DYSFONCTION ÉRECTILE
SUR LE TERRAIN
TRANSMISSIONS
Aujourd’hui, en France, le cancer de la prostate est le cancer le plus fréquent chez les hommes de plus de 50 ans. Malgré l’amélioration des techniques de préservation nerveuse, plus de 60 % des patients souffrent de dysfonction érectile après leur chirurgie.
La dysfonction érectile est un motif fréquent de consultation. Au CHU-Hôpitaux de Rouen, sa prise en charge était assurée par les urologues de manière hétérogène et non standardisée, au cours d’une consultation médicale. En 2008, face à un nombre croissant de demandes de prise en charge spécifique, l’équipe a créé une consultation infirmière d’information et d’éducation dédiée aux dysfonctions érectiles, en complément de la consultation de l’urologue ou de l’andrologue. À ce jour, 220 consultations ont été réalisées par Carine Jego et Sandrine Beaudouin, qui composent l’équipe infirmière experte en urologie. Cette consultation infirmière d’information et d’éducation, qui permet notamment l’apprentissage des injections intracaverneuses (IIC), est prescrite par l’urologue. Elle se déroule en trois temps.
La première étape de la consultation est celle de l’information. Nous expliquons – ou réexpliquons – la physiologie de l’érection et l’étiologie de la dysfonction érectile au patient. Il est important qu’il ait une bonne compréhension du problème. Nous lui exposons également les raisons de la pathologie, ainsi que les indications, le mécanisme d’action et les propriétés des injections intracaverneuses (IIC) de Prostaglandine E1, un puissant vasodilatateur.
Ce premier temps de la consultation est l’occasion pour M. P. et son épouse d’aborder, pour la première fois, des questions intimes personnelles ou partagées. Le patient verbalise peu à peu son mal-être face à sa dysfonction érectile. Il le vit comme une atteinte à sa virilité : « Un homme qui n’a pas d’érection n’est pas un homme à proprement parler », affirme-t-il. Son épouse n’est pas d’accord et proteste, et la discussion s’engage. Dans ce genre de situation, le recours au psychologue ou au sexologue du service se révèle parfois nécessaire. L’infirmière, formée à la relation d’aide et à la conduite d’entretien, sert de relais et favorise un climat de confiance qui permet au patient de « libérer » sa parole.
La consultation infirmière se poursuit avec un volet sur les mesures d’hygiène – lavage des mains ou asepsie de la peau – ainsi que les mesures de sécurité, comme la gestion des déchets, par exemple. Nous les enseignons au patient afin de limiter au maximum les risques infectieux. Nous dispensons également des conseils pratiques pré- et post-injection sur la préparation de l’IIC (conservation du produit à l’air ambiant, vérification du kit, lecture de la notice), la posture (assis, debout, allongé, devant un miroir) et sur les étapes de l’injection. Nous remettons au patient un livret d’information reprenant ces conseils, ainsi que les fiches « Conduite à tenir devant une érection prolongée » et « Schéma thérapeutique ». Cette dernière propose de réaliser deux à trois injections par semaine, espacées d’au moins 48 heures (même sans rapport sexuel), et d’augmenter si nécessaire les doses de 2,5 µg par IIC toutes les quatre injections, jusqu’à l’obtention d’une érection complète. La première IIC est systématiquement réalisée par un médecin, au sein de l’hôpital. Le matériel d’injection est présenté au patient, afin qu’il apprenne à préparer la seringue et à réaliser l’injection intracaverneuse. Pour faciliter cet apprentissage, l’infirmière prépare une IIC factice en décomposant le geste en même temps que le patient (comme un effet miroir), puis réalise l’injection dans un support anatomique pédagogique (un pénis en mousse), afin que le patient visualise bien la zone d’injection.
