Créé pour répondre aux besoins de l’enfant hospitalisé, le Chariot Magique® est un outil ludique, né en Suisse, en 1996, de la main d’une infirmière en pédiatrie. Une façon d’inviter le jeu dans le planning de soin… pour que la magie opère !
L’idée est née d’une souffrance. Celle de devoir régulièrement arrêter un jeu avec un enfant ou interrompre une conversation avec des parents, en raison d’une urgence. Frustrée de ces situations répétitives, Mägi Galeuchet, infirmière en service pédiatrique dans un hôpital en Suisse, a attrapé, un jour de l’année 1996, un chariot de pansements, l’a rempli de peluches, de dominos, de peinture… avant de le pousser dans les couloirs de l’hôpital, pour prendre le temps de jouer avec chaque enfant. Du tout-petit à l’adolescent. Le Chariot Magique® était né. « Il s’agit d’un accompagnement principalement ludique, relationnel et parfois thérapeutique. C’est aussi un temps de rencontre, de partage, d’expression, de présence et d’écoute », explique Mägi Galeuchet. Pour un enfant, le jeu est beaucoup plus qu’un divertissement ou une occupation. C’est sa façon de découvrir le monde, de s’exprimer et aussi de se construire. Hospitalisé, parfois souffrant, éloigné de ses repères habituels et, par moments, de ses référents affectifs – ses parents –, l’enfant a besoin de se familiariser et de maîtriser cette nouvelle situation. Et comment le faire autrement que par le biais de ce qu’il connaît le mieux, le jeu ? « En matière de jeu, l’enfant est artiste, c’est son domaine », précise Mägi Galeuchet. L’activité ludique permet à l’infirmière d’être pleinement en relation avec lui, d’accueillir ses états émotionnels et de le sécuriser. Le temps est donc un facteur essentiel. Si un soin du Chariot Magique® dure en moyenne 30 minutes, il peut parfois s’étendre à 1 heure 30.
Depuis, le Chariot Magique® a bien grandi. Aujourd’hui, ce sont 33 professionnelles de santé, dont 25 infirmières, réparties dans six hôpitaux suisses, qui sont un peu magiciennes, presque toutes bénévolement. Elles sont fédérées par un cahier des charges, des formations, une éthique et des rituels. À l’instar de Mägi Galeuchet, toutes suivent la même chorégraphie. En premier lieu, revêtir la blouse colorée pour être identifiée : les intervenantes du Chariot Magique® pratiquent des soins exclusivement relationnels, jamais techniques. Puis, aller voir les collègues du service, s’enquérir des évolutions de santé de chacun et des éventuelles indications. Un enfant qui n’aura pas de visite aujourd’hui ? Un autre qui s’oppose à un soin ? La pesée, par exemple, est souvent refusée par les tout-petits, qui rechignent à s’allonger sur cet objet métallique et froid. Le Chariot Magique® est alors le bienvenu en renfort. Une infirmière magicienne en sort un petit ours en peluche. Lui, c’est sûr, a très envie d’être pesé. Il défie l’enfant d’être plus lourd que lui avec ses 300 grammes. L’enfant se prend au jeu. L’infirmière à la blouse colorée peut alors passer le relais à sa collègue en blouse blanche. Le soin se passe en douceur.
Après cette prise d’information, il s’agit de charger le chariot en fonction des âges et des intérêts des enfants : livres, poupées, jeux de société, bulles… C’est un inventaire à la Prévert. Puis vient le moment de se poser. Se demander quels sont ses propres besoins : « Comment répondre aux besoins des autres, si on ne connaît pas déjà les siens ? » questionne Mägi Galeuchet. Suite à ce moment d’introspection, chaque infirmière écrit sur une feuille ses préoccupations du moment, pour s’en délester et se rendre vraiment disponible à la rencontre. Il ne reste maintenant plus qu’à actionner la petite boîte à musique, et pousser la porte de la chambre 332. Dorian, petit bonhomme aux yeux apeurés, se blottit dans les bras accueillants de sa maman. Mägi Galeuchet lui montre le chariot, les différents jeux et jouets. Dorian choisit un jeu de dominos, il se décolle de sa mère et se met à jouer avec Mägi. L’alchimie a lieu.
