Standardisation du recueil de l’état civil, bracelet d’identification, formation des personnels… tout doit être mis en œuvre dans les établissements de santé pour délivrer « le bon soin au bon patient ». L’identitovigilance commence dès le bureau des entrées.
L’identitovigilance ne fait pas partie à proprement parler des vigilances règlementaires, contrairement à celles qui concernent le médicament, les produits du sang ou encore les dispositifs médicaux. Pourtant, devenue « pratique exigible prioritaire » pour la certification des établissements par la Haute autorité de santé (HAS) depuis la V2010, elle est un élément crucial de la sécurité des soins. À tout moment de sa prise en charge, le patient doit pouvoir être identifié. Les établissements sont donc tenus de prévoir et d’organiser son identification en établissant des procédures précises, adaptées aux différents services, de former les personnels à leur mise en œuvre et de vérifier leur application et leur potentiel d’amélioration par des audits réguliers.
La première étape de recueil d’identité lorsqu’une personne est admise dans l’établissement de soins est fondamentale. L’identitovigilance commence véritablement dès le bureau des entrées, grâce aux papiers d’identité et à la carte Vitale du patient.
Une circulaire du 7 juin 2013 de la Direction générale de l’offre de soins (DGOS) établit les mêmes règles pour tous : « Seuls le nom de famille (appelé aussi nom de naissance), le sexe et la date de naissance doivent être retenus au titre des traits stricts », précise ce texte. On note qu’il n’est pas fait mention du prénom, qui est pourtant un trait strict, indispensable pour différencier des jumeaux, par exemple. Se référer au nom de naissance (invariable) et non pas au nom marital ou au nom d’usage, dont le patient peut changer au cours de sa vie, limite par ailleurs la création de doublons d’identité d’une hospitalisation sur l’autre.
La DGOS a également standardisé les règles de saisie avec, d’une part, l’utilisation exclusive des 26 majuscules. D’autre part, aucun accent ni aucun trait d’union ou apostrophe ne doivent être utilisés, ces derniers caractères devant être remplacés par des espaces. Ainsi, un patient nommé Jean-Pierre L’Hospital devient JEAN PIERRE L HOSPITAL, quel que soit l’établissement de santé qui l’accueille.
Mais tous les patients ne sont pas enclins à délivrer leur identité. La cellule d’identitovigilance du CHU de Saint-Étienne a par exemple été sollicitée par le service des IVG, qui constatait des usurpations d’identité. Des patientes se présentaient ainsi avec une autre carte d’identité que la leur. « Nous avons donc modifié certaines pratiques, ainsi que les documents d’accueil et le répondeur téléphonique, pour expliquer aux patientes comment on allait les protéger, en leur garantissant la confidentialité et la prise en charge des frais, mais pourquoi il était important, pour leur sécurité, qu’elles donnent leur véritable identité », raconte le Dr Pascale Oriol, responsable hémovigilance et identitovigilance au CHU de Saint-Étienne.
Pour les bébés qui n’ont, par la force des choses, pas de papiers d’identité lorsqu’ils naissent à la maternité, la vigilance est aussi de mise. D’autant plus que les parents peuvent hésiter sur le prénom. Lorsque l’enfant rentre chez lui, il se peut qu’il ne porte déjà plus le prénom initialement inscrit sur son bracelet. Il est important que les dossiers soient rétablis avec le véritable état civil de l’enfant, pour être facilement retrouvés en cas de nouvelle hospitalisation.
L’objet qui matérialise l’identitovigilance, c’est le bracelet, que l’on trouve désormais au poignet des patients dans de très nombreux établissements. Mais il n’a pas toujours eu une bonne image, notamment auprès des professionnels, qui craignaient son aspect déshumanisant pour la relation soignant-soigné.
