À l’hôpital Salvator, à Marseille, l’Espace Arthur accueille des adolescents souffrant de troubles psychopathologiques. Ouvert sur la vie, il propose une prise en charge originale, bâtie sur des soins culturels et un cheminement avec les soignants.
Accrochées aux branches d’un baobab en raphia, dans l’entrée de l’unité, des dizaines de feuilles ovales portent les messages d’espoir des jeunes patients. « Le bonheur est le fruit de tous nos efforts » ; « La vie en couleurs » ; « Ne cherche pas loin, le bonheur est sur ton chemin »… Autant de préceptes laissés à l’attention des futurs entrants, sur l’arbre à palabres - symbole de partage et d’échange en Afrique - fabriqué par deux membres de l’équipe soignante. Un arbre qui représente également l’adolescence, « cette période où l’on a besoin de solides racines, tout en gardant la tête dans les étoiles », souligne l’équipe soignante. Cette dernière se compose de douze infirmiers et infirmières, d’une infirmière puéricultrice et d’une éducatrice spécialisée qui travaillent en alternance de jour (dix semaines) et de nuit (quatre semaines), par vacations de huit heures. « C’est important d’être présent à différentes heures de la vie quotidienne des adolescents. Cela nous permet de créer du lien, dans un esprit de bienveillance », explique Véronique Petri, infirmière puéricultrice. Chaque prise en charge prend en compte la complexité de cette phase particulière qu’est l’adolescence, une période charnière où l’image et l’estime de soi sont en pleine construction. « Nous sommes des passeurs, précise David Da Fonseca, chef du service de psychiatrie de l’adolescent, dont fait partie l’unité. À nous d’aider ces jeunes en difficulté à trouver une place et à s’ancrer dans la réalité, en lien avec leur famille et leur environnement, sans les focaliser sur la maladie. Notre rôle est aussi de leur faire prendre conscience de leur valeur. » C’est donc une transition thérapeutique - d’évaluation, de soutien et d’accompagnement - que propose l’Espace Arthur, où chacun invite « les ados à être, en lâchant peu à peu le paraître », pour reprendre la formule de Céline Elias, infirmière et danseuse, lors de ses ateliers de danse orientale. L’unité porte d’ailleurs le prénom du poète, éternel adolescent, en quête perpétuelle d’un père. « Arthur », comme Arthur Rimbaud, « l’homme aux semelles de vent ».
« En arrivant, prenez le petit chemin à droite », conseille Sylvain Filiol, cadre de santé et responsable du bon fonctionnement des différentes unités du service. Un parc de sept hectares, rebaptisé « Jardin d’hospitalité », précède l’entrée dans le bâtiment historique de l’hôpital Salvator - en tons ocre et volets bleus - dont l’unité d’hospitalisation à temps plein, de dix lits, occupe le premier étage. Une unité qui accueille sept jours sur sept des jeunes âgés de 11 à 18 ans en situation de crise, adressés par leur pédo?psychiatre ou par un service d’urgences pédiatriques. Les hospitalisations peuvent durer de quelques jours, pour une évaluation, à plusieurs semaines, dans le cadre de troubles du comportement alimentaire (TCA), qui représentent la moitié des hospitalisations de l’unité. Les autres troubles psychopathologiques rencontrés, associés ou non à des facteurs environnementaux, sont multiples : troubles anxieux, troubles du comportement, psychoses précoces, phobies, dépressions, troubles bipolaires, syndrome d’Asperger… mais aussi, refus scolaires anxieux.
