmes. Pour les paramédicaux, la commission scientifique du HCPP assume cette mission.

3- Inspection générale des affaires sociales.

DR JEAN-FRANÇOIS THÉBAUT

MEMBRE DU COLLÈGE DE LA HAS

→ Président de la Commission amélioration des pratiques professionnelles et de la sécurité des patients

→ Président du Conseil national professionnel de cardiologie

→ Auditionné dans le cadre du rapport Igas d’avril 2014 sur le « Contrôle de l’organisme gestionnaire du DPC et évaluation du DPC des professionnels de santé »

DANIEL GUILLERM

VICE-PRÉSIDENT DE LA COMMISSION SCIENTIFIQUE DU HAUT CONSEIL DES PROFESSIONS PARAMÉDICALES (HCPP)

→ Vice-président délégué de la Fédération nationale des infirmiers

→ Président de l’Union régionale des professions de santé-infirmiers libéraux de Bretagne

POINTS CLÉS

→ Le DPC, instauré par la loi HPST de 2010, oblige tous les professionnels de santé à suivre chaque année une formation homologuée. Les organismes doivent être agréés par des CSI. Le respect de l’obligation de formation est contrôlé par l’Ordre national des infirmiers (ONI) pour les libéraux et par l’employeur pour les salariés.

→ Les chiffres de 2014 : 2 773 organismes enregistrés et 89 091 comptes personnels créés sur www.ogdpc.fr.

23 862 programmes déposés. Sur l’ensemble des dossiers de candidatures d’organismes de formation examinés par les CS, 49 % ont obtenu un avis favorable (dont 38 % pour la CSI médecins et 67 % pour la CS paramédicale) et 51 % un avis défavorable.

→ Le financement du DPC des hospitaliers est assuré par leur organisme paritaire collecteur agréé, tandis que celui des libéraux relève de l’organisme gestionnaire du DPC. Fin 2014, près de 30 millions d’euros manquaient pour boucler le budget annuel de l’OGDPC. L’assurance maladie s’est engagée à apporter 10 millions d’euros supplémentaires et l’OGPDC à diminuer ses charges de 3 millions d’euros.