Mauvaise orthographe, homonymie, confusion avec le nom marital, les sources d’erreurs d’identité sont nombreuses. Le risque d’administrer à un patient le traitement destiné à un autre est d’autant plus grand que le malade ne peut confirmer lui-même son état civil.
> Iona, 4 ans, et Ilona, 5 ans, sont toutes deux hospitalisées dans la même chambre d’un établissement médico-social pour enfants
Pour Iona, cela est dû à une malformation cérébrale sévère, l’agénésie du corps calleux. Ilona, quant à elle, souffre d’une anomalie chromosomique majeure. Toutes deux présentent de gros retards d’acquisition, y compris du langage verbal, et sont installées en siège moulé.
> Chacune reçoit notamment un traitement antiépileptique : de la carbamazépine en suspension buvable et du topiramate en comprimé pour Iona, du lévétiracétam en solution buvable et de la vigabatrine en comprimé pour Ilona. Ces deux enfants ont une gastrostomie par laquelle se font toutes les administrations de médicaments.
> Le traitement de chaque petite fille est préparé à la pharmacie, dans un gobelet dont le couvercle porte une étiquette manuscrite au prénom de l’enfant. Dans le cas de Iona et Ilona, les comprimés ont été écrasés et chaque gobelet a été déposé après double vérification (pharmacien + préparateur) sur le chariot de distribution.
> Au moment de l’administration, l’infirmière vérifie une dernière fois que la prescription est conforme aux médicaments présents dans le gobelet destiné à l’enfant qu’elle a en face d’elle. Elle remarque alors que la couleur du comprimé écrasé n’est pas celle dont elle a l’habitude. Après vérification, l’infirmière constate qu’il y a eu une inversion entre les deux gobelets déposés côte à côte sur le chariot. Le prénom écrit à la main sur le couvercle de chaque gobelet n’est pas parfaitement lisible, et la ressemblance entre Iona et Ilona prête à confusion.
> Le traitement n’est donc administré à aucune des deux fillettes. Les couvercles des gobelets sont jetés et les prénoms réécrits plus lisiblement. La pharmacie est avertie de la nécessité de refaire ces piluliers en tenant compte du risque de confusion entre les deux enfants.
Cette erreur d’identité, découverte juste avant l’administration croisée de traitements, aurait pu avoir des conséquences dramatiques. L’incident a incité l’équipe de cet établissement médico-social à réfléchir à ses pratiques d’identification des patients lors d’un comité de retour d’expérience. Plusieurs facteurs de vulnérabilité sont apparus :
> L’homonymie et la proximité de certains prénoms très répandus ces dernières années, comme Guilian et Guillaume, Léna et Héléna, Kilian et Kylian, ou encore Ewan et Erwan, qui potentialisent les risques de confusion.
> La particularité des établissements pédiatriques, où les enfants sont appelés par leur prénom et non monsieur X ou madame Y, ce qui éviterait certaines homonymies.
> Le polyhandicap et/ou l’âge des patients accueillis, qui rendent le contact verbal et la vérification d’identité auprès de l’enfant plus délicats, voire simplement impossibles.
> Les longues durées de séjours, qui peuvent mettre les soignants face aux dangers de l’habitude. En présence d’un enfant connu et traité avec la même prescription depuis plusieurs mois, la vigilance peut s’émousser naturellement.
> Dans l’immédiat, les équipes soignantes et le personnel d’accueil sont sensibilisés au risque d’homonymie. Afin de limiter ce dernier, l’équipe infirmière propose, en comité de retour d’expérience, d’inscrire sur les pots de traitement le prénom de l’enfant, suivi de la première lettre du nom de famille. Depuis, les étiquettes ne sont plus manuscrites, mais imprimées aux nom et prénom de l’enfant, afin de garantir l’identité et la lisibilité.
> Des rappels sont régulièrement effectués depuis, notamment lors de l’admission d’enfants aux prénoms semblables, de jumeaux ou de fratries portant le même nom de famille, en transmission et/ou en réunion pluridisciplinaire.
