L'infirmière Magazine n° 360 du 01/05/2015

 

DÉVELOPPEMENT DURABLE

DOSSIER

ISABEL SOUBELET  

La responsabilité sociétale prend forme dans le secteur de la santé. Pour un plein succès, encore faut-il impulser une stratégie qui associe le personnel, soignants en tête.

Un troisième Plan national environnement santé pour la période 2015-2019 adopté par le gouvernement en début d’année, une nouvelle mouture en cours de la convention d’engagement entre la Fédération hospitalière de France (FHF), la Fédération des établissements hospitaliers et d’aide à la personne (Fehap), la Fédération hospitalière privée (FHP) et Unicancer, sous la houlette des ministères de la Santé et de l’Écologie… Tous les signaux sont au vert pour que le développement durable (DD) devienne un axe stratégique. Pas d’emballement toutefois. Le sujet manque cruellement d’indicateurs, de moyens alloués, et les lois actuelles, plutôt « molles », ne comportent pas de sanctions. Les initiatives reposent donc sur l’engagement des établissements dans le développement durable. Ces derniers, encore trop peu nombreux (lire p. 25), sont cependant encouragés par la démarche de certification qui inclut le DD parmi ses critères. Si les sites précurseurs ont agi en priorité sur les aspects environnementaux, la Responsabilité sociétale des entreprises (RSE) commence à trouver sa place. Elle est inscrite en tant que telle dans le projet stratégique de la Fehap 2014-2020. En janvier dernier, l’Agence nationale d’appui à la performance des établissements de santé et médico-sociaux (Anap) y consacrait une journée. Les conditions de travail et le bien-être des patients et des salariés (lire p. 26 et 29), thématiques émergentes, comptent parmi les champs d’action prioritaires, selon le baromètre DD 2014. Dans cet esprit, la FHF met l’accent sur la politique d’accessibilité aux soins des personnes handicapées, mais aussi sur leur intégration dans la fonction publique hospitalière, et mène une réflexion sur l’adaptation des postes. Quant à la FHP, elle a enclenché un diagnostic général et doit sortir cet été un observatoire des pratiques qui intègre la RSE comme outil de performance. Au-delà des thèmes choisis, la mise en place d’une démarche développement durable avec ses piliers économique, environnemental, social et sociétal, crée une dynamique d’équipe et apporte une réelle ouverture. Voire même un nouveau souffle pour les professionnels de santé, si souvent sous tension.

Ancrage territorial

En 2011, la Communauté européenne définit la RSE comme « la responsabilité des entreprises vis-à-vis des effets qu’elles exercent sur la société ». Cette « responsabilité sociétale » est un « concept dans lequel les entreprises intègrent les préoccupations sociales, environnementales et économiques dans leurs interactions avec les parties prenantes sur une base volontaire ». Pour un hôpital ou une maison de retraite, véritables acteurs du développement économique local, les parties prenantes sont aussi bien les personnels, les usagers, les familles, les fournisseurs et les collectivités territoriales que les institutionnels. Sur le terrain, de nombreux acteurs sont entrés dans cette dynamique.

En juin 2012, le département de la Manche et les centres hospitaliers de Saint-Lô et Coutances ont signé une convention de partenariat sur le développement durable. « Nous bénéficions ainsi du savoir-faire du département, précise Ronan Talec, directeur des achats, de la logistique et des travaux des CH. Les agents hospitaliers ont à ce titre pu suivre des cours d’éco-conduite mis en place par le conseil général. » Une discussion est en cours avec les transports urbains, afin que le trajet des bus évolue pour profiter aux agents et aux usagers. Pour les gros établissements, la prise en compte des déplacements générés par leur activité devient une nécessité. Engagé depuis 2009 dans un Agenda 21, le CHU de Bordeaux a mis en place un Plan de déplacement d’administration (PDA), afin de limiter son impact sur l’environnement. En 2014, un salarié sur deux venait travailler autrement qu’en voiture individuelle, contre 40,5 % en 2010. L’objectif est d’atteindre 55 % d’ici la fin de l’année et 60 % en 2020. Une mesure efficace, sachant que la distance parcourue cumulée des déplacements domicile-travail des agents du CHU représente 60 millions de kilomètres sur une année ! En mars, le CH de Béziers a quant à lui signé avec la Communauté d’agglomération Béziers-Méditerranée un Plan de déplacement d’établissement (PDE), dans lequel cette dernière s’engage à offrir aux agents hospitaliers une aide pour l’achat d’un vélo électrique.

En période de crise, la RSE pourrait aussi devenir le nouveau graal des établissements des secteurs sanitaire et médico-social. Un moyen de se démarquer pour garder ses professionnels et réduire le turn-over de certains postes. Même si elle n’est pas (encore) un critère différenciant lors du recrutement, une fois en poste, les personnels soignants ou techniques s’y retrouvent. Impliqué dans le développement durable depuis 2007, le Pôle Santé Sarthe et Loir, situé à La Flèche, a mis en place « des séances de massage et des cours de sophrologie, gratuits, sur le temps de travail, souligne Julien Collet, référent DD. Nous réfléchissons au développement du sport en entreprise via un club ou un parcours sportif ». Dans l’agglomération de Montpellier, le groupe E4, qui gère trois Ehpad et un service à domicile, a construit un projet structuré de RSE qui implique les salariés (dont les représentants siègent au comité DD), les usagers et les familles. « Nous avons créé des journées citoyennes avec des formations pour les salariés le matin et des animations par des associations avec les familles et les résidents, l’après-midi, sur le thème du gaspillage alimentaire ou du tri sélectif, afin que tout le monde adopte des éco-gestes », souligne Charlotte Cedo, la directrice générale. Prochaine étape : un projet pédagogique – mené par une animatrice avec les résidents – sur les jardins secs, afin de supprimer l’utilisation des pesticides et certaines consommations d’eau. À la clé, une réduction du coût d’entretien des espaces verts de 35 à 40 %.

