Le casse-tête des fins de carrière - L'Infirmière Magazine n° 359 du 01/04/2015 | Espace Infirmier
 

L'infirmière Magazine n° 359 du 01/04/2015

 

POSTE DE TRAVAIL

CARRIÈRE

PARCOURS

MARIE ALÈS  

Avec le recul de l’âge de départ à la retraite, la gestion de fin de carrière des infirmières s’avère problématique. Sans vraie politique dans les établissements, elles se doivent d’être proactives.

Depuis une bonne dizaine d’années, les tâches des infirmières deviennent de plus en plus lourdes, non en matière de charge physique, mais en termes de stress et de fatigue intellectuelle. Ce qui conduit aussi à une fatigue physique, observe Marc Taillade, directeur des ressources humaines du CHU de Nîmes. Il y a également de moins en moins de phases de repos durant les journées de travail au regard de la productivité. Et cette situation risque de ne pas s’améliorer. Nous assistons, en outre, à une augmentation des horaires alternés entre le jour et la nuit. Nous nous interrogeons sur l’état de santé des infirmières lorsqu’elles auront 50-55 ans. » Un questionnement légitime. En effet, avec la réforme des retraites, le recul de l’âge de départ et le passage d’infirmiers en catégorie sédentaire avec départ prévu à 62 ans, les effectifs des « seniors » dans la fonction publique hospitalière vont croître, même si aujourd’hui, l’âge moyen est encore de 40 ans. La gestion de fin de carrière des infirmières commence à devenir une préoccupation pour de nombreux hôpitaux. La Fédération hospitalière de France (FHF) en est bien consciente.

PEU DE POSTES AMÉNAGÉS

« Nous avons travaillé avec les établissements sur l’utilisation des accords de réduction de temps de travail afin qu’ils organisent des fins de carrière pour les infirmières, en aménageant les rythmes de vie. Nous avons surtout émis des préconisations sur le temps de travail et l’identification des postes afin de permettre l’exercice des “seniors” dans de meilleures conditions de travail et de rythmes de travail, explique Cécile Kanitzer, conseillère à la FHF. Le problème est que nous sommes toujours à la frontière des postes aménagés, le plus souvent réservés aux agents qui font face à des problèmes de santé ou d’handicap. Ces postes ne sont pas nombreux. » Et Cécile Kanitzer de reconnaître que les établissements hospitaliers éprouvent des difficultés à mettre en œuvre une véritable politique de gestion des « seniors » dont la notion même a évolué. « Il y a dix ans, on était “senior” à 50 ans. Aujourd’hui, avec la réforme de la retraite, on l’est plutôt à 55 ans », note-t-elle.

Pour Pierre Baumgartner, secrétaire fédéral à la CFDT-Santé, la gestion de fin de carrière, voire celle de deuxième partie de carrière, reste un vœu pieux qui ne se concrétise pas, les établissements étant confrontés à des difficultés budgétaires. À cela s’ajoutent divers problèmes que souligne le syndicaliste. Ainsi, les infirmières qui occupent des postes aménagés, dits sédentaires, perdent le bénéfice du service actif pour leur retraite. « Celles qui ont choisi la catégorie B et qui ont entre 45 et 50 ans, se retrouvent quelque peu bloquées dans leurs options pour évoluer vers certains postes », remarque Pierre Baumgartner. « Les directions des ressources humaines évoquent beaucoup le bien-être au travail, mais le discours est en fait inapplicable », constate de son côté Philippe Crepel, syndicaliste CGT.

Pour Philippe Crepel, la prise en compte de la pénibilité reste essentielle. Et d’ajouter : « Les hôpitaux devraient travailler sur la prévention des TMS et mettre en place des postes “allégés”. Ce qui éviterait aux infirmières d’arriver en fin de carrière avec une incapacité ou une invalidité. Cet élément devrait alerter les établissements car ils sont leurs propres assureurs en ce qui concerne la maladie et ils ont tout intérêt à limiter l’absentéisme de longue durée. »

Des solutions pourraient aussi relever de l’organisation des soins. « Je suis persuadé qu’au sein des unités, il va falloir mettre en place des horaires différents et ne plus avoir des équipes du matin, d’après-midi ou du soir. Les solutions seront de plus en plus individuelles, avance Marc Taillade, DRH du CHU de Nîmes. On peut aussi prévoir que l’évolution de l’organisation de la prise en charge des patients favorisera l’émergence de nouveaux métiers pour les infirmières, avec des aménagements pour les plus âgées. » La FHF estime, pour sa part, que les communautés hospitalières de territoire, mesure figurant dans le projet de loi de Marisol Touraine, ministre des Affaires sociales et de la Santé, pourront permettre des coopérations plus développées entre les établissements et la création de parcours professionnels de fin de carrière.

