La réanimation semble l’une des activités les plus exposées au bruit. Deux services, au sein du CHU de Saint-Étienne et Toulouse, se sont saisis du sujet. Et ont réussi à réduire leur niveau sonore.
Sonneries incessantes des téléphones, alarmes des scopes, respirateurs et pousse-seringues, conversations entre soignants qui tentent de prendre le dessus. « Avec les progrès techniques, nous avons perdu le sens du silence, à l’hôpital comme dans le reste de la société », dénonce Sandrine Mondiere. Cette infirmière anesthésiste et cadre de santé au service de réanimation médicale du CHU de Saint-Etienne a été frappée, en prenant ses fonctions en 2011, par l’intensité du bruit qui y régnait : « Les soignants eux-mêmes s’en plaignaient. Nous avons donc constitué un groupe de travail pour mesurer le bruit et identifier ses principales sources. » Trois infirmières conduisent alors une étude
En 2012, le service de réanimation du CHU de Toulouse engage, de son côté, une démarche proche dans le but « d’améliorer les conditions de vie des patients en réanimation », explique Sylvie Marmouget, cadre de santé. Les relevés sonométriques s’avèrent plus alarmants encore : jusqu’à 110 dB constatés et une moyenne de 60 dB. « À l’époque, nous surveillions les patients portes ouvertes, les alarmes résonnaient d’une chambre à l’autre », se souvient-elle. Pour Pierre Cougot, médecin réanimateur chef de service, « le bruit des alarmes était si omniprésent qu’il était parfois difficile de les distinguer. Cela finissait par poser des problèmes de sécurité ».
Ce n’est pas un hasard si ce sont deux services de réanimation qui se sont autosaisis, en dehors de toute sollicitation de leur hiérarchie, du problème du bruit. La médecin du travail et ergonome Madeleine Estryn-Behar a publié, en septembre dernier, un Audit ergonomique en réanimation polyvalente. Bruit ambiant, alarmes et impact sur le travail. Et rappelle que 36,3 % des soignants s’estiment exposés ou très exposés au bruit, ils sont 48,9 % aux urgences et 47,9 % dans les blocs opératoires et en réanimation. Et pour cause : au cours de son observation ergonomique d’un service de réanimation, elle a observé que la journée de 12h30 d’une infirmière était interrompue par 487 alarmes, souvent concomitantes, qui sonnaient pendant 20,8 % de sa journée. Dans ces conditions, la réponse soignante n’est pas toujours optimale : Madeleine Estryn-Behar a ainsi relevé qu’une alarme a sonné 22 minutes d’affilée… Les conditions de travail des soignants s’en trouvent donc fortement dégradées : l’ergonome établit un lien entre l’exposition au bruit et le burn out. Céline Charra, infirmière à Saint-Étienne, confirme : « Toutes les infirmières sont unanimes : même en quittant le service, les scopes continuent à sonner dans nos têtes. » Les patients se plaignent, eux aussi, du bruit. « Dans les questionnaires de sortie, les trois quarts trouvent le service super, mais trop bruyant. Ceux qui sont en phase de réveil dénoncent des difficultés à dormir, ce qui augmente leur douleur et leur angoisse », poursuit Céline Charra. Claire Compagnon, représentante des usagers à l’AP-HP, relativise toutefois : « Généralement, les patients évoquent les nuisances sonores quand on les interroge à ce sujet. Cela motive rarement des plaintes qui portent sur des sujets plus graves. La plupart du temps, les hôpitaux se saisissent de la question du bruit à l’occasion d’une rénovation ou d’une reconstruction. »
