Des sous-sols au lit du patient, des services logistiques au confort hôtelier, en passant par le dossier de soins informatisé ou la prise de rendez-vous via une appli dédiée, le CHR de Metz-Thionville a totalement repensé son organisation.
On se croirait dans un film de science-fiction : des engins roulants vont et viennent dans les couloirs, tournent à droite ou à gauche, se garent sur des emplacements dédiés, se croisent sans jamais se heurter, empruntent des monte-charges en toute autonomie pour se rendre dans les services auxquels sont destinés les produits pharmaceutiques, les repas ou le linge qu’ils transportent… Le tout sans aucune intervention humaine, ou presque. Les douze personnes, qui travaillent au service logistique dans les sous-sols de l’hôpital de Mercy, à Metz-Thionville (57), ont ainsi vu leur métier profondément évoluer. « Cela a été une petite révolution qui a impliqué de revoir toute l’organisation de notre service », reconnaît Benoît Gilles, ingénieur logistique. De nouveaux métiers ont été créés avec les agents logistiques d’étage qui sont informés, en temps réel, de l’arrivée d’une armoire, et se chargent de la distribution dans les services. Le personnel exerçant au sous-sol gère désormais les « gares » et programme les flux qui ne sont pas entièrement automatisés. La moitié des armoires emprunte des destinations différentes chaque jour, il faut donc les programmer manuellement depuis un écran tactile. Le personnel peut également contrôler, en temps réel, la position des « tortues », surnom donné à ces drôles d’engins roulants. « En ligne droite, les tortues se déplacent un peu plus rapidement qu’une personne marchant normalement ; mais elles portent une charge pouvant aller jusqu’à 450 kg. C’est un véritable gain sur le plan ergonomique », souligne Benoît Gilles.
Les tortues effectuent chaque jour 670 trajets, soit un tour de la Terre tous les dix mois. Impressionnant ! Capteurs, wifi, puces RFID (Radio Frequency Identification), aimants… ce concentré de technologies ne croise jamais le chemin des patients, du moins pour le moment ! « Nous réfléchissons à des solutions qui permettraient de parcourir les derniers mètres. On pourrait, par exemple, livrer les médicaments directement dans la salle de soins », indique Jacques Hubert, directeur des systèmes d’information (DSI).
Dans les services de soins, la « révolution » numérique a, elle aussi, bien eu lieu. Le dossier patient informatisé a été mis en place non seulement au nouvel hôpital de Mercy, ouvert en septembre 2012, mais se déploie également au sein de plusieurs établissements du CHR, notamment, le pôle gériatrique de Thionville, l’hôpital Félix Maréchal, l’hôpital de Hayange, ou encore certains services de l’hôpital Legouest. Gain de temps, amélioration de la coordination entre les professionnels, meilleur suivi des transmissions ciblées… autant d’avantages constatés par les équipes. « Grâce au dossier informatisé, nous avons tout sous la main. Les informations ne peuvent plus se perdre, souligne Claudine Hittinger, cadre de santé en chirurgie cardio-vasculaire. Médecins, infirmières, orthophonistes, diététiciennes, aides-soignantes… Chacun rédige son compte-rendu sur l’outil informatique. » Plus besoin de courir après un dossier « égaré » sur un bureau ou d’attendre que le médecin l’ait rempli. Les soignants y ont accès au même moment. « Les transmissions sont plus rapides et efficaces. On a accès très rapidement aux observations du médecin », relève Maud Stimpoulkowski, infirmière en gériatrie.
Même si elle reconnaît que tout n’a pas été facile au démarrage, Martine Grunenwald, aide-soignante en pneumologie, juge aujourd’hui que le numérique l’a incitée à écrire plus : « Je vais plus facilement consulter les transmissions des autres. J’ai le sentiment de faire davantage partie d’une équipe. » Et Claudine Hittinger d’ajouter : « On perd aussi moins de temps à passer des coups de fil pour fixer les rendez-vous d’une radio ou autre, à retrouver les informations… Tout est inscrit dans le dossier. Autant d’éléments qui vont dans le sens d’une meilleure prise en charge du patient. » Le système permet aussi d’éviter les doublons en matière d’actes radiographiques ou biologiques.
Avec la présentation très claire de l’historique, le suivi des transmissions ciblées s’est amélioré, comme le souligne Salma Hasnaoui, infirmière en chirurgie cardio-vasculaire : « On retrouve facilement toutes les données, on voit qui a réalisé le soin, à quelle heure… La traçabilité est bien meilleure. » Finis les dossiers qui traînent, les informations qui se perdent…
Certes, il reste encore un peu de documents papier : les ECG, les dopplers ou les scanners, par exemple, ne sont pas informatisés. Mais la masse de paperasse a considérablement diminué. « Le grand bénéfice est d’éviter la redondance de la copie et de la recopie », se réjouit le Dr Noël Blettner qui estime que l’on gagne en moyenne entre deux à quatre heures sur un séjour. Le gériatre apprécie également d’avoir facilement accès à l’ensemble du dossier médical du patient : « On retrouve toutes les données liées aux précédentes hospitalisations. Cela se fait en un clic si le patient a été hospitalisé chez nous. Sinon, cela demandera vingt-quatre heures, le temps de scanner les documents. » Les échanges sont également facilités, tant entre collègues – un conseil sur une prise en charge délicate – qu’avec les patients, car la présence de l’ordinateur dans la chambre leur livre des informations, tout en montrant des données directement sur l’écran. « L’outil permet aussi d’accélérer les courriers de sortie et de mieux préparer le retour au foyer, avec l’organisation éventuelle d’une aide à domicile », souligne le Dr Blettner. Plusieurs Ehpad de Metz étant eux-mêmes connectés au logiciel, les parcours de soins s’avèrent également plus fluides. Des outils qui offrent de belles perspectives à la télémédecine…
À tous les étages de l’hôpital, les brancardiers reçoivent désormais le détail des courses par SMS sur leur smartphone : l’identité du patient, sa localisation, sa destination, le mode de transport (pied, chaise, brancard…), les précautions à prendre et toute remarque éventuelle (la personne est sous oxygène, reliée à un pousse seringue…). « Le fait que toutes les informations soient visuelles est vraiment pratique, confie Philippe-Joseph Manenti, brancardier. Le seul hic est que nous ne sommes pas, du moins pas encore, géolocalisés. Nous nous déplaçons donc inutilement pour aller d’un bâtiment à un autre. » Pour les soignants, plus besoin de passer des coups de fil, quelques clics suffisent et les équipes sont averties en temps réel de l’arrivée des patients. Le système, qui fonctionne sur les huit sites du CHR, gère aussi depuis peu les commandes de transport par ambulance ou taxi.
