En situation d’extrême urgence, en l’absence du psychologue, les équipes de soins se retrouvent parfois démunies face aux questions des enfants des patients. D’où la mise en place d’un groupe de travail pluridisciplinaire à l’Hôpital européen Georges Pompidou.
L’univers de la réanimation est souvent totalement étranger aux visiteurs, qu’ils soient adultes ou enfants. C’est un lieu impressionnant, qui véhicule des images et des représentations inquiétantes, en lien avec l’idée de danger, de maladie et de mort. Quand un patient est hospitalisé en réanimation, c’est toute la dynamique familiale qui est perturbée. L’enfant est souvent maintenu à l’écart par ses proches dans le seul but de le protéger. Les parents ne savent pas toujours comment aborder ce sujet avec leur enfant, ni comment expliquer la gravité de la situation.
Dans l’unité de réanimation médicale adulte de l’Hôpital européen Georges Pompidou (AP-HP), à Paris, les horaires de visite s’étendent de 13 heures à 6 heures du matin, en continu. Comme le service accueille des patients ayant de jeunes enfants dans leur entourage proche, l’équipe soignante est, depuis plusieurs années, inscrite dans une démarche d’accueil. Elle est secondée par une psychologue qui accompagne les enfants, et les aide à comprendre la situation. Néanmoins, au regard de certains cas urgents – en particulier d’un avis d’aggravation ou de décès imminent – qui ne permettent pas d’attendre l’arrivée de la psychologue, l’équipe est régulièrement amenée à recueillir les souhaits de visites de ces enfants. Que faut-il leur dire et comment ? Doit-on accepter la visite ? Comment les accueillir au sein du service et limiter leur traumatisme ?
En tant que soignants, nous sommes souvent confrontés aux questions déstabilisantes des enfants : « Papa va mourir ? Tu vas le guérir ? ». Et on peut se sentir démuni face à cette situation qui nous renvoie parfois à notre propre histoire, à notre peur. Même si on ne l’exprime pas oralement, l’enfant perçoit l’inquiétude des adultes et comprend que la situation est inhabituelle. Ces non-dits augmentent son angoisse et il n’ose pas exprimer ses interrogations. Parler à un enfant, c’est lui montrer qu’il est un membre à part entière de la famille. C’est reconnaître sa capacité à comprendre ce qui se passe, lui montrer qu’on a confiance en lui. Lui dire la vérité « avec des mots gentils » favorise également son autonomie future. L’équipe soignante a donc décidé d’inclure les enfants dans la prise en charge globale du patient et d’aider les parents dans cette situation. Toutefois, au vu de la gravité des patients, des nombreuses machines et des bruits présents dans le service de réanimation, la visite d’un enfant ne doit jamais être banalisée. Il est important qu’elle soit pensée et suffisamment encadrée, que le patient soit conscient ou non.
Nous avons ainsi mis en place un groupe de travail pluridisciplinaire composé des acteurs de la chaîne de soin : Alix Giraud et Béatrice Mouëza, infirmières ; Alexandre Bordeau, aide-soignant ; Caroline Hauw-Berlemont, médecin ; Sandra Caquineau et Cindy Davagnar-Birnaut, cadres de santé, et Aurore Imbert, psychologue. À partir d’un brainstorming, nous avons élaboré une fiche d’aide à l’accueil des enfants visiteurs en réanimation médicale en l’absence de la psychologue. Cette fiche, non exhaustive, constitue un guide pour l’accueil et l’accompagnement d’un enfant tout au long de sa visite en service de réanimation. Elle aborde, de façon synthétique, les questions à se poser pour répondre à cette demande. Chaque situation est particulière et doit être évaluée individuellement, avec du recul. Et pour que la visite ait un sens, l’enfant doit être en âge d’exprimer une demande ou un refus, et de comprendre la situation à minima.
