L'infirmière Magazine n° 359 du 01/04/2015

 

HÔPITAL

ACTUALITÉS

REGARDS CROISÉS

AVELINE MARQUES  

Près d’un an après l’hospitalisation polémique d’un émir du Golfe à l’AP-HP, un rapport invite nos hôpitaux à accueillir davantage de patients étrangers aisés. Des voix saluent une belle source de recettes, tout en se défendant de remettre en cause l’égalité des soins.

Jean de Kervasdoué

« Les recettes engrangées permettraient de créer 30 000 postes en cinq ans »

Pourquoi la France devrait-elle accueillir davantage de riches patients étrangers ?

La demande de soins de qualité s’est développée dans les pays du Sud ; elle ne concerne pas seulement les très, très riches mais aussi des cadres supérieurs ou des professionnels libéraux, qui se renseignent sur Internet et voyagent. Certains pays ont déjà développé cette offre, comme la Thaïlande il y a une quinzaine d’années, Israël, la Turquie ou encore l’Allemagne, qui dégage 2 milliards d’euros de recettes par an. La France a les capacités médicales de répondre à cette demande. L’excellence de nos hôpitaux est internationalement reconnue : non moins de 98 services français sont classés parmi les 10 meilleurs, derrière les États-Unis (137) et loin devant l’Allemagne (30). Nous disposons, dans nos hôpitaux publics, des spécialistes mondiaux de maladies rares ou de cas complexes ; l’accueil de patients étrangers est une condition de survie de ces équipes. Nous traitons déjà des milliers de patients gratuitement, alors que certains pourraient payer. L’Aide médicale d’État (AME) est tout à fait justifiée, mais quelques abus subsistent. Si l’on se base sur le volume de patients accueillis chaque année par l’Allemagne, j’estime que les recettes engrangées permettraient de créer 30 000 emplois en cinq ans.

Les hôpitaux publics en sont-ils matériellement et humainement capables ?

Pour faire venir les patients étrangers payants, il faut fournir un service qui comprend la préparation de la visite, la prise en charge à l’aéroport, l’accueil des familles, etc. Pour cela, les établissements doivent passer des accords avec des sociétés dites de « conciergerie médicale ». Ils doivent également être capables d’établir un devis en trois heures, contre deux jours actuellement. La séparation ordonnateur-comptable, qui engendre des retards de remboursement quand un soin n’est finalement pas effectué, est un frein. En autorisant les CHU à créer des filiales pour développer leur expertise à l’international, la loi Macron doit permettre de simplifier les procédures et de renforcer les liens avec les médecins et hôpitaux étrangers. Reste le problème de la langue : les jeunes médecins maîtrisent l’anglais, mais il faut des soignants, notamment des infirmières, qui parlent anglais, voire arabe.

Ne risque-t-on pas de jeter les bases d’une médecine à deux vitesses, au sein même de l’hôpital public ?

Mais nous avons déjà une médecine à quatre vitesses ! Il y a des patients qui ont les moyens, d’autres qui ont le savoir, d’autres encore qui ont les moyens et le savoir… Il existe déjà des chambres individuelles avec supplément, pourquoi pas des chambres un peu plus grandes, plus luxueuses ? Les patients français pourraient également y avoir accès. On ne réserverait rien de particulier aux étrangers payants. Et ils ne représenteraient tout au plus que 1 % des patients accueillis… C’est l’équivalent de la croissance annuelle de la population française ! Il faut appliquer un principe éthique simple : il n’est pas question d’accorder une priorité aux patients étrangers. Certains pays ont également interdit les transplantations d’organes aux patients étrangers.

Jennifer Huguenin

« Le service reste maître du programme opératoire, il n’y a pas de priorisation »

En 2012, l’Assistance publique-Hôpitaux de Marseille a affiché sa volonté de développer l’accueil de patients étrangers payants avec la création du Pôle santé Méditerranée, plate-forme mutualisée de soins associée à une offre touristique. Qu’en est-il ?

