Si les Ibode connaissent d’autres opportunités d’exercice infirmier, la chirurgie demeure toutefois leur terrain d’action privilégié, où la plupart d’entre elles font carrière avec passion.
Rigueur, exigence, concentration et curiosité : tel est le quatuor d’aptitudes que citent spontanément les infirmières de bloc opératoire, lorsqu’il s’agit de définir les principales qualités professionnelles que requiert leur métier. Avec ses quelque 9 300 professionnelles diplômées (90 % à 95 % des Ibode sont des femmes), cette spécialisation infirmière est indispensable au bon fonctionnement des blocs, même si les Ibode demeurent minoritaires en salle d’intervention. « On estime qu’elles représentent environ 35 % des effectifs infirmiers travaillant au bloc, la marge de progression est donc importante », indique Brigitte Ludwig, présidente de l’UnaIbode, association qui fédère la vingtaine d’organisations régionales de l’Hexagone. Mais ce pourcentage recouvre une grande disparité, car si certains blocs peuvent compter 80 % d’Ibode, d’autres n’en emploient aucune. Les effectifs devraient cependant évoluer au cours des prochaines années, puisque le décret accordant aux seules Ibode un certain nombre d’actes lors des missions d’assistance au chirurgien a été publié le 29 janvier dernier (lire l’encadré p. 65). « C’est un premier pas et une étape importante dans la reconnaissance de notre spécialisation. Mais, à l’instar de nos collègues infirmières anesthésistes qui l’ont obtenue, nous militions depuis plusieurs années pour une exclusivité d’actes. Notre satisfaction est donc mitigée », poursuit la présidente de l’UnaIbode, qui ne se leurre toutefois pas : « Les établissement courent après l’argent. Nombre d’entre eux n’ont ni les moyens humains ni les moyens financiers d’envoyer les infirmières en formation. » Elle ajoute : « Dans ce contexte, il est d’ailleurs regrettable qu’il n’ait toujours pas été accordé aux jeunes diplômées la possibilité d’intégrer une école d’Ibode dans la foulée de leur formation initiale. » La législation prévoit en effet que les postulantes à la formation d’Ibode aient exercé au moins deux ans avant de se présenter au concours d’entrée. Une opportunité manquée, assurément, pour augmenter à peu de frais l’effectif des Ibode, et par là même la qualité et la sécurité des soins dont elles sont chargées au quotidien. « J’ai mis presque 18 ans à sauter le pas, mais on est mieux dans son métier quand on est diplômée. Les compétences acquises donnent du sens à l’expérience », assure Cécile Menu. Infirmière dans un établissement privé, elle termine sa formation dans les prochaines semaines. Si elle appréhende un peu son retour au bloc, elle compte bien mettre en pratique ce qu’elle a appris au cours des derniers mois. « Je suis d’une nature assez carrée, confie-t-elle, et la formation a renforcé ce trait de caractère. » Son salaire va aussi changer, grâce aux primes attribuées aux diplômées, de l’ordre de 300 euros par mois. Si, à l’embauche, les salaires sont équivalents dans le public et le privé, l’augmentation de la rémunération est plus rapide dans le privé. En revanche, elle stagne aussi plus vite… Au final, et c’est assez rare pour le souligner, après dix ou quinze ans de carrière, une Ibode gagnera mieux sa vie dans le public que dans le privé !
Les Ibode connaissent une quinzaine de spécialités en France – dédiées à l’adulte et l’enfant –, mais la chirurgie demeure pourtant leur principal terrain d’exercice. Les quelque 8 000 blocs opératoires du secteur public et privé offrent d’ailleurs de multiples options de carrière. Et le travail ne manque pas, puisque 6,5 millions d’interventions chirurgicales sont réalisées chaque année dans notre pays
Dans le secteur privé, il n’est pas rare qu’un chirurgien exerce avec sa propre instrumentiste. Le statut de celle-ci peut alors être celui de salariée ou d’indépendante rémunérée à l’intervention. Il n’y a pas de différence notable au niveau de la rémunération, mais une grande souplesse dans la gestion de l’emploi du temps. Même si elles demeurent marginales, certaines Ibode optent aussi pour le travail en intérim. A priori, il n’y a pas de chômage pour les infirmières de bloc diplômées.
