Une étude de la Fédération nationale des étudiants en soins infirmiers (Fnesi) met en lumière la violence subie en stage. Le ministère de la Santé rappelle les bonnes pratiques et annonce la mise en place d’un groupe de travail.
Plusieurs fois au cours de mes trois années d'Ifsi, j'ai eu envie d'arrêter ma formation. Dans deux de mes stages, j'ai vécu des situations très tendues avec les équi?pes. » Si Anaïs, 23 ans, est désormais diplômée (lire le témoignage), elle garde un souvenir très amer de ses études. Son cas n'est pas isolé. Sur les forums Internet, où chacun se confie couvert par l'anonymat du pseudonyme, les messages de désespoir d’étudiants en soins infirmiers (ESI) abondent. Tous font état de relations conflictuelles avec les équipes sur les lieux de stage : désintérêt des professionnels pour l'encadrement, rudoiements, voire dévalorisation, et remise en cause des compétences. « Nous faisons, depuis plusieurs années, le constat que les ESI vivent régulièrement des situations violentes en stage, explique Doriane Coudurier, vice-présidente de la Fnesi. Mais nous avions du mal à faire entendre cette réalité. C’est pour étayer notre propos avec des chiffres que nous avons lancé notre propre enquête. »
Les données, transmises dans le cadre de la campagne « Je veux que ma voix compte » lancée en février, sont alarmantes
Pour les professionnels, l'encadrement des stagiaires s'ajoute souvent à une liste de tâches déjà longue. La réforme de 2009 a introduit un nouveau référentiel et les tuteurs de stages. « Ce tutorat réclame de dégager du temps, donc des moyens nécessaires à l'encadrement de l'étudiant. Actuellement, ce temps n'est pas pris en compte », déplore le Comité d’entente des formations infirmières et cadres (Cefiec), dans un communiqué fin février.
Face au ras-le-bol qui gronde sur Internet, la DGOS, elle, souligne dans une instruction publiée mi-février
Le portfolio et le nouveau référentiel rebutent aussi des professionnels rodés à une autre façon d’agir. « Je n'ai pas souhaité me former au tutorat, cela changeait trop de ce que je connaissais », explique ainsi Christine, IDE aux urgences d'un petit centre hospitalier (lire le témoignage). Ce décalage entre les pratiques peut aussi influer sur l'attitude des stagiaires. « Le nouveau système, avec le portfolio, pousse les étudiants à chercher à faire des soins très techniques », souligne Maryline Mattern, responsable de service détachée, maître de stage à l'Ehpad Schauenburg d'Hochfelden (Bas-Rhin). L'établissement compte quatre IDE pour soixante résidents. Les ESI stagiaires, pour la majorité en 1ère année, accompagnent les aides-soignantes le matin lors des toilettes, avant de rejoindre la ou les IDE pour le reste des soins. « Les stagiaires ont parfois du mal à comprendre pourquoi on les fait tourner avec les AS. Mais les toilettes, comme nos autres soins assez peu techniques, constituent la base de notre métier », poursuit-elle.