Huit jours après cette première IIC, le patient est reçu en consultation par l’infirmière afin de vérifier les connaissances et compétences acquises. Si celles-ci sont validées, le patient, ou son partenaire s’il est présent, réalise l’injection intra-caverneuse sous contrôle infirmier. Il peut dès lors réaliser seul chez lui ses IIC, en respectant le protocole d’augmentation des doses prescrit. En revanche, si l’infirmière constate que le geste n’est pas acquis, elle propose au patient des consultations d’apprentissage supplémentaires – elle peut lui en proposer jusqu’à quatre.
L’acte technique réalisé est évalué par l’infirmière et corrigé si nécessaire. Cette dernière estime la tolérance de la première injection (absence de priapisme, de douleur, etc.) et la qualité de l’érection, suivant l’échelle de rigidité EHS (Erection Hardness Score), qui permet une évaluation simplifiée de la fonction érectile. Le déroulement de la consultation d’éducation est ensuite consigné sur la fiche d’évaluation et de traçabilité. Elle sera reprise lors de chaque consultation infirmière et permet de noter l’évolution de l’apprentissage et l’acquisition des compétences.
Deux autres consultations sont réalisées 3 mois et 6 mois après la première injection. Elles permettent d’évaluer si les objectifs définis avec le patient lors de la première consultation infirmière ont été atteints. Au bout de trois mois, l’infirmière retrouve en consultation un couple souriant. De petites érections naturelles sont réapparues. Et M. P. a fait le deuil d’une sexualité spontanée pour une sexualité « plus technique », mais de bonne qualité.
Un mois après sa prostatectomie radicale, M. P., 60 ans, se présente en consultation d’urologie post-opératoire, accompagné de son épouse. Son taux de PSA (antigène prostatique spécifique) est inférieur à 1, et il ne présente pas d’incontinence urinaire. La tumeur de la prostate a été entièrement retirée, mais le patient semble déprimé et se met à pleurer devant l’urologue. Il n’a plus aucune érection naturelle, et a le sentiment que sa virilité est mise en doute.
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→ 2008 : Création d’une consultation infirmière d’information et d’éducation aux IIC pour les patients prostatectomisés souffrant de dysfonction érectile.
→ 2009 : Ouverture de la consultation à tous les patients souffrant de troubles érectiles.
→ 2011 : Obtention d’un DIU d’IDE experte en urologie pour Carine Jego.
→ 2012 : Écriture d’un protocole de coopération (loi HPST du 21 juillet 2009) permettant à une infirmière de réaliser des IIC en lieu et place d’un médecin.
→ 2014 : Dépôt du protocole de coopération à l’HAS.
S’appuyant sur la loi HPST du 21 juillet 2009 – art. 51 qui permet la mise en place « à titre dérogatoire et à l’initiative des professionnels, d’un transfert d’actes ou d’activités de soins et de réorganisations des modes d’intervention auprès des patients », un projet de coopération interprofessionnelle a été soumis à la HAS en septembre 2014. Il concerne la réalisation des IIC par l’IDE experte, en lieu et place d’un médecin, l’interprétation du résultat de l’IIC, et la validation ou invalidation du traitement par IIC.
La dysfonction érectile se définit comme l’incapacité persistante d’obtenir et/ou de maintenir un degré d’érection suffisant pour permettre une activité sexuelle. Certaines pathologies, telles que les cancers pelviens avec prostatectomie, le diabète, les pathologies cardiovasculaires ou neurologiques, favorisent l’apparition de ce trouble. Après une prostatectomie radicale avec conservation des bandelettes neuro-vasculaires, la récupération des érections spontanées est progressive (dans un délai d’environ deux ans). L’Association française d’urologie (Afu) recommande l’utilisation précoce des injections intracaverneuses (IIC) de Prostaglandine E1 après la prostatectomie radicale. Celles-ci déclenchent des érections permettant la reprise d’une activité sexuelle et favorisent la réapparition ultérieure d’érections spontanées, en évitant la fibrose des corps caverneux.