Ce fut le cas dans le service de réanimation du CHU de Toulouse, qui a aménagé dans un bâtiment neuf fin 2012. « Dès 2005-2006, nous avons réfléchi à la nouvelle conception du service, raconte Pierre Cougot. Nous nous sommes imposés auprès des architectes et ils nous ont écoutés. » Le bruit est une composante importante de la réflexion, tant au niveau architectural qu’organisationnel. L’équipe obtient de sortir les alarmes des chambres, désormais fermées par des portes automatiques. « Le poste de soins central a disparu, des mini-postes de soins prennent place devant chaque chambre », explique le médecin. « Il reste un scope à l’intérieur de la chambre, précise Guillaume Decormeille, infirmier. Devant chaque chambre, se trouve un répétiteur qui reprend les paramètres vitaux du patient, ainsi que les alarmes des différentes machines de suppléance. Une équipe de deux infirmiers est chargée de surveiller cinq chambres, elle dispose d’un répétiteur qui agrège les données de ces cinq patients. » Mais surtout, les alarmes sont réglées bien plus finement, leurs paramètres sont adaptés à chaque patient. « Pour un malade insuffisant respiratoire, nous réglons l’alarme du respirateur pour qu’elle se déclenche à 88 % en limite basse de saturation, et non à 95 %, comme pour les autres malades. Autrement, elle se déclencherait en permanence. De même, au cours d’une aspiration trachéale, les alarmes du respirateur et du scope sont inhibées. »
Au service de réanimation de Toulouse, le niveau du bruit, qui était de 60 à 80 dB, a ainsi baissé à « 40 ou 50 dB en moyenne dans les couloirs, beaucoup moins dans les chambres des malades », explique Pierre Cougot. Guillaume Decormeille et Cédric Baron, infirmiers, ont réalisé, eux aussi, une étude
Le service de réanimation du CHU de Saint-Etienne n’a aucune marge de manœuvre d’un point de vue architectural, puisqu’il se trouve déjà dans un bâtiment neuf, construit en 2009 : « L’acoustique n’a manifestement pas été réfléchie, regrette Céline Charra. Dans les chambres vides, la ventilation, les bruits de pas, les alentours, occasionnent un bruit de fond de 55 dB ». Le problème se révèle particulièrement aigu en réanimation. Céline Charra décrit ainsi « un service très étendu, une rotonde de 300 m2 organisée autour d’un poste de soins central, entouré de trois alvéoles qui contiennent chacune cinq chambres. Le plafond est bas, et le son se répercute dans chaque alvéole. » Ce que confirme Sylvie Marmouget : « Les matériaux, en particulier le sol et les plafonds, sont particulièrement bruyants. Et l’hôpital n’a pas les moyens d’investir dans des matériaux qui pourraient limiter le bruit. » La seule solution est donc d’agir sur le niveau des alarmes et les comportements humains.
Un guide Recommandations à l’usage des soignants pour limiter les nuisances sonores en réanimation a donc été rédigé. Chacun est invité à « garder son téléphone sur lui, en mode vibreur », explique Sandrine Mondiere. Les alarmes ont toutes été re-réglées : « Nous avons fait appel aux constructeurs pour baisser le niveau des alarmes par défaut. » Et se félicite que « les nouveaux appareils aient des alarmes moins fortes, conformes aux normes européennes ». De même, « les chariots se montrent moins bruyants ». Les soignants doivent aussi veiller à porter « des chaussures silencieuses, qui ne grincent pas sur notre sol en plastique », confie-t-elle. L’interphone des familles, auparavant sonore, a été supprimé. Maintenant, quand celles-ci sonnent à la porte du service, un téléphone en vibreur s’active. Des pancartes « Hôpital silence » ont été placardées dans le service. Des recommandations concernent aussi le bruit occasionné par les discussions des soignants : « Nous leur demandons de ne plus s’interpeller à distance, d’être particulièrement vigilants au moment des temps de relève, les plus bruyants. » Les soignants sont invités à parler à voix basse et à fermer doucement les portes des chambres. De même, médecins, internes et infirmiers ne doivent pas être trop nombreux lors des visites. « Nous veillons à faire respecter ces recommandations », confie la cadre. Un an après la mise en œuvre de ces recommandations à Saint-Étienne, le bruit a baissé de 12 %.
1- Céline Charra, Magali Direz et Hélène Jallu, « Le bruit en réanimation », 2012-2014, CHU de Saint-Étienne.
2- Guillaume Decormeille et Cédric Baron, « Le silence en réanimation, un répit pour les patients et l’expression d’une compétence soignante », CHU Toulouse Rangueil.