Au CHU de Saint-Étienne, le premier chantier de la très dynamique cellule d’identitovigilance fut justement, en 2007, l’adoption du bracelet d’identification, après une étude d’acceptabilité par les patients, leurs proches et les équipes. « Depuis, nous avons mené trois audits qui se sont révélés très positifs, aussi bien sur le port effectif du bracelet que sur la fiabilité de l’identité inscrite dessus, ou encore sur la compréhension du système par les patients, ce qui témoigne de l’implication des soignants qui leur ont bien expliqué l’enjeu », analyse le Dr Oriol. La pose du bracelet est en effet considérée dans cet établissement comme le premier geste de soin. Elle n’a donc pas lieu au bureau des entrées, mais lorsque le patient est accueilli dans le service. Le geste est réalisé après un ultime contrôle d’identité par un personnel paramédical (infirmier ou aide-soignant). « Le soignant repérera plus facilement que le personnel du bureau des entrées qu’à droite se trouve une jolie veine, et qu’il vaut donc mieux mettre le bracelet à l’autre poignet. Même sur le plan médical, c’est utile », souligne la responsable identitovigilance. Les brancardiers et ambulanciers ont interdiction de transporter un patient sans bracelet, mais aussi interdiction de lui en poser un eux-mêmes. « C’est le meilleur moyen de faire une erreur. Ils ne connaissent pas les patients qu’ils ont à transporter, ce n’est pas à eux de les identifier », affirme le Dr Oriol.
Comme pour le recueil de l’identité, le port du bracelet doit s’adapter aux différents services des établissements de santé. Il existe ainsi de tout petits bracelets en mousse pour les bébés prématurés et les nouveau-nés à la peau fragile. Pour les services de radiologie, de médecine nucléaire ou les blocs opératoires, il faut avoir anticipé la procédure en cas de nécessité de couper le bracelet du patient : qui est autorisé à le couper, qui en remet un nouveau, à quel moment, etc.
Parce qu’elle a la responsabilité de l’administration des médicaments, l’infirmière est au cœur de l’identitovigilance. L’ultime vérification de l’identité d’un patient avant de lui donner son traitement est le dernier verrou de sécurité permettant d’éviter une erreur, comme en témoigne le cas clinique de ce dossier.
D’où l’importance de la façon d’interroger le patient, même enfant, lorsqu’il est conscient et apte à répondre. « Nous sensibilisons le personnel infirmier à la nécessité de bien poser la question de façon ouverte, pour laisser la personne donner elle-même son nom. Si vous rentrez dans la chambre en disant : “Bonjour, vous êtes Mme Dupont ?” ou “Vous êtes Jacqueline ?” la situation classique, en particulier pour la personne âgée un peu dure d’oreille mais très gentille qui ne veut pas déranger, c’est la réponse “oui oui”, même si elle n’a pas entendu ! C’est l’erreur à ne pas faire », conseille Brigitte Sabatier, pharmacienne et référente pour le circuit du médicament à l’hôpital européen Georges Pompidou, à Paris. Cette dernière vérification de la conformité des médicaments à la prescription et de l’identité du patient est « une étape non négociable », martèlent les spécialistes. Que vous soyez dans un énorme CHU ou dans une petite structure, que vous connaissiez le patient depuis des mois ou quelques heures et, surtout, quel que soit le caractère d’urgence. « Il y a risque vital ? Raison de plus pour redoubler d’attention ! Le patient saigne, vous DEVEZ faire le contrôle d’identité groupe/patient au lit du patient avant de passer les poches de sang. L’urgence devient relative à ce moment-là, parce que si vous vous trompez de patient, c’est l’accident transfusionnel et vous pouvez entraîner son décès », insiste Brigitte Sabatier.
Mais les infirmières ne sont pas les seules concernées. L’identitovigilance repose en réalité sur un système de barrières multiples pour éviter l’erreur. Chacun, dans l’établissement, doit avoir conscience de l’enjeu et de l’influence de ses propres actions. Par exemple, le brancardier qui emmène le patient à la radio doit prendre le temps de vérifier son identité. Avant chaque prise de sang, chaque radio ou examen de médecine nucléaire, avant une séance de chimio ou de radiographie, demander au patient de décliner son identité ou la vérifier sur son bracelet s’il n’est pas conscient est tout à fait normal et nécessaire. Bien évidemment, la check-list du bloc opératoire comprend aussi une étape pendant laquelle les soignants vérifient qu’ils ont bien le bon patient sur la table d’opération. L’identitovigilance est véritablement l’affaire de tous.