Géré en grande partie par des outils informatiques, l’hôpital ne serait pourtant pas paralysé en cas de bug informatique. « Tous les équipements réseaux sont doublés, nous avons deux salles de machines. Si nous rencontrons un souci, nous pouvons basculer toute la production informatique à l’autre salle serveur sans que le personnel ne s’en rende compte, explique Jacques Hubert. Toute la gestion informatique fonctionne avec des circuits d’énergie alimentés de manière indépendante. Nous disposons de groupes électrogènes que nous testons tous les mois. » En cas de panne généralisée, les soignants seraient en mesure de revenir, s’il le faut, au papier. « Nous vérifions régulièrement si les équipes savent encore comment faire », indique Gisèle Sins, cadre supérieure de santé en charge du dossier de soins infirmiers informatisé.
Accolé à Mercy, l’hôpital Femme, Mère, Enfant a mis en place, depuis son ouverture en 2012, des bracelets électroniques placés à la cheville des bébés, offrant une géolocalisation à tout instant, mais aussi un moyen de prévention contre les risques d’enlèvement. « Nous le proposons systématiquement aux parents, la moitié d’entre eux l’adoptent », affirme Marie-Élise Broussard, cadre de santé. Si le bracelet est coupé ou tombe au sol, une alarme visuelle et sonore se déclenche immédiatement. Et en cas de sortie du service, ces outils permettent de géolocaliser le nourrisson. Un scénario que le service n’a pas encore eu à vivre, heureusement. « Ce bracelet est une sécurité en soi. Cela me rassure vraiment, je peux prendre ma douche sans souci », témoigne Cindy, une jeune maman. Alors que la petite Stacy dort tranquillement dans son berceau, la mère se détend en regardant la télévision. Grâce au terminal multimédia au pied de son lit, elle peut jouer, surfer sur internet, téléphoner…
Quelque 350 terminaux de ce genre sont installés dans les chambres du CHR, auxquels s’ajoute l’écran d’accueil placé dans le hall d’entrée de l’hôpital Mercy. Lequel permet aux visiteurs de s’orienter facilement dans les services. De plus, en trois clics, le visiteur ou patient reçoit par SMS le parcours à emprunter. Il peut aussi utiliser l’application « My CHR », sur laquelle figurent les actualités de l’établissement hospitalier, la liste des associations de patients, les coordonnées des médecins (via le nom ou la spécialité), ou encore, les prises de rendez-vous… « Pour la gestion des rendez-vous, nous avons choisi un système d’information très centralisé qui nous a permis d’améliorer les admissions. Les patients attendent en moyenne entre deux et trois minutes, pas plus », se félicite Jacques Hubert. Pour le DSI, les technologies déployées au sein de l’hôpital doivent, avant tout, être centrées sur le patient. « C’est pour cela que je préfère que l’on parle d’hôpital 2.0 plutôt que numérique. La notion de web 2.0 constitue la grande différence entre l’Internet d’avant et celui d’aujourd’hui. L’internaute n’est plus un simple spectateur, mais un acteur à part entière. C’est exactement notre vision de l’hôpital 2.0 : faire véritablement des patients des acteurs de leur prise en charge. »
« Il nous a fallu neuf mois pour déployer le dossier patient. Notre stratégie était d’impulser une vraie dynamique de projet », se félicite Jacques Hubert, directeur des systèmes d’information (DSI). Aujourd’hui encore, deux cadres sont chargés de la formation et du suivi auprès du personnel infirmier. Il s’agit, bien entendu, de former les nouveaux agents et les services dans lesquels se déploie cette technologie, mais aussi de travailler sur les évolutions à venir. Un groupe de travail, réunissant un cadre par pôle, fait remonter les remarques de terrain. Ajout de nouvelles cibles, évolutions dans les questionnaires… « L’outil s’affine, et nous allons bientôt tester l’informatisation du dossier ETP, ce qui sera, je pense, très intéressant », souligne Anita Paris, cadre de santé en pneumologie. Le binôme se rend régulièrement dans les services pour évaluer la mise en pratique. « Le personnel a compris que nous ne sommes pas là pour les “fliquer” mais pour apporter du soutien et de l’aide », assure Gisèle Sins. Pour la cadre en charge du déploie?ment du dossier patient, l’informatisation constitue un bon outil de management : « Nous suivons en continu l’évolution de nombreux indicateurs pour l’amélioration de la qualité et de la sécurité des soins (IPAQSS). Informés, les cadres peuvent remobiliser leurs équipes. En plus d’être des indicateurs, il s’agit de progresser dans notre prise en charge. »