L'infirmière Magazine n° 358 du 01/03/2015

 

HAÏTI

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SANDRA MIGNOT  

En Haïti, depuis quelques années, professionnels de santé et observateurs s’alarment de la prolifération des écoles de formation aux soins infirmiers non reconnues par l’État.

La multiplication des écoles d’infirmières non reconnues par l’État devient incontrôlable », estime Lucile Charles, présidente de l’Association nationale des infirmières licenciées d’Haïti (Anilh). « Elles sont créées par des hommes d’affaires, des ONG. On ne connaît absolument pas la qualité des enseignements qui sont dispensés. Certaines accueillent même des étudiants qui n’ont pas obtenu l’ensemble des examens du baccalauréat. On ment à des jeunes qui n’ont pas les capacités d’acquérir ces compétences professionnelles. »

Enseignement non agréé

En Haïti, 56 instituts de formation aux sciences de la santé sont reconnus par le ministère de la Santé publique et de la Population (MSPP) ; 37 d’entre eux forment des infirmières. « Mais on ne sait pas combien d’établissements on trouve en tout sur l’ensemble du territoire, remarque Lucile Charles. Des centaines, peut-être des milliers ? » Lors d’une émission réalisée en décembre dernier, le docteur Félix Junot, animateur sur la chaîne RTVC, avait comptabilisé pas moins de 450 écoles d’infirmières dans la capitale et son agglomération. En 2013, le quotidien Le Nouvelliste avait révélé que sur 54 établissements situés à Port-au-Prince et dans son agglomération, 70 % n’étaient pas reconnus par le ministère. « C’est dramatique pour les jeunes filles qui fréquentent ces établissements, qui payent jusqu’à 100 000 gourdes haïtiennes (HTG) par an – un peu moins de 2 000 € – et qui ne peuvent même pas passer les examens d’État, s’indigne Lucile Charles. Nous avons reçu des personnes prêtes à se suicider après avoir consenti à tant d’efforts pour si peu de résultats. » Dans les établissements reconnus, les frais de scolarité ne dépassent pas 55 000 HTG annuels et sont réduits à quelque 5 000 HTG dans les cinq écoles nationales.

La possession de la licence de pratique, attribuée après la réussite aux examens d’État et un an de service social dans un centre de santé ou un établissement public, est officiellement indispensable pour exercer en hôpital public. « Désormais, les ONG internationales vérifient auprès de mon service que les infirmières sont bien titulaires du diplôme et de la licence de pratique », assure Irma D. Bois, directrice des soins infirmiers auprès du MSPP. Mais la réalité est tout autre. « Quand ces infirmières sont sur le marché, on les emploie, assure Lucile Charles. Nous le savons, car des étudiantes les rencontrent au cours de leurs stages. » Qu’est-ce qui oblige l’employeur public à effectuer la vérification ? Et quid des cliniques et hôpitaux privés, à qui aucun contrôle n’est imposé ? Or, les besoins sont considérables… « Nos infirmières quittent le pays, reconnaît Irma D. Bois. Avec leur DE, elles peuvent passer un examen aux États-Unis ou au Canada et trouver rapidement un emploi. » Un appel d’air permanent qui génère à son tour la multiplication des organisations de formation en Haïti. « Il n’y a malheureusement pas de garde-fou pour empêcher à ces écoles d’ouvrir, poursuit la directrice des soins infirmiers. Elles se lancent puis viennent solliciter un permis. » L’attente peut durer longtemps. À l’image de cet établissement de Port-au-Prince, dont le directeur dit attendre sa reconnaissance depuis déjà 15 ans, même s’il ne s’étend pas sur les démarches entreprises… « Certains instituts ne savent même pas où s’informer pour élaborer un programme qui entre dans les prérequis que nous avons élaborés avec le ministère », remarque Lucile Charles.

Certifié conforme

Le MSPP travaille actuellement à l’élaboration d’un logo, une plaque que les écoles pourront afficher à leur entrée, assortie d’une vignette renouvelée chaque année. « Il faut que les gens sachent où ils s’inscrivent, et alors nous espérons que ces écoles non reconnues disparaîtront », explique Irma D. Bois. Dans un pays où le privé domine très largement l’éducation et où les moyens manquent pour mettre en place un vrai contrôle de la qualité des enseignements, on peut en douter.

L’Anilh, quant à elle, souhaiterait que soit mise en place une autorisation temporaire, pendant une période d’évaluation qui permettrait de déboucher sur un permis définitif. « Cela permettrait d’évaluer les moyens matériels et pédagogiques avant de se prononcer, conclut Lucile Charles. Mais le ministère doit aussi prendre les choses en main et saisir les juges de paix pour faire fermer les établissements non agréés. »