Selon les établissement, les blocs sont spécialisés ou pluridisciplinaires. Et, dans ce registre, deux écoles s’affrontent. Il y a les tenantes de la polyvalence et les partisanes de la spécialisation. « On fait mieux ce qu’on fait souvent », défend ainsi Stéphanie Getenet. Et d’ajouter : « Mais cela n’interdit pas de changer ! » Ibode en chirurgie infantile au CHU de Strasbourg, Catherine Fischer ne veut pas « se cantonner » à ce qu’elle connaît parfaitement. « Ce qui m’intéresse, c’est la nouveauté. Lorsque je suis arrivée dans ce service, il n’y avait que deux spécialités. Aujourd’hui, on en compte cinq avec, en moyenne, une nouvelle tous les deux ou trois ans. »
Autre terrain d’exercice : la chirurgie ambulatoire (la chirambu, dans le jargon), en plein essor. Elle représente désormais près de 40 % de la totalité des actes chirurgicaux, et jusqu’à 80 % pour certaines interventions. « Elle ne modifie rien au niveau de la pratique de l’Ibode, mais l’organisation du travail de l’équipe doit être encore plus rigoureuse, le patient devant absolument rentrer chez lui le jour même », précise Brigitte Ludwig, présidente de l’UnaIbode. Pour les Ibode totalement dédiées à cette pratique, l’avantage est d’avoir des horaires stables, par roulements, de ne pas travailler le week-end et de n’être jamais ni d’astreinte ni de garde.
Le métier d’Ibode ne se limite pas au bloc. Ces dernières peuvent ainsi exercer dans des unités de stérilisation centrale, voire dans des entreprises privées assurant cette prestation, mais aussi dans des structures d’hygiène hospitalière comme le Comité de lutte contre les infections nosocomiales (Clin), où elles ont notamment un rôle de formation du personnel, de mise en place, de suivi et d’évaluation des protocoles. Leur formation leur permet également de travailler au sein de services réalisant des actes invasifs à visée thérapeutique et/ou diagnostique, notamment les unités d’endoscopie. Les Ibode expérimentées se voient également confier la fonction de régulateur de bloc, souvent en lieu et place du cadre. Elles gèrent alors le planning quotidien des interventions et l’avancée des programmes opératoires pour chaque salle. Cette fonction exige d’avoir une vue globale du fonctionnement d’un bloc et de connaître la durée de chaque intervention. « Sur le papier, un chirurgien peut annoncer une intervention de 30 minutes de travail. En réalité, on sait que l’équipe et la salle vont être mobilisés pendant une heure », note David Vasseur. Au régulateur d’intégrer ces données dans le programme de la journée pour ne créer ni embouteillage ni trou…
Si les interventions au bloc sont le point d’orgue des missions de l’Ibode, une partie cruciale de leur activité s’effectue en amont. « Ce n’est pas au moment où le patient est endormi qu’il faut s’apercevoir qu’il y a un problème », indique Sylvain Carnel, Ibode dans un bloc de chirurgie cardiaque et thoracique depuis 18 ans au CHRU de Lille. Organisation et rigueur sont donc de mise. S’assurer que le bloc est bien réservé, que le matériel, stérile ou non, est disponible, le vérifier selon un protocole très strict, contrôler le chariot d’intervention, dialoguer avec le chirurgien pour intégrer sa stratégie opératoire et ses demandes spécifiques, ou encore contacter l’équipe d’anesthésie pour s’assurer que l’intervention peut avoir lieu sont autant de tâches accomplies par les Ibode. « La circulante et l’instrumentiste ont énormément d’échanges entre elles et avec l’infirmière anesthésiste, pour vérifier que tout est parfaitement clair avant l’intervention. Au bloc, il ne peut y avoir ni approximation, ni improvisation », déclare Catherine Fischer. Experte en hygiène hospitalière, l’Ibode doit aussi gérer les risques liés à l’intervention, tels que les risques infectieux et hémorragiques, tout comme ceux liés à l’installation du patient. Tous ces aspects hautement sensibles méritent à eux seuls de suivre une formation d’Ibode et de se tenir informé des évolutions techniques et médicales dans le domaine de la chirurgie.