Nous avons accueilli environ 250 patients étrangers payants en 2013, domiciliés au Maghreb, en Italie, en Espagne, en Afrique noire, en Europe de l’Est ou encore, aux États-Unis et au Canada. Cela concerne autant la chirurgie que la médecine, adultes ou enfants. L’accueil des patients étrangers payants à l’AP-HM est donc déjà une réalité, mais cette patientèle reste très disséminée dans les services. L’objectif du Pôle santé Méditerranée, nommé « Provence Surgery », est de structurer cette filière. Ce pôle associe l’AP-HM, le centre de rééducation Les Feuillades et un partenaire opérationnel spécialisé, avec le soutien de la Chambre de commerce et d’industrie. Nous lançons une expérimentation centrée sur l’orthopédie, en particulier la pose de prothèses de hanche et de genou ou la ligamento plastie. Le site des Hôpitaux du Sud, qui dispose déjà de chambres particulières multimédia, a été choisi. Nous avons identifié un marché cible : le Maghreb, avec qui Marseille entretient des liens historiques, l’Afrique noire, la Grande-Bretagne, l’Europe de l’Est et la Russie. L’objectif en 2015 est d’accueillir un patient de plus par semaine.

Quels moyens, notamment humains, sont déployés ?

En 2014, nous avons mis en place l’ensemble du circuit patient et les process administratifs et de facturation. L’idée est de proposer une offre globale, basée sur le tarif journalier de prestation pour la partie hospitalière. Elle comprendra une consultation préalable, la chirurgie et la rééducation, l’accueil à l’aéroport, les transferts, l’hébergement pour l’accompagnant, une éventuelle prestation touristique, etc. La coordination de cette partie logistique sera assurée par un partenaire opérationnel, chargé de la promotion à l’international. Il sera l’interlocuteur du patient ; nous resterons concentrés sur les soins. Pour l’instant, l’expérimentation est menée avec l’équipe en place. Nous verrons comment l’intégrer dans le cadre des filiales prévues par la loi Macron, si on peut l’étendre à d’autres disciplines et lui dédier des moyens. Quant à la langue, les échanges se feront en français ou en anglais, voire dans un autre idiome avec l’aide d’un interprète.

Comment concilier accueil de patients étrangers payants avec égalité des soins ?

Aucune crainte n’a été exprimée par le service avec qui l’expérimentation est menée. De plus, nous avons privilégié des interventions programmées. Le service restant maître du programme opératoire, il n’y a pas de priorisation. C’est la même équipe qui s’occupe des patients français et étrangers, payants ou non ; la qualité des soins est identique. Quant aux chambres particulières, elles sont déjà accessibles à l’ensemble des patients. Nous avons pensé à l’élaboration d’une charte spécifique pour délimiter les contours de la prise en charge. Celle-ci pourrait établir qu’une partie des recettes dégagées par cette activité – qui ne pèse pas sur le budget de l’assurance maladie – sera réinvestie au profit de l’accueil quotidien des patients à l’AP-HM.

JEAN DE KERVASDOUÉ

ÉCONOMISTE DE LA SANTÉ

→ Ancien directeur général des hôpitaux

→ Titulaire de la chaire d’Économie et Gestion des services de santé au Conservatoire national des arts et métiers

→ Auteur du rapport « Valoriser les atouts de la France pour l’accueil des patients étrangers »

JENNIFER HUGUENIN

DIRECTRICE DE L’AUDIT INTERNE À L’ASSISTANCE PUbLIqUE-HÔPITAUX DE MARSEILLE (AP-HM)

→ Directrice déléguée du pôle cardio-vasculaire-thoracique

→ Pilote le projet « Provence surgery »

POINTS CLÉS

→ Polémique. En mai 2014, la réquisition de neuf chambres de l’hôpital Ambroise-Paré (AP-HP) par un émir du Golfe a relancé le débat sur l’accueil de riches patients étrangers. Saluant cet « hommage formidable à la qualité du système hospitalier français », la ministre de la Santé a demandé à Jean de Kervasdoué d’évaluer les attentes de ces patients et de réfléchir au développement de « l’attractivité de la France ».

→ Rapport. Présenté en mars, le rapport appelle à simplifier la procédure d’obtention des visas et à favoriser l’ouverture d’hôtels « haut de gamme » spécialisés dans l’accueil de malades. Suivant une de ses recommandations, la loi dite « Macron » permet aux CHU de créer des filiales « pour assurer des prestations de services et d’expertise au niveau international ».

→ Recettes. Cette activité rapporterait actuellement 120 millions d’euros aux hôpi?taux, parmi lesquels l’AP-HP, l’AP-HM, Les Hospices civils de Lyon, l’Institut Gustave-Roussy et l’Hôpital américain de Paris.

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