FORMATION
CAS CLINIQUE
Dans le cadre de l’éducation, le patient insuffisant cardiaque reçoit des informations et acquiert des connaissances fondamentales, au premier rang desquelles figurent la surveillance du poids et celle des symptômes d’aggravation. Tour d’horizon.
L’ETP consiste à expliquer les grandes classes médicamenteuses des traitements, leur but et la façon de les surveiller.
→ Le traitement antihypertenseur, remède de fond, soulage le cœur : chez un patient hypertendu comme Monsieur S., le maintien d’une tension au-dessous de 140 – 90 mmHg est essentiel pour « économiser » le cœur. En effet, plus la tension est élevée, plus elle fait obstacle à la capacité d’éjection du cœur. Lequel doit alors fournir un effort supplémentaire et se fatigue plus rapidement. C’est donc un traitement de fond à n’arrêter sous aucun prétexte. « Leur effet anti-hypertenseur entre peu en ligne de compte dans l’inobservance, car les variations de tension artérielle induites sont “silencieuses”, sans effet clinique, explique le Dr Jennifer Cautela, chef de clinique responsable du programme d’Éducation thérapeutique pour les patients porteurs d’insuffisance cardiaque chronique de l’hôpital Nord de Marseille. Le problème d’observance est plus souvent lié au nombre de cachets. Il faut donc insister sur le fait que la prescription des bétabloquants et des IEC doit être scrupuleusement observée. »
→ Les diurétiques sont indispensables : Le fait d’avoir une fraction d’éjection ventriculaire gauche à 40 % doit être expliqué simplement à ce patient (cas clinique p. 42), pour qu’il puisse comprendre ce qu’induit cette dysfonction cardiaque et l’utilité des traitements qui lui sont donnés. En l’occurrence, il doit saisir, au besoin à l’aide d’images ou de vidéos, que son cœur ne se contracte pas correctement et que l’artère qui amène le sang aux reins manque de pression. De ce fait, la quantité de sang filtrée par les reins diminue, ce qui entraîne une accumulation d’eau dans le sang qui nécessite un effort supplémentaire de la pompe cardiaque (le patient fatigue vite), favorise la stagnation d’eau dans les poumons (OAP) et les membres inférieurs (il s’essouffle au moindre effort, ne parvient plus à dormir allongé) et se traduit par une prise de poids (lire ci-après), d’autant plus rapide que le patient ne se restreint pas en sel, voire s’hydrate trop. « D’où la prescription de diurétiques qui font uriner et permettent ainsi d’éliminer l’excès d’eau et de sel, ajoute le Dr Cautela. C’est un traitement qui doit être pris systémati?quement et qui, dans certains cas, chez un patient éduqué, peut, en accord avec le médecin, être ponctuellement augmenté en fonction des symptômes ». Quoi qu’il en soit, il convient d’expliquer que l’arrêt du traitement représente un vrai risque pour le patient et que cet arrêt est à l’origine d’un grand nombre de réhospitalisations.
→ Les médicaments prescrits entraînent des contre-indications pour d’autres médicaments. C’est le cas, notamment, des AINS. « Ce n’est pas une contre-indication absolue et ils peuvent être prescrits sous contrôle médical. Le problème est qu’ils peuvent être vendus sans ordonnance et que les patients âgés qui souffrent souvent d’arthrose, avant même le diagnostic d’IC, avaient l’habitude d’en prendre. Le risque est qu’ils continuent cette pratique, si on ne les prévient pas, s’exposant de ce fait à des problèmes », explique le Pr Yves Juillière, PUPH, département des maladies cardiovasculaires au CHU de Nancy-Brabois. Par exemple, l’effet antihypertenseur des IEC peut être atténué par les AINS. La tension artérielle moyenne peut augmenter de 5 – 10 mmHg. En cas d’insuffisance rénale, la fonction rénale peut se détériorer davantage. La prise de brève durée ou à faible dose d’un AINS est, certes, moins dangereuse que la prise prolongée ou à dose élevée, mais il est impossible de prédire quel sera l’effet d’un AINS dans un cas particulier. Mieux vaut donc, par mesure de prudence, s’abstenir d’en prendre.
Le sel en excès favorise la rétention d’eau et la prise de poids. Il faut donc éviter tous les aliments riches en sel, en particulier les plats préparés et les soupes déshydratées (voir illustration p. 46) et privilégier une alimentation maison à base de produits frais naturellement peu salés, éviter les fruits de mer, et ne pas ajouter de sel à la cuisson.
→ Les apports en sel doivent être limités à 6 g/jour. Mais, pas facile de doser… C’est plus simple alors d’expliquer au patient de supprimer la salière de la table et de la remplacer par d’autres saveurs : poivre, citrons, épices…
→ Le sel de régime est à proscrire, le patient doit savoir qu’il contient du potassium et peut, en excès, favoriser une hyperkaliémie susceptible d’engendrer des troubles du rythme cardiaque voire, pire, un arrêt cardiaque.