VERS UNE DÉMARCHE PROACTIVE

Face à un manque de volonté politique, voire de moyens, quelles sont alors les solutions pour les infirmières en fin de carrière ? « Pour l’instant, la DRH s’occupe davantage des infirmières passées par le service médical, parce que fatiguées ou en incapacité temporaire. Le changement de poste est accidentel et subit, il n’y a pas de démarche proactive », remarque Marc Taillade. Un constat que confirme André Guisti, infirmier devenu ingénieur ergonome à l’hôpital Tenon Paris (AP-HP) (lire témoignage p. 67)  : « Le dispositif de gestion personnalisée des agents existe, mais c’est au cas par cas et il s’adresse, en premier lieu, aux personnes qui ont des inaptitudes ou sont handicapées. En matière de gestion de carrière, tout reste à faire. Les infirmières font comme elles peuvent pour trouver des postes moins usants. » Les « seniors » sont-elles si nombreuses que cela d’ailleurs ? « Beaucoup d’infirmières se reconvertissent en cours de carrière, vont vers le secteur libéral, choisissent d’élever leurs enfants. On constate aussi une “fuite” vers les spécialités comme l’anesthésie ou l’encadrement », remarque-t-il.

En l’absence d’une politique RH volontariste, il n’en demeure pas moins conseillé de se préoccuper de sa fin de carrière. Pour Marc Taillade, les infirmières doivent entamer une réflexion sur la suite de leur parcours professionnel à partir de l’âge de 50 ans, voire plus tôt : « Des formations existent. Les infirmières peuvent tout à fait passer un diplôme à l’âge de 45 ans pour devenir cadres, par exemple. Elles doivent anticiper et la DRH peut les aider dans leurs démarches afin de les orienter vers un changement et une formation, parce que peu de postes en service de consultation se libèrent. » Sachant qu’avec l’évolution des charges de travail, « certains postes ne sont plus aussi “reposants”. Par exemple, avec l’optimisation des temps de consultation, être infirmière de consultation n’est plus une “planque” », observe André Guisti. Les autres pistes évoquées sont notamment la recherche en soins infirmiers, suggère Marc Taillade : « Ce domaine va se développer. » Reste encore l’encadrement ou l’enseignement. Mais là non plus, les postes ne sont pas pléthoriques. « Pour devenir formatrice en IFSI, il faut des compétences et être cadre de santé. Les infirmières que nous recrutons témoignent d’une vraie motivation pour l’enseignement. Il n’est pas souhaitable de s’orienter vers cette voie uniquement pour obtenir une fin de carrière “tranquille”. D’ailleurs, l’âge moyen de nos formatrices tourne autour de 40 ans », prévient Catherine Boulet, adjointe au directeur de l’IFSI Bichat.

SPÉCIALISATION OU RECONVERSION

La spécialisation représente également une voie. C’est ce qu’a choisi Philippe Peretti, 47 ans, devenu infirmier à l’âge de 40 ans, après avoir exercé comme aide-soignant dans le secteur privé. Il entre en tant qu’infirmier au bloc opératoire du CHU de Montpellier. Détaché pour occuper un mandat syndical de quatre ans, il s’interroge sur son avenir. « Je peux envisager de retourner au bloc, j’aurai alors 52 ans. C’est un métier pénible, mais nous sommes toujours deux infirmiers présents, cela me paraît moins fatigant qu’en service de soins. La relation avec le patient est aussi différente, nous nous occupons de lui de bout en bout, dès son entrée au bloc », souligne-t-il.

L’orientation vers le métier d’infirmière scolaire ou d’infirmière du travail constitue une autre solution. Quant à l’exercice libéral, il peut s’avérer encore plus difficile. Les contraintes horaires sont importantes, les déplacements nombreux et la charge de travail physique n’est pas moindre, les soins à domicile nécessitant de manipuler les malades. La reconversion vers un autre métier est en revanche possible. Encore faut-il pour cela se faire accompagner dans sa démarche et pouvoir financer sa formation.

Dans tous les cas de figure, il convient non seulement de bien réfléchir à son projet, mais aussi de prendre en compte plusieurs éléments : le temps de formation, le passage à un poste sédentaire et les conséquences sur sa retraite, le changement d’environnement voire d’établissement, la vie personnelle… Et savoir qu’aucun poste ne présente que des avantages.

NÉGOCIATION

DES ACCORDS DANS LE PRIVÉ

Les établissements hospitaliers du secteur privé à but non lucratif sont également confrontés au problème de la gestion de fin de carrière puisque 20 % de leurs salariés ont plus de 55 ans.

Des accords « inter-générations » ont été négociés localement. Ils concernent notamment l’organisation des deuxièmes parties de carrière avec le passage du travail de nuit en travail de jour. D’autres accords permettent de partir en formation avec des budgets consacrés aux personnels de plus de 55 ans, afin de terminer sa carrière de façon moins pénible.

Des DU d’ergonome ou d’hygiéniste sont proposés aux infirmiers.

Le tutorat des nouveaux arrivants par des salariés de plus de 55 ans figure aussi dans de nombreux accords.

« Ce sont des solutions ponctuelles. Le problème est la reconnaissance de la pénibilité du métier d’infirmier. Jusqu’à présent, aucun accord n’a pu être négocié sur ce point », explique Viviane Debarges, infirmière et syndicaliste CGT. La spécialisation des infirmières peut s’avérer une solution, car peu de postes d’encadrement sont à pourvoir.

REPÈRES

> Consulter la DRH sur les évolutions possibles, le plan de formation, le DIF

> Réaliser un bilan de compétences (cf. L’Infirmière Magazine n° 354, p. 66).

> Se former pour acquérir des compétences, un diplôme ou préparer l’Institut de formation des cadres de santé (IFCS).

> Penser aussi à la validation des acquis ou au congé de formation professionnelle.

Nombreuses informations sur www.anfh.fr