Dans les chambres colorées, agencées comme de vraies chambres d’ados, chaque patient peut apporter affiches, housse de couette, tablette et musique. C’est le gage de leur adhésion à leur séjour à l’hôpital. « Je me sens bien dans ma chambre, c’est mon espace, avec mes affaires. Je peux appeler mes copines si je veux, sauf le soir quand on nous prend nos portables, écouter ma musique ou me reposer », confie Maeva, 17 ans, hospitalisée depuis dix semaines pour des troubles majeurs du comportement alimentaire. Sur le mur, des photos de sa passion, les chevaux, qu’elle regrette de ne plus pouvoir monter. « Je suis trop fragile », murmure-t-elle. Non loin de la table de chevet où sont alignées des crèmes de soin pour le visage, des peluches s’amoncellent sur son lit. Une dualité, entre vulnérabilité de l’enfance et ancrage dans l’âge adulte, qui dessine cette frontière ténue, l’entre-deux de l’adolescence. De fait, un soin constant est apporté à l’alliance thérapeutique et à l’intégration active du monde qui entoure chaque patient : famille, scolarité, centres d’intérêt, expression corporelle et artistique sous toutes ses formes. « Prendre en charge un adolescent, c’est traiter avec le collège, le lycée, les parents : tout s’imbrique », explique Corinne Pothier, infirmière. En partenaire du soin, l’Éducation nationale guide les patients inscrits au Centre national d’enseignement à distance (Cned) dans leur travail et rassure les enfants déscolarisés. « Nous avons de réels objectifs thérapeutiques qui se réajustent au fur et à mesure, poursuit David Da Fonseca. Pour cela, chacun donne sa lecture du patient, au sein de l’équipe interdisciplinaire de l’unité. »
Dès l’arrivée à l’Espace Arthur, le lien avec la famille est au cœur de la prise en charge. « La parentectomie n’entre pas dans notre conception du soin. Les familles font partie intégrante du processus thérapeutique », confirme Flora Bat, pédopsychiatre et coordinatrice des soins. « Il faut joindre les parents à la prise en charge, dans une démarche volontaire, notamment pour le retour à domicile », poursuit Sylvain Filiol. Par ailleurs, chaque jour, de 17 heures à 19 heures, l’unité est ouverte aux parents. « Nous nous sentons rassurés, ici. C’est une parenthèse qui nous sort de notre quotidien, pour essayer de comprendre. Nous pouvons échanger avec les soignants, ils sont à l’écoute », confie la maman d’Adèle, hospitalisée pour des troubles du comportement. Quand le besoin se fait sentir, des groupes de parole et des thérapies familiales peuvent également être proposés. Ce trio, adolescent - équipe soignante - famille, est l’une des composantes du concept voulu par Marcel Rufo, pédopsychiatre à l’origine de la philosophie de soins insufflée à chaque intervenant. Sa volonté de construire un hôpital « autrement », en associant soins, culture et éducation (lire encadré), a permis d’accorder une place essentielle aux activités culturelles. « Nous sommes dans un cheminement avec l’adolescent, avec qui nous travaillons sur une progression. Rien n’est imposé et le contact avec l’extérieur est préservé », développe Emmanuelle Roudil, infirmière.
Pédopsychiatres, infirmiers, éducatrice spécialisée, psychologues, diététicienne et assistante sociale accompagnent les ados à la découverte d’eux-mêmes. L’équipe se réunit tous les lundis matin pour faire le point sur les patients, les infirmières participent aux entretiens médicaux et les médecins assistent aux transmissions. « Nous sommes vraiment en lien, c’est très important », affirme l’équipe. Ici, pas de blouses et une atmosphère à la fois détendue et énergique.
L’accès à l’unité se fait par un ascenseur aux parois recouvertes de graffitis et d’inscriptions. Des mots qui accueillent, apaisent. L’espace, disposé en croix, s’organise le long de quatre longs couloirs, d’une salle de sport et d’un espace culturel de 800 m2, décorés par le coloriste designer Jean-Gabriel Causse. Des touches de couleurs vives mettent en scène, par des trompe-l’œil, une série de mots-clés peints en travers des plafonds et des murs : « rêve » en violet, « zen » en vert, « cool » en orange, « fun » en rose, un point d’interrogation en jaune… Nous nous trouvons dans un monde d’ados où le soignant devient copilote : « Nous sommes avec et pas à la place de… », précise Sylvain Filiol. De nombreux espaces collectifs permettent aux adolescents de se réunir ou se relaxer : médiathèque, salles de jeux, de massage et d’esthétique, d’arts manuels, de télévision, de musique. Leurs œuvres, réalisées lors de différents ateliers animés le plus souvent par des infirmières créatives, sont disposées un peu partout. Ici, des chaises de jardin customisées en moutons, chiens, ou encore Betty Boop. Elles feront l’objet d’une exposition dans le parc de l’hôpital dès les beaux jours. Là, une « Bouboulina », sculpture imposante en papier mâché inspirée des « Nanas » de Niki de Saint Phalle, des mappemondes imaginaires et un « chat-mots » agrippé au mur de la salle à manger.