Chaque étape se fait en binôme paramédical et/ou médical. La première question à se poser : « Peut-on reporter la demande et attendre la présence de la psychologue, le transfert du patient en médecine ou l’amélioration de l’état général ? » Si la visite s’impose, nous utilisons le guide d’accueil qui se concentre sur cinq temps forts de la visite :
→ Le recueil de la demande, en entretien réel ou téléphonique, afin d’évaluer sa pertinence et de décider, d’un commun accord entre les parents et les professionnels, si la visite est indiquée.
→ L’entretien avec l’enfant, en présence d’un proche, au cours duquel nous abordons, avec un vocabulaire adapté, la pertinence de la visite.
→ La préparation de la chambre et de l’environnement du service pour dissimuler le plus d’éléments visuels possibles susceptibles de perturber l’enfant.
→ La visite dont le temps doit être limité pour offrir plus de repères à l’enfant et à son accompagnant.
→ Le debriefing post-visite qui se penche sur le ressenti de l’enfant et veille à ne pas laisser de questions sans réponse ou un vécu difficile en suspens.
Afin de nous aider à améliorer cette fiche, nous avons aussi mis en place une feuille d’évaluation. Chaque membre du personnel qui accueille un enfant, la remplit à la fin de la visite en relatant, de manière succincte, la situation du patient, l’âge et le ressenti des enfants, les points positifs ou non de la visite, et émet des suggestions visant à améliorer la fiche.
L’accueil des enfants visiteurs dans un service de réanimation est une démarche particulière qui demande un vrai cheminement de la part des équipes soignantes. Au final, les retours sont globalement positifs et notre équipe est satisfaite des nouveaux outils mis à sa disposition.
Ainsi, à l’arrivée de M. C. et de son fils, les soignants ont fait connaissance avec l’enfant et ont tenté de savoir ce qu’on lui avait dit, ce qu’il avait entendu et compris de l’état de santé de sa mère. Comme son père ne lui a rien caché de la situation, l’enfant a bien compris ce qui se passait. L’équipe a donc tout repris avec lui et répondu à ses questions. Le père et le fils ont ensuite été conduits dans la chambre de Mme C.
Mme C, 47 ans, est hospitalisée en réanimationpour choc septique. Son pronostic vital est engagé.Elle bénéficie d’une assistance respiratoire, circulatoire et d’une hémodiafiltration. Le décès de la patiente étant annoncé imminent, son mari a souhaité faire venir leur fils de 7 ans afin de lui dire au revoir. La psychologue étant absente, l’équipe soignante doit gérer cette situation inhabituelle.
→ Avril-septembre 2013 : Création du groupe de travail et de la fiche d’accueil.
→ Mars 2014 : Mise en place de la fiche dans le service et du questionnaire d’évaluation.
→ Avril 2014 : Création du livret enfants et tryptique parents.
→ Juillet 2014 : Partenariat avec la fondation MACSF.
→ Novembre 2014 : Présentation de la fiche au Salon Infirmier 2014.
→ Décembre 2014 : Édition des livrets et tryptiques avec mise en place et présentation dans le service.
Dans la continuité de cette démarche et grâce au financement de la fondation MACSF, le groupe de travail de l’Hôpital européen George Pompidou a créé un livret illustré de 22 pages destiné aux enfants, et un triptyque pour aider les parents à communiquer avec leur enfant. Cet ouvrage raconte l’histoire de deux enfants qui apprennent l’hospitalisation d’un proche appelé « Dado » et découvrent le service de réanimation, l’équipe et son atmosphère. Le triptyque explique aux parents l’intérêt de communiquer, et le moment de le faire. Il donne des explications sur les réactions de l’enfant, l’intérêt des visites, ainsi que des références bibliographiques. Ces outils sont en cours d’évaluation. Concrètement, une fiche est à remplir par les professionnels, et une seconde par les familles afin d’évaluer l’impact et les bénéfices de la démarche.
Vous avez mis en place un outil original, une procédure innovante, une nouvelle organisation pour améliorer la prise en charge des patients. Partagez votre expérience ! Contact : karen.ramsay@initiativessante.fr