Il n'est pas toujours évident pour les stagiaires de trouver leur place au sein des équipes. « Pour ma part, je repère les IDE qui sont fermées à l'encadrement et je les évite, explique Benjamin. Avec les autres, j'essaie d'expliquer ce que je fais, pour qu'elles voient que je n’agis pas au hasard. Si elles ont une autre façon de pratiquer, on peut toujours en discuter. »
Heureusement, tous les stages ne se déroulent pas mal, à condition de remplir certaines conditions. « L'accueil donne souvent le ton du stage, observe Anaïs. Si on nous fait arriver pendant les transmissions et qu'il faut ensuite prendre le train en marche, c'est mauvais signe. » À l'Ehpad Schauenburg, les stagiaires arrivent donc toujours dans l'après-midi, quand l'équipe est davantage disponible, et ils sont invités à visiter le service quelques jours avant le début de leur stage. « Nous consacrons la première journée à la visite des locaux et à des explications sur les spécificités de nos patients, de leurs pathologies et des thérapies proposées, explique de son côté Aude, IDE et tutrice dans un hôpital de jour en pédopsychiatrie. Dans notre service, tout le monde se tutoie. Les stagiaires sont immédiatement placés au même niveau que le reste du personnel. Nous sommes une équipe très soudée, épargnée par les soucis financiers : nous pouvons accueillir les étudiants dans de bonnes conditions. Nous leur proposons de se construire un parcours de stage, depuis l'observation de tous les ateliers thérapeutiques jusqu’à la co-animation, voire l'animation autonome d'un des ateliers. Ils apprennent beaucoup sur l'aspect relationnel du métier. »
Évidemment, les équipes où règne une bonne ambiance et qui ne sont pas trop sous pression financière, accueilleront mieux les stagiaires que celles en souffrance. Ce qui marque la différence, c'est également l'envie d'encadrer et la bienveillance des équipes. « Nous partons du principe qu'un jour, nos stagiaires nous soigneront… Nous avons tous suivi une formation pour les encadrer », précise Maryline Mattern de l’Ehpad Schauenburg. Dans le service d'Aude, les IDE formées au tutorat ont expliqué les outils au reste de l'équipe.
Enfin, les stages qui proposent une progression sont les plus formateurs. « Une feuille de suivi, des évaluations régulières permettent de se situer, d'orienter le reste du stage », insiste Anaïs. Ces bonnes pratiques figurent d'ailleurs dans la circulaire de la DGOS parue en février suite au bilan des premières promotions formées avec le nouveau référentiel. Le texte insiste sur « l'instauration d'une relation de confiance » ou encore, « l'individualisation des parcours en fonction des besoins des stagiaires. » Il recommande aussi « d'intégrer l'accueil des stagiaires dans le projet d'établissement » et de « formaliser les documents relatifs à l'accueil des stagiaires, notamment une charte d'encadrement ». Autant de sujets qui seront également au cœur du groupe de travail consacré à l'encadrement des étudiants paramédicaux pendant les stages, à la formation des tuteurs de stages, et à la gouvernance des Ifsi, lancé le 26 mars par le ministère de la Santé.
1- Lire notre article paru le 18/02 sur espaceinfirmier.fr
2- petitlien.fr/7x8d
« Diplômée depuis 2002, je n’ai jamais cessé de clamer mon indignation quant aux conditions déplorables d’enseignement. Les étudiants doivent supporter des agressions permanentes de leurs enseignants, ainsi que des équipes soignantes, déjà submergées par leur travail. Brimades, moqueries, stress étaient le quotidien sur certains terrains de stage. Dans un vestiaire, une fois, j’ai rencontré une étudiante qui pleurait : on lui avait dit qu’elle puait en plein staff ! »
« CROCLISA »
IDE S’EXPRIMANT SUR ESPACEINFIRMIER.FR
« Lors de mon premier stage, je me suis disputée avec une IDE qui ne comprenait pas que je ne mange pas au self… Toute l'équipe s'est rangée derrière elle et je me suis retrouvée seule pour le reste du stage. J'en ai parlé à l'Ifsi qui a appelé le service sans m'en informer. On m'a accusée de traîtrise au bilan de fin de stage ! Je suis contente que mes études soient derrière moi. Et j'insiste : la pression qu'on nous met pendant les études ne fait pas de nous de meilleurs pros, au contraire ! »
ANAÏS
JEUNE DIPLÔMÉE
« J’ai de très mauvais souvenirs de mes études. Alors aujourd'hui, je materne les étudiants. Je me pose toujours cette question : “Et si cet étudiant était mon enfant, comment aimerais-je qu'il soit encadré ?” Au début du stage, je leur explique tout ce que je fais, je leur parle beaucoup. Et puis, petit à petit, je les lâche un peu… J'aime bien les voir prendre leur envol. Transmettre les savoirs me semble essentiel, cela ne peut pas se faire en amphithéâtre. »
CHRISTINE
IDE AUX URGENCES