L'infirmière Magazine n° 359 du 01/04/2015

 

FORMATION

CAS CLINIQUE

« Un nouveau souffle » est le nom du programme d’éducation thérapeutique accueillant des insuffisants cardiaques chroniques, mis au point par l’hôpital Nord de Marseille.

Le fil conducteur de tout programme d’ETP est d’amener le patient à être acteur de sa santé, tant dans la prise en charge de son traitement que dans la surveillance de son état de santé. Le principe est « non pas de livrer une information à des patients qui écoutent passivement, mais plutôt de faire naître l’information des individus eux-mêmes, cela via des jeux qui posent des questions auxquelles ils doivent répondre. Par exemple : “J’ai pris 6 kg, pourquoi ?”, “Qu’est-ce que je dois faire ?”, “Dois-je retourner chez le cardiologue, le médecin généraliste ou augmenter le Lasilix ?”. C’est très interactif. Les patients participent activement et peuvent faire part de leur expérience aux autres. Ce qui est très bénéfique », précise le Dr Jennifer Cautela, chef de clinique à l’Unité Nord insuffisance cardiaque – Valvulopathies (Univ) de l’hôpital Nord de Marseille et responsable de ce programme d’ETP.

Diagnostic éducatif

Tout commence par le diagnostic éducatif mené par une infirmière formée en éducation thérapeutique du patient. Cette première étape consiste en l’élaboration d’un programme personnalisé – facteurs liés à la personne et à son environnement, identification des besoins, objectifs à atteindre –, et permet de définir les compétences à acquérir. Un partenariat entre patient et professionnel est formalisé et un carnet de suivi est mis en place, sorte de « carnet de route » du patient au cours du programme d’ETP.

Inclusion dans le programme

Une réunion pluridisciplinaire en amont de l’inclusion d’un patient est organisée. Sont susceptibles d’être inclus dans le programme, les patients âgés de 18 à 85 ans, admis pour insuffisance cardiaque (IC), aiguë ou chronique, dans l’unité de soins intensifs ou unité d’hospitalisation conventionnelle, voire suivis en consultation. Les patients participent sur la base du volontariat, et avec leur consentement signé, sur proposition des médecins généralistes et cardiologues correspondants. Les couples ou les aidants sont conviés. Il est, en effet, extrêmement important de faire participer le conjoint ou la personne qui aide.

Déroulement du programme

Structuré en cinq séances, le programme aborde les points essentiels : management des médicaments, consignes non médicamenteuses à respecter et surveillance (lire p. 45). Des documents informatifs sont remis aux patients. Une séance dure de 1 h 30 à 2 heures, avec un maximum de 10 patients.

→ Séance n° 1 : Comprendre ma pathologie et les notions de bases sur la thérapeutique. Réalisée par un cardiologue et une infirmière formée en ETP, cette séance informe sur la pathologie et ses symptômes : physiologie du cœur sain, physiologie du cœur insuffisant, pourquoi le cœur dysfonctionne, signes de décompensation cardiaque et facteurs favorisants d’une IC. Cette séance permet aux patients de connaître les traitements médicamenteux prescrits, leurs effets indésirables possibles et d’insister sur leur intérêt. « On leur explique, par exemple, que le fait d’uriner beaucoup, avec la prise du Lasilix, est un effet bénéfique du traitement (lire plus loin « Les diurétiques sont indispensables ») et non un effet secondaire, comme ils le pensent souvent parce qu’ils sont gênés dans leur vie quotidienne ou se sentent restreints dans leurs activités. On leur conseille alors de prendre le Lasilix après leur sortie quotidienne », explique le Dr Jennifer Cautela. L’accent est mis sur les interactions médicamenteuses et les dangers de l’automédication (lire p. 45).

→ Séance n° 2 : S’auto-surveiller pour ne plus être hospitalisé. Réalisée par un cardiologue et une IDE ETP, éventuellement avec le concours d’un patient expert, cette séance aborde les « compétences de sécurité » : surveillance (poids, examen, auto-évaluation…), reconnaissance des signes d’alerte et réaction à avoir. Les informations sont apportées via des jeux de rôle permettant la mise en situation. On insiste, et c’est un aspect essentiel de l’ETP, sur la surveillance du poids (lire plus loin « Les signes d’aggravation »)

→ Séance n° 3 : Mieux manger pour mieux respirer. Cette séance est animée par une diététicienne et une infirmière d’ETP. L’éducation du patient est essentiellement axée sur le sel et l’excès de sel, à l’origine de décompensation par rétention d’eau. On explique comment gérer des écarts de régimes. (lire p. 45).

→ Séance n° 4 : Bien bouger pour mieux respirer et bouger sans s’essouffler. Un kinésithérapeute explique la nécessité de pratiquer une activité physique régulière, adaptée à sa cardiopathie. Activité physique ne veut pas dire sport. Le patient est guidé vers des activités d’endurance (vélo, marche soutenue, natation) en surveillant, pour certains, la fréquence cardiaque à l’aide d’un cardiofréquencemètre. Les sports de haute intensité ne sont jamais conseillés.