Bien qu’essentielle, la technique ne doit pas empêcher le relationnel avec le patient. « Bonjour, je suis infirmier de bloc opératoire. Je serai aux côtés de votre chirurgien et près de vous durant l’intervention. » Voici la façon dont se présente Sylvain Carnel. « Chez nous, l’accueil est assuré de concert par la circulante, l’instrumentiste et l’Iade. Cest l’occasion pour les patients de poser les questions que, très souvent, ils n’ont pas osé aborder avec le chirurgien. Ils se sentent sans doute davantage proches de nous, les infirmiers », explique-t-il. Où se situera exactement l’incision ? Quelle sera sa taille ? Est-ce qu’on va sortir mon cœur de mon corp ? Voilà quelques-unes des interrogations auxquelles l’Ibode doit répondre. Premier acte dans la prise en soin, l’accueil est un moment privilégié qui fonde la relation soignant/soigné. « Les patients sont souvent stressés, à nous de les réassurer et de les mettre dans les meilleures conditions possibles pour l’intervention », poursuit l’infirmier. Et d’ajouter : « Dans ma spécialité, beaucoup de pansements se font au bloc, je vois donc des patients pendant plusieurs semaines, voire des années. » Dans l’ensemble, la relation est bien plus courte et se concentre à l’arrivée au bloc, même si les techniques anesthésiques (anesthésie locale, loco-régionale et hypnose) ont modifié les rapports avec les patients, grands ou petits. « Le patient est conscient, entend, voit : ça change forcément le rapport qu’on avait jusqu’alors avec son métier », explique Stéphanie Getenet. « Et si l’Iade ne reste pas au bloc durant l’intervention, c’est à nous de parler au patient, de lui changer les idées », précise Sylvain Carnel. Pour David Vasseur, cette nouvelle donne est globalement plus compliquée à gérer pour les médecins que pour les infirmières, lesquelles ont déjà le savoir-faire pour établir une relation de confiance avec les patients. L’Ibode peut aussi « sortir » du bloc pour accéder à des fonctions d’encadrement (cadre de bloc, cadre supérieure de bloc ou directrice des soins). Après en avoir interrogées certaines, force est de constater que peu d’entre elles en emettent l’envie immédiate. Pour l’heure, « l’appel du bloc » reste plus fort que tout.
1- environ 1 800 euros bruts par mois en début de carrière et 2 800 euros bruts mensuels en fin de carrière, sans les primes.
2- Source : Conseil national de chirurgie, 2009.
C’est fait ! Le décret ministériel relatif aux actes infirmiers relevant de la compétence exclusive des infirmiers de bloc opératoire est paru le 29 janvier dernier au Journal Officiel
1 - Décret n° 2015-74 du 27 janvier 2015.
> 23 écoles spécialisées accessibles sur concours dispensent une formation d’Ibode en France. Excepté celle de Lille qui est un établissement privé, toutes sont adossées à un CHU ou à un CH. D’une durée de 18 mois, la formation s’articule autour d’un enseignement théorique et clinique. Certaines écoles couplent leur formation avec un diplôme universitaire (comme le DU d’hygiène hospitalière).
www.aeeibo.com – rubrique « les écoles » Répertoire complet des écoles sur le site de l’UnaIbode.
> Depuis février 2014, le diplôme est accessible via la VAE
> Chaque année, les associations régionales organisent leurs JRE (journées régionales d’étude). Les sujets abordés sont variés : circulation extra-corporelle, gestion des ancillaires, hypnose, greffes, gestion des risques opératoires, etc.
> Interbloc, trimestriel réalisé en partenariat avec l’AEEIBO
> Créée en 2008 par l’UnaIbode, la Société française d’évaluation et de recherche infirmière en bloc opératoire (Soferibo) est une société savante qui a pour « finalité la promotion de la production et de l’utilisation des savoirs en science infirmière dans le champ du bloc opératoire. Elle impulse une dynamique de réflexion et d’anticipation nécessaire au fonctionnement de toute communauté scientifique ».
> Les universités proposent les diplômes universitaires dédiés aux Ibode tels que le DU logistique appliquée aux blocs opératoires, accueil des urgences en bloc opératoire, ou encore le DU d’hygiène hospitalière.
1- Arrêté du 24 février 2014 relatif aux modalités d’organisation de la validation des acquis de l’expérience pour l’obtention du diplôme d’État d’infirmier de bloc opératoire, Journal Officiel, 6 mars 2014.
2- Association des enseignants des écoles d’infirmiers de bloc opératoire (AEEIBO).