→ Les apports hydriques ne doivent pas dépasser 1,5 litre par jour : il faut déduire de cette ration journalière les bols de soupe et de café pour déterminer la quantité résiduelle de boisson que le patient doit boire durant la journée. « C’est une règle à respecter strictement, y compris lorsqu’il fait chaud. Dans ces conditions, le patient doit boire un peu plus, mais très modérément plus…, explique le Pr Yves Juillière. Or, parfois, il suit certaines consignes diffusées dans les médias et se met en difficulté. »
→ En cas de situations propices aux écarts (fêtes de fin d’année, repas de famille, sortie au restaurant…) il convient de faire attention à ne pas perturber le régime hydrosodé. Les huîtres, par exemple, présentent le risque d’un déséquilibre très rapide de ce dernier (sel + eau). On invite le patient à éviter ces aliments au profit d’autres moins à risque.
Des symptômes imposent d’alerter le médecin. Il s’agit de : la prise rapide de poids, un œdème des chevilles, l’apparition ou l’aggravation de l’essoufflement (dyspnée) et/ou des difficultés respiratoires nocturnes.
« Si l’essoufflement est facile à constater, le réflexe le plus objectif à faire acquérir au patient est la surveillance quotidienne de son poids, confirme le Pr Yves Juillière. La prise du poids doit être réalisée dans les mêmes conditions tous les jours (le matin au lever, avant ou après la miction matinale, par exemple) et reportée sur un tableau ou une courbe de poids (voir illustration). Son interprétation est simple : une prise de poids de plus de 2 kg en deux jours amorce une décompensation de l’IC. Elle doit conduire le patient à contacter son médecin traitant ou à prendre les mesures qu’il est lui-même capable de mettre en œuvre, conformément à ce qu’il a appris en ETP : augmenter voire réintroduire le Lasilix si celui-ci a été arrêté, surveiller plus attentivement sa consommation de sel si des écarts répétés sont à l’origine de la rétention d’eau, par exemple. »
Une activité régulière doit être maintenue, mais en endurance (marche, vélo, natation…), pas en résistance (port de charge, à-coups physiques). Dans ses recommandations, la Haute autorité de santé préconise une marche de 30 minutes trois fois par semaine. Celle-ci améliore l’état de l’insuffisant cardiaque et diminue la morbi-mortalité. Par ailleurs, elle est importante pour le psychisme. Il faut absolument que le patient, confronté à la maladie chronique, puisse se rendre compte qu’il est en capacité de conserver une activité satisfaisante.
Quel rôle joue l’IDE dans l’ETP de l’insuffisant cardiaque ?
Au sein de l’équipe pluridisciplinaire d’ETP (médecin, diététicienne, kiné, psychologue), l’infirmière occupe réellement un rôle de coordination.
C’est elle, en effet, qui réalise le diagnostic éducatif sur proposition du médecin.
Elle a donc la vision globale de la prise en charge dont le patient a besoin. À l’issue de l’entretien, on négocie les objectifs avec lui, en fonction de ce qu’on juge important qu’il sache et de ce que, lui, a envie de connaître. À partir de là, on établit un programme personnalisé. Par exemple, si un patient pratique déjà une activité physique régulière et adaptée, on ne va pas forcément lui proposer un atelier de kinésithérapie. Si, en revanche, il a des difficultés avec l’alimentation, on commencera par un atelier sur ce thème. On fixe des objectifs progressifs en proposant des informations dont le patient pourra faire usage dès qu’il sera prêt.
Comment s’organise la coordination ?
Les ateliers ne peuvent pas toujours être effectués en binôme soignants. D’où l’importance de la transmission des informations entre les intervenants.
À cet effet, nous avons mis en place un outil de traçabilité unique qui répertorie toutes les séances avec, pour chacune, l’indication du contenu, des outils utilisés, de la façon dont la séance s’est déroulée avec le patient, ses acquisitions, ses difficultés. Exception faite du diagnostic éducatif et de la restitution de la synthèse finale, toutes les séances se déroulent en groupe de manière à permettre aux patients de se rendre compte qu’ils ne sont pas seuls, d’échanger entre eux des astuces par rapport au quotidien de la maladie. Autant de choses que nous ne pouvons pas leur apporter. Parfois, les patients sont réticents pour intégrer le programme. Une fois qu’ils en ont compris l’intérêt, ils viennent à toutes les séances, voire en redemandent !
Comment abordez-vous l’ETP avec les étudiants en IFSI ?
Ils ont parfois du mal à appréhender l’ETP parce, pour elles, la formation infirmière, c’est d’abord apprendre à faire des soins techniques (pansements, prises de sang…). Les soins éducatifs ne leur parlent pas toujours d’emblée, car l’effet sur l’état du patient n’est pas immédiat. Souvent, les élèves confondent information et ETP. Or, c’est important que les futures infirmières aient une bonne base dans ce domaine car, avec le nouveau référentiel, elles sont censées pouvoir mettre en place et mener par la suite des programmes d’ETP. La qualité de l’enseignement en IFSI est importante, mais c’est réellement sur le terrain que les étudiants vont pouvoir concrétiser ces actions et qu’ils prennent conscience de cette autre facette du métier.
En effet, il va falloir animer un groupe, mais aussi transmettre un savoir et un savoir-faire, avoir des personnes en face qui s’intéressent et ne sont plus passives, mais actrices de leur prise en charge. Il s’agit d’un véritable changement dans la posture professionnelle qui s’établit alors par la suite.
* Amélie Boireau a collaboré, à partir de 2004, à la première unité d’ETP dans l’IC créée en 2003 par le Dr Jourdain à l’hôpital René Dubos de Pontoise.