Les activités, aux formes multiples, sont proposées aux adolescents en fonction de leur état de santé, leur progression dans le soin ou leurs souhaits. Le mouvement impulsé par ces différents ateliers crée une dynamique particulière. « Beaucoup de ressources et d’idées émanent des soignants, notamment des infirmiers, en ce qui concerne les arts plastiques ou la danse », indique Sylvain Filiol. La médiation culturelle s’avère très efficace pour les troubles de l’estime de soi ou les difficultés relationnelles. « Les soins culturels créent de nouvelles voies pour que les adolescents puissent s’exprimer et travailler sur l’estime d’eux-mêmes et leur trouble identitaire. Ils leur permettent de déceler des potentiels non perçus jusque-là », développe Flora Bat. Enfin, les moments créatifs étant animés par des infirmières, ils restent adaptables dans le temps, et favorisent des liens très divers. « Au fil des créations, le lien avec l’équipe change, ce qui est très favorable à l’alliance thérapeutique et libère la parole », poursuit la pédopsychiatre.
Le pouvoir des mots prend ici toute sa mesure. Maeva, Capucine et Émeline, sylphides en collants noirs et socquettes, ont imaginé une chorégraphie sur « U-Turn (Lili) » d’Aaron. Pendant la répétition, effectuée sous le regard protecteur de l’infirmière, Capucine avoue « se sentir lourde et avoir de grosses cuisses », alors qu’Émeline déclare : « Je ne faisais plus attention à moi dans le miroir, je ne voyais que le groupe. » Pendant l’atelier proposé par Emmanuelle Roudil, où chacun représente, en dessinant, découpant, froissant ou collant, ce que signifient les mots « colère », « joie » et « peur », Claudio annonce : « J’ai fait la tristesse, je me suis trompé, comme toujours », tandis que Maxime décrit la colère comme « un chien à trois têtes, Cerbère… peut-être même l’hydre de Lerne ». Marion, quant à elle, commente le cœur fissuré de traits noirs qu’elle vient de dessiner : « La peur, ça te serre et, en même temps, ça te pénètre. » L’infirmière rapporte ensuite l’information, en veillant à garder une bonne distance thérapeutique : « Nous sommes un peu comme des pierres sur leur chemin, chacun d’entre nous apporte la sienne. L’ado décide, ou pas, de s’en saisir. »
Expression corporelle, photo-langage, courts métrages réalisés avec l’association Pinocchio Production
Depuis 2012, l’Espace méditerranéen de l’adolescence (EMA), structure novatrice imaginée par Marcel Rufo, propose une prise en charge complète des adolescents en souffrance, de la crise aux soins de suite, intégrant les soins somatiques, psychiques, ou de réadaptation, la médiation culturelle et l’accompagnement scolaire. Les prises en charge associent des thérapies individuelles ou de groupe, à la fois pour les adolescents et leur famille, une approche corporelle et de nombreuses activités culturelles. Un ancrage important avec la scolarité est également proposé, via la présence d’une équipe pédagogique détachée de l’Éducation nationale. Cette entité, située principalement sur le site de l’hôpital Salvator, englobe aujourd’hui l’unité d’hospitalisation à temps plein (Espace Arthur), un hôpital de jour pouvant accueillir une quarantaine de patients, une unité de consultations, une autre dédiée au syndrome d’Asperger (Aspi Pro) et un centre médico-psychologique (CMP).