Pour parvenir à mobiliser tous les corps de métier d’un établissement de soins autour de la question de l’identitovigilance, partir des cas concrets tirés du quotidien de chacun est particulièrement important. Il faut donc encourager les équipes à signaler les erreurs d’identité ou les situations d’erreurs qui ont failli se produire pour en analyser les causes. « Je prends très vite contact avec la personne qui a déclaré l’erreur pour analyser avec elle ce qui s’est passé et comprendre pourquoi. Ensuite, on fait une réunion dans le service, non pas pour stigmatiser la personne qui s’est trompée, mais pour trouver des explications sur les circonstances, indique Brigitte Sabatier. Pour convaincre les équipes de déclarer, il est important de faire comprendre qu’il y a souvent des explications à nos erreurs : on a été dérangé, on n’a pas utilisé les bons supports… De nombreux éléments dans votre environnement de travail peuvent vous conduire à faire une erreur. » Cette discussion en équipe, voire en CREX (Comité de retour d’expérience) si l’événement peut concerner plusieurs services, fait souvent émerger les solutions d’amélioration que l’on peut apporter, pour éviter que la situation source d’erreur ne se répète.
C’est exactement ce qui s’est produit au CHU de Saint-Étienne, confronté à une erreur d’identité pour cause d’homonymie, comme celle détaillée en cas clinique dans ce dossier. « Nous nous sommes réunis à 5 ou 6 autour d’une table pour analyser cet événement indésirable, et réfléchir à une solution pratique pour les patients portant les mêmes noms, se souvient Pascale Oriol. Très vite, nous en sommes arrivés à ce petit logo à deux têtes dans un panneau “attention”. » (voir visuel ci-contre). De la même façon que les pictogrammes sur les boîtes de médicaments alertent les malades sur les risques de somnolence, le CHU de Saint-Étienne a son logo « patients homonymes », pour alerter les personnels sur le risque de confusion. Ces petits autocollants sont apposés sur le tableau d’affichage du service, en face des noms des patients homonymes ou approchants, sur leur bracelet d’identification, dans leur dossier de soins et également sur les demandes de transport, pour que les brancardiers et les ambulanciers soient alertés.
« Nous avons aussi donné comme consigne de regrouper les patients homonymes dans le même secteur du service plutôt que de les séparer, afin de stimuler la vigilance. Si un brancardier vient chercher Mme Durand, les soignants du service auront le réflexe de demander : “Laquelle des deux ?” Ça n’a l’air de rien, mais ça change tout ! » souligne la responsable de la cellule d’identitovigilance.
Cette efficacité concrète perçue par les équipes est le meilleur atout pour les convaincre du bien-fondé de la démarche d’identitovigilance. À Saint-Étienne, le nombre d’événements indésirables déclarés concernant l’identité des patients est passé de 3 à 5 par an en 2007 à plus de 40 en 2014. « Ce ne sont pas forcément des erreurs graves, mais des choses qui ont interpellé les équipes. Ces dernières nous déclarent les événements parce qu’elles nous font confiance pour décortiquer les faits et leur apporter des réponses », analyse le Dr Oriol.
L’implantation d’une démarche de vigilance passe par la communication et la formation des personnels sur l’intérêt de la déclaration des erreurs et sur les bénéfices de cette vigilance collective. Ne serait-ce que parce qu’elle permet de convaincre que les erreurs peuvent arriver à tout le monde. « On dit qu’enseigner, c’est répéter. C’est exactement pareil pour la sécurité des soins ! C’est un chantier perpétuel, assure Brigitte Sabatier. Si vous arrêtez de communiquer, l’habitude reprend le dessus et elle n’est pas toujours facteur de qualité ! » La nécessité de dire et redire l’importance de l’identitovigilance est également vraie dans les petites structures, où le turn-over de patients et d’équipes est souvent faible. La cellule d’identitovigilance du CHU de Saint-Étienne prend particulièrement à cœur cette mission de formation et de communication. Depuis 2007, des affiches et une bande dessinée ont été conçues pour informer les patients. L’année dernière, l’équipe a décidé de tourner un film à partir de quatre erreurs d’identité déclarées et légèrement réadaptées pour l’occasion. Au cœur du soin : l’identité du patient, qui a suscité beaucoup d’intérêt lors de sa projection pendant le dernier salon infirmier, a été tourné dans le CHU par des professionnels volontaires. « Le film a beaucoup fait parler et nous a permis de lier les gens autour de la thématique. Nous nous sommes vraiment appuyés sur des choses qui arrivent. Le soignant se retrouve dans l’histoire car il y voit sa propre pratique, et l’objectif est qu’il puisse ainsi se remettre en question », explique le Dr Oriol. Après plusieurs diffusions dans des colloques, le long métrage est désormais utilisé à des fins pédagogiques par la faculté de médecine et les Ifsi locaux, et il est même devenu le support d’une formation DPC sur les erreurs d’identité.