Dans une structure de santé comme dans toute autre organisation où la contrainte institutionnelle est forte, les salariés peuvent s’interroger sur leur rôle en matière de développement durable. « Réduire l’impact des soins sur l’environnement commence par des petits gestes simples, affirme Philippe Perrin, IDE, conseiller en environnement et directeur de la formation continue « Santé environnementale et pratiques de soins ». L’action la plus accessible est de limiter le gaspillage. Cela demande de bien dimensionner les actes et permet des économies à tous les niveaux. Sur ce sujet, il est important de faire remonter les informations, de développer les capacités de suggestion et de propulser les idées. Le développement durable, il faut l’anticiper, pas le subir ! » Le comité de pilotage développement durable des Hospices civils de Lyon (HCL) vient de revoir le protocole de tri des déchets d’activités de soins à risques infectieux (Dasri). « L’objectif est d’éviter les abus et la facilité en mettant des emballages stériles et toutes les compresses dans les boîtes jaunes, précise Olivier Brun, animateur du Copil DD. Il faut arrêter le principe de précaution à outrance, en mettant par exemple en Dasri des compresses avec de la Bétadine. La refonte a été faite avec le groupe de travail infirmier et les IDE hygiénistes pour réduire ensemble les ratios importants apparus lors de la réalisation de notre Bilan Carbone. Il ne reste plus qu’à communiquer sur le sujet, afin de rappeler sans cesse les bons gestes. » Aux HCL, le volume des Dasri, dont le coût de traitement est pour tous très supérieur à celui des déchets ordinaires, s’élève à 2 100 tonnes par an sur un total de 10 000 tonnes. La baisse attendue est de l’ordre de 5 % minimum.

Une dimension participative

Impliquer les soignants, c’est également le choix défendu par Christine Le Coz, cadre supérieur de santé et responsable du pôle médecine à l’hôpital de Saint-Lô : « Nous avons travaillé sur les stocks utilisés en amenant les équipes à s’interroger sur leurs pratiques et incité les personnels à éteindre les lumières pour réduire la facture énergétique. Sur la question du gâchis en restauration, la démarche a été construite en collaboration avec les intendantes et le GIP restauration collective. En cancérologie, nous proposons des sandwichs plutôt que des plateaux complets, qui sont souvent jetés. » La réussite d’un projet de RSE passe par une co-construction. « Il est nécessaire de promouvoir la dimension participative en faisant émerger les thématiques du terrain, explique Isabelle Barcos, cadre de santé au CHU de Bordeaux, en charge depuis janvier de la coordination du projet global de DD sur la partie des soins. De nombreuses actions ont été menées : pause de grooms et de freins sur les portes et réglages des sonnettes pour réduire le bruit, travail avec la pharmacie pour optimiser le choix des pansements sur une même plaie afin de limiter le gâchis, et optimisation de la gestion des commandes dans tous les services pour diminuer le volume de produits périmés… « Tout cela doit se faire de manière structurée et organisée, afin de donner du sens, sans travail supplémentaire pour les équipes, mais en valorisant leurs efforts », conclut Isabelle Barcos.

BIBLIOGRAPHIE

→ Le guide « gouvernance et développement durable mode d’emploi » : petitlien.fr/7yqy

→ Retour d’expérience : Établissements de santé : Guide des pratiques vertueuses, par le C2DS et BMV Communication, avril 2012.

→ 3e Plan national santé environnement (2015-2019), petitlien.fr/7yqr

→ Baromètre du développement durable en établissements de santé, 8e édition présentée lors des salons Santé et Autonomie du 19 au 21 mai 2015 à Paris, Porte de Versailles, petitlien.fr/7yqt

→ Objectifs et enjeux de la responsabilité sociétale des établissements de santé : petitlien.fr/7yqv

SURPLUS ALIMENTAIRE

Le CH du Mans, pionnier du don

« Le zéro surplus, cela n’existe pas dans une collectivité, affirme Didier Girard, ingénieur restauration au CH du Mans. Partant de ce constat, il a eu l’idée du don aux plus démunis. « Attention, nous donnons des surplus de production, pas des restes de service ! Ce sont des produits frais, des plats cuisinés, toujours avec la maîtrise de la température et de la date limite de consommation (DLC). » Officialisé le 16 octobre 2013, le projet a nécessité trois années de démarches. Le CH du Mans sert 1 362 000 repas par an, soit plus de 3 500 par jour. Les surplus sont acheminés dans un conteneur isotherme jusqu’à un restaurant social et solidaire, au cœur de la ville. Là, les bénévoles de l’Ordre de Malte prennent la relève pour servir les repas aux bénéficiaires, identifiés par l’association Tarmac. Quantifiés, les surplus avoisinent les 4 200 kilos par an, soit 7 000 repas, pour une valeur évaluée à 0,51 % du budget alimentaire annuel de l’hôpital. Pour Didier Girard, la réussite d’un tel projet nécessite, « avant de démarrer, de travailler sur tous les leviers qui permettent de réduire le gaspillage. Cela suppose de pointer son organisation étape par étape, afin d’optimiser les modes opératoires. Ensuite, il faut quantifier les surplus et toujours agir dans le cadre du plan de maîtrise sanitaire. Au-delà de ma motivation, c’est un réel projet de service, dans lequel j’ai intégré les agents, soutenu, dès le départ, par la direction de l’hôpital ».