Sa maman observe, guide, joue. « La priorité, c’est l’enfant, mais ce dernier n’est jamais tout seul », explique Sophie Medico, infirmière bénévole de l’équipe, et travaillant à l’hôpital de la Riviera. Les professionnelles du Chariot Magique® s’enquièrent toujours des besoins des parents : « Ils restent constamment auprès de leur enfant, oubliant souvent certains besoins élémentaires, comme manger ou aller aux toilettes », précise Sophie Medico. « L’autre jour, j’ai lu dans les yeux d’une maman l’envie de faire une petite pause. On a joué tous ensemble, puis je lui ai proposé d’aller boire un café pendant que je continuais le jeu avec son fils. J’ai senti son soulagement », poursuit-elle. Être là, avec l’enfant, autorise ainsi le répit temporaire des parents. C’est aussi un temps privilégié pour recueillir leurs inquiétudes et questionnements, et faire, parfois, le lien avec le pédiatre ou l’assistante sociale. Ces soignantes écoutent également les mamans d’enfants prématurés leur confier les frayeurs de l’accouchement, et constatent le soulagement des bébés, lorsque les parents se racontent. « Quand ils vont mieux, l’enfant va mieux », assure Mägi Galeuchet. La famille est un aspect important du lien, et n’est pas en reste car le concept s’adresse à toutes les personnes présentes : enfant, parents, grands-parents. Un moment de partage autour d’un jeu ou d’un cadeau les aidera, eux aussi, à garder une image positive de l’hôpital.
Cependant, l’enfant est libre de refuser ce soin. Combler ses besoins, c’est aussi l’écouter et accepter son absence d’envie. « J’ai eu un jour, en face de moi, une adolescente qui a boycotté le Chariot Magique®, raconte Mägi Galeuchet. J’ai accepté son refus en lui précisant que la porte restait ouverte. La semaine suivante, elle est venue me remercier. Devant mon incrédulité, elle m’a expliqué que ce jour-là, elle avait besoin de dire non, et j’étais la seule personne à l’avoir accepté. »
Après chaque soin « magique », les infirmières transmettent par écrit leurs observations à l’équipe. Elles décrivent l’état des jeunes patients et des parents et précisent le jouet préféré de l’enfant, pour aider à calmer les éventuelles angoisses nocturnes. Elles notent le temps de chaque séance sur le diagramme de soin, au même titre qu’une toilette ou qu’une injection, signe de la reconnaissance de cet outil thérapeutique dans le service. D’ailleurs, leur identité d’IDE facilite la collaboration avec l’équipe des « infirmières en blouse blanche ». « On parle le même langage ! », assure Sophie Medico. Et comme elles ont toutes une bonne connaissance des pathologies et du milieu hospitalier, elles peuvent adapter leurs interventions aux évolutions de santé des enfants et favoriser une meilleure continuité de soin. Ainsi, lorsqu’elles endossent leurs vêtements de magiciennes, elles se sentent toujours pleinement infirmières.
« Jouer, se récréer et apprendre, tout cela fait partie des besoins fondamentaux [de l’enfant] que doivent essayer de combler les soignantes », rappelle Sophie Medico. « Le Chariot Magique® est une ressource supplémentaire. Le jeu devrait toujours intervenir dans le projet de soin », confirme Anouk Dorsaz, la chef de service. Mägi Galeuchet en est également convaincue : « J’aimerais que notre accompagnement spécifique soit introduit dans le quotidien des IDE comme un soin, que chacune puisse enfiler la blouse colorée lorsque le besoin se fait ressentir pour l’enfant. » En attendant, elle pense que la magie du jeu peut être utilisée à l’occasion du moindre soin technique. D’ailleurs, lorsqu’elle est en blouse blanche, Sophie Medico a toujours un petit jouet dans une poche. On peut faire du Chariot Magique® sans Chariot Magique®. Car, finalement, c’est avant tout une philosophie de soin.
Mägi Galeuchet a créé l’association Chariot Magique en 1998 pour soutenir l’utilisation du Chariot Magique®. Cette structure lui permet aujourd’hui de financer, grâce à des dons, un poste à temps partiel. Une des intervenantes peut pratiquer ce soin dans son service sur son temps de travail. Les autres sont bénévoles, mais défrayées pour leurs frais. L’association, déclarée d’utilité publique en 2013, assure la qualité des prestations en proposant aux intervenantes des formations annuelles et une réunion mensuelle d’analyse de la pratique. Mägi Galeuchet intervient aussi dans les instituts de formation des IDE suisses pour leur faire découvrir le caractère soignant du jeu. En constante évolution, l’association cherche toujours des fonds et des bénévoles pour soutenir sa croissance. Elle milite pour la reconnaissance officielle du Chariot Magique® comme soin et la généralisation de son utilisation. 25 000 enfants ont déjà bénéficié de ce soin.