Toutes les personnes impliquées dans l’identitovigilance, quelle que soit la taille de leur établissement, sont unanimes : les petites modifications pratiques ont au moins autant d’impact sur la sécurité des soins que les grandes révolutions, comme changer un logiciel de prescription ou transformer des chariots de distribution. « Évidemment, ces grands projets à moyen terme sont très utiles, mais ce qui permet aux équipes de réaliser rapidement l’intérêt de l’identitovigilance, ce sont souvent des détails », indique le Dr Oriol. À Saint-Étienne, les étiquettes nominatives posaient problème. Chaque service avait ses pratiques de rangement et de classement : il arrivait régulièrement que tout se mélange et les étiquettes n’étaient pas forcément bien jetées au départ du patient. Le risque de confusion était donc important. Des enveloppes transparentes à scratch, une par patient, ont suffi à régler le problème : « On y met toutes les étiquettes quand le patient arrive dans le service. Lorsqu’il s’en va, l’enveloppe étant transparente, on voit mieux qu’il reste des étiquettes dedans et on pense à les jeter. L’enveloppe ferme par un scratch, donc les étiquettes ne tombent plus, problème résolu ! »
L’équipe de l’hôpital européen Georges Pompidou à Paris débute un projet de recherche financé par le ministère de la Santé autour de cette dernière étape de vérification de l’identité avant l’administration des médicaments. « Tout passe par des codes-barres, pour chaque médicament déposé dans le pilulier, pour chaque pilulier et chaque bracelet de patient. L’infirmière est équipée d’un petit lecteur de codes-barres et, quand elle fait son tour de distribution, elle scanne le pilulier, les médicaments et le bracelet d’identité du patient. Si la croix qui apparaît est verte, c’est bon, l’infirmière peut administrer », explique la pharmacienne Brigitte Sabatier. Ce type d’outil déjà très employé aux États-Unis n’avait encore jamais été testé en France dans le cadre d’une étude. L’objectif est donc de chercher à démontrer si ce système réduit les erreurs évitables et d’évaluer sa faisabilité technique, l’acceptabilité par les patients et la satisfaction des IDE quant à l’usage de cet outil supplémentaire. Les premières utilisations dans les services de soin vont commencer ce mois-ci et les résultats sont attendus pour publication en 2017. « Nous cherchons à sécuriser la dernière étape du circuit du médicament, à simplifier le travail des IDE qui, en administrant le médicament sont le dernier verrou essentiel à la sécurité, souligne Brigitte Sabatier. Si nous parvenons à démontrer que le nombre d’erreurs est significativement réduit, la HAS pourrait recommander ce type de dispositif. »
Au CHU de Saint-Étienne, la cellule d’identitovigilance compte un noyau dur d’une quinzaine de professionnels et monte jusqu’à une trentaine en comptant tous les « intermittents ». Ce qui ne doit surtout pas décourager les petites structures ! La Direction régionale des affaires sanitaires et sociales de Midi-Pyrénées a notamment publié en 2009 un guide intitulé « Quelques recommandations pour la mise en œuvre de l’identitovigilance dans les établissements de santé », afin d’accompagner les structures, quelle que soit leur taille. « Il y a toujours quelques personnes motivées qui ont déjà pour x ou y raisons l’habitude de travailler ensemble, c’est le début de tout. S’appuyer sur ces bonnes volontés est très rapidement porteur d’actions concrètes. Du coup, les collègues se rendent compte de votre utilité et vous rejoignent », assure le Dr Pascale Oriol. Hormis la bonne volonté, l’autre fer de lance d’une démarche efficace est la pluridisciplinarité. La question de l’identité des patients touche quasiment tous les métiers d’un établissement de soins, du personnel administratif du bureau des entrées ou du service des archives au personnel soignant et aide-soignant, en passant par les informaticiens, mais aussi les personnels médico-techniques ou chargés du transport des malades. Compte tenu de la responsabilité des infirmières lors de l’administration des médicaments, les cadres de santé sont souvent parmi les premiers convaincus. « Mais plus votre cellule est constituée de métiers différents, plus il vous sera facile d’aller convaincre chacun que l’identitovigilance est la responsabilité de tous », souligne le Dr Oriol.