→ Séance n° 5 : Accepter sa maladie. Cette séance est basée sur les compétences d’adaptation. Réalisée par un psychologue, elle est centrée sur le patient, plus que sur sa maladie. Elle lui donne l’occasion de verbaliser ses doutes, angoisses ou inquiétudes, et d’apprendre à gérer son stress. L’individu est valorisé. L’objectif est de renforcer la confiance en soi, la capacité à supporter, comprendre et maîtriser sa pathologie. Certains patients sont paralysés par le stress, parce qu’ils sont entrés en situation d’urgence en OAP, pratiquement sur le point d’étouffer. En dédramatisant, le malade est plus enclin à mobiliser son intérêt. Cette séance peut être suivie en début de programme, pour faciliter l’adhésion à sa poursuite.

Évaluation et suivi

– Évaluations individuelles intermédiaires des compétences acquises pour réadapter le programme ;

– Suivi du patient par un cardiologue du service ou par son cardiologue de ville habituel tout au long du programme en parallèle ;

– Évaluation finale réalisée en fin de programme par la personne qui a fait le diagnostic éducatif. Un bilan est réalisé : objectifs atteints, compétences acquises, vécu… La décision d’une ETP de suivi ou de reprise est ensuite arrêtée.

ÉTUDE

Osicat : 850 patients télécardiosuivis

Afin d’aider les patients à acquérir les bons réflexes pour mieux s’autosurveiller, le service de cardiologie du CHU de Marseille propose à ses patients de participer à l’étude Osicat* basée sur l’Optimisation de la surveillance ambulatoire de l’IC par télécardiologie. « Les patients peuvent, soit bénéficier d’une surveillance téléphonique simple (un appel téléphonique à 1 mois, 6 mois et 1 an), soit intégrer un groupe de surveillance rapprochée, explique le Dr Cautela. Dans ce cas, ils disposent d’une balance et d’un boîtier électronique qui les interroge (“Avez-vous pris du poids ?”, “Êtes-vous essoufflé ?”, “Avez-vous besoin de plusieurs oreillers pour dormir ?”, “Vos jambes sont-elles gonflées ?”), enregistre leurs réponses et, si trois sur cinq sont positives, déclenche une alerte auprès d’une d’infirmière du réseau Cordiva qui prend contact avec le patient, évalue les signes de décompensation et conduit une séance d’éducation par téléphone ». Ce dispositif permet de réajuster les pratiques, de rappeler les consignes thérapeutiques et les mesures hygiéno-diététiques susceptibles de normaliser l’état du patient avant qu’il ne s’aggrave. « C’est très incitatif pour les patients, car ils prennent conscience que cette autosurveillance leur permet d’éviter des hospitalisations, ce qui renforce leur adhésion au traitement et améliore considérablement leur qualité de vie », ajoute le Dr Cautela.

* À l’origine de cette étude, se trouve un projet de recherche mis en place afin d’évaluer l’apport médical et économique d’un programme de télésuivi des patients IC à domicile, associé à un accompagnement éducatif à distance. Conduit par le CHU de Toulouse, ce programme inclut 850 patients pendant 18 mois et s’étend sur tout le grand sud avec 40 centres investigateurs, dont Marseille. Les résultats de cette étude sont attendus pour 2016. Source : CHU Toulouse, Newsletter 769 – 24/02/2015.

ÉCLAIRAGE
PR YVES JUILLLIÈRE PUPH AU DÉPARTEMENT DES MALADIES CARDIOVASCULAIRES DU CHU DE NANCY-BRABOIS

« Ce sont des patients fragiles »

Pourquoi une ETP spécifique à l’insuffisant cardiaque ?

Une approche spécifique est nécessaire car 50 % des patients insuffisants cardiaques n’ont pas d’IC ischémique et ne sont donc pas forcément concernés par les facteurs de risques cardiovasculaires et les contraintes hygiéno-diététiques abordés dans les programmes généraux sur les pathologies cardiovasculaires. C’est une maladie chronique grave, de plus en plus fréquente, qui justifie une prise en charge spécifique.

Quels sont les principaux motifs d’inobservance thérapeutique susceptibles d’entraîner une décompensation ?

Le problème majeur de l’observance chez l’insuffisant cardiaque tient à l’âge des patients, se situant en moyenne entre 70 et 80 ans. Ils sont souvent porteurs d’autres pathologies et supportent difficilement l’ajout, avec une ordonnance déjà longue, d’un traitement pour l’IC dont la prescription compte au moins quatre médicaments. Ces patients sont confrontés à des problèmes de mauvaise tolérance médicamenteuse due aux effets secondaires des traitements. L’association des bêtabloquants prescrits avec les IEC peut, par exemple, poser des problèmes sur le plan de la tension, avec des symptômes tels que des vertiges, des pertes de connaissance et des chutes. On est en présence de patients fragiles et fragilisés, susceptibles de développer très facilement des pathologies intercurrentes – infection pulmonaire, insuffisance rénale – qui font que certains produits ne pourront plus être prescrits pour l’IC ou seront moins bien tolérés. L’observance peut aussi être moindre en raison de problèmes cognitifs (pertes de mémoire, oublis) qui, en présence d’une ordonnance complexe, conduisent à des erreurs, des confusions. On rencontre aussi des problèmes d’inobservances des règles hygiéno-diététiques, telles que la limitation des apports en sel et hydriques.