À plus long terme, le circuit du médicament a été entièrement revu. Afin de sécuriser celui-ci, l’établissement est passé à un mode de distribution des traitements nominatif.
> Dans le service de soins de suite et de réadaptation, les chariots de distribution des médicaments comportent désormais un casier par enfant, contenant tous ses médicaments, y compris les solutés pour la semaine. L’approvisionnement hebdomadaire du chariot est fait à la pharmacie, et fait l’objet d’une double vérification pharmacien / préparateur. Pour chaque enfant, les infirmières de nuit préparent le pilulier de la journée suivante et le déposent dans le casier identifié par le nom, le prénom et la photo de l’enfant. Une cadre infirmière se charge de réactualiser régulièrement les photos si les enfants changent trop rapidement. L’infirmière qui administre le traitement peut donc, au moment de tendre le gobelet à l’enfant, vérifier la conformité prescription-médicaments-photo-patient. Dans le courant de l’année 2015, l’établissement devrait également se doter d’un logiciel de prescription nominatif, dans lequel la photo de chaque patient pourra être intégrée.
> Dans l’établissement médico-social, qui fait équipes et pharmacie communes avec le service de soins de suite et de réadaptation, on ne trouve ni délivrance hebdomadaire ni chariot à casiers individuels, mais la logique de l’identification de l’enfant par sa photo a également été adoptée. Elle figure à côté de la prescription, dans le classeur qui se trouve sur le chariot, et guide la dernière vérification avant administration des traitements aux patients. Ce sont souvent les aides-soignantes qui assurent cette étape clé, sous la responsabilité des infirmières. « Les exigences de qualité des soins du service de soins de suite et de réadaptation nous servent de modèle pour la structure médico-sociale. Les aides-soignantes sont donc très sensibilisées à cette question de la sécurité, et la délégation des tâches se fait en toute confiance », témoignent les cadres infirmières de cette double structure. « Les nouvelles embauchées ne le font pas tout de suite. Nous attendons quelques mois, qu’elles connaissent bien les lieux, les pratiques et les enfants. Dans la mesure du possible, on essaye de laisser les médicaments dans la pièce où se trouve l’enfant, sa chambre ou la salle de vie, et de rester à proximité. De cette manière, pendant qu’on prépare les médicaments d’un autre petit patient, on peut voir d’un coup d’œil à quel enfant elle est en train d’administrer le traitement », poursuivent-elles.
La couleur du comprimé écrasé n’est pas celle dont l’infirmière a l’habitude
1- Enfants relevant de l’annexe 24ter du décret 88423 du 22 avril 1988.
> Pour le responsable qualité de la structure médico-sociale, cet événement « a finalement amené l’équipe à réfléchir collectivement à ses pratiques, et chacun a ainsi pu mesurer les enjeux du travail de l’autre dans la sécurité globale de la prise en charge ». Certaines tensions d’équipe ont ainsi été naturellement désamorcées. « Par exemple, les personnels aides-soignants vivaient parfois mal les réactions des infirmières concentrées sur la délivrance des médicaments, comme s’il y avait “des altesses à ne pas déranger, et le bas-peuple vaquant à ses occupations”. » Une fois que sont détaillés les enjeux de cette responsabilité des infirmières, tout le monde comprend mieux la situation et le fonctionnement des équipes s’en trouve apaisé.
> Le pédiatre note a posteriori que « si l’on devait admettre aujourd’hui deux enfants de même gabarit aux prénoms et aux pathologies si proches, on éviterait de les placer dans la même chambre. Et ce, même si nous avons modifié nos pratiques d’identification entre-temps. » Pour des raisons de contingence de service ou d’admission en urgence, ce n’est certes pas toujours possible d’éviter de les installer dans la même chambre.
« Toutefois, ce qui est sûr, c’est que dès le bureau des admissions, une alerte serait donnée et que le message serait passé aux équipes. »