L'infirmière Magazine n° 360 du 01/05/2015

 

INTERVIEW : Président-fondateur du comité pour le développement durable en santé (C2DS)

Dossier

PROPOS RECUEILLIS PAR ISABEL SOUBELET  

Directeur pendant 17 ans du premier centre de soins certifié ISO 14001, Olivier Toma milite auprès des instances officielles pour la prise en compte du développement durable dans le milieu de la santé et accompagne les établissements sur le terrain.

L’INFIRMIÈRE MAGAZINE : Quelle est la place du développement durable dans les établissements de santé ?

OLIVIER TOMA : Chez les acteurs engagés du secteur sanitaire depuis 2009, voire avant, et chez ceux qui ont cru aux objectifs des Grenelle1 & 2, et donc compris les enjeux du sujet, les résultats sont visibles car le développement durable est un investissement économique viable et rentable. Ceux-là sont à la moitié du chemin. Certains ont même quasiment atteint les objectifs de 2020. Mais ils représentent une minorité. Ceux qui ne souhaitaient pas s’engager à l’époque sont toujours absents, aucune sanction ou obligation n’étant prévue. La grande majorité intègre quant à elle les contraintes en y répondant de manière peu structurée. En France, une centaine d’établissements ont vraiment pris le sujet à bras le corps. Tout le reste relève du marketing ! Dans le secteur médico-social, où il n’y a pas d’obligations, la prise en compte est plus récente. Mais les acteurs basculent très vite dans cette nouvelle dynamique.

L’I. M. : Pourtant, la feuille de route environnementale(1) adoptée par le gouvernement affiche des signes positifs…

O. T. : Tout à fait. Mais la question demeure sur les moyens mis en œuvre pour atteindre ces objectifs. Le développement durable en santé n’a pas vocation à « faire joli ». C’est extrêmement technique. Il nécessite des compétences et des expertises qui peuvent être partagées ou accompagnées sous forme de conseils. Impulser une dynamique et agir à l’échelle d’un établissement, c’est très bien. Mais le développement durable ne fonctionne que si les actions sont mutualisées pour réduire l’impact sur la santé humaine, le réchauffement climatique et la qualité de l’air intérieur. Il faut penser à la généralisation au niveau de plusieurs établissements, d’une région, voire du pays.

L’I. M. : Comment passer à la vitesse supérieure ?

O. T. : Le manque de formation des acteurs constitue un point crucial. Quand vous parlez de développement durable avec un médecin, une infirmière, une sage-femme ou un directeur d’établissement, personne ne sait de quoi il s’agit. Comme beaucoup de Français d’ailleurs. L’écologie, l’environnement, la pollution ne forment qu’un des piliers du sujet. Il est primordial d’en faire une démarche professionnelle. Or, aujourd’hui, le sujet n’est traité ni dans la formation initiale, ni dans la formation continue des professionnels de santé.

L’I. M. : L’éco-conception des soins existe pourtant. De quoi s’agit-il précisément ?

O. T. : Oui, c’est vrai. Mais nous en sommes aux balbutiements. Cette nouvelle démarche demande au soignant de prendre en compte les impacts générés par chacun de ses actes. L’éco-conception des soins est au cœur de la responsabilité sociale et environnementale à l’hôpital. À titre d’exemple, sur un établissement, les infirmières en chirurgie ambulatoire jetaient systématiquement deux des trois pinces à usage unique présentes dans le pack fourni. Au final, les pinces produites mais non utilisées partaient en Dasri. Gâchis énorme sur tous les plans : production du métal, confection du matériel, coût des déchets… Pour modifier une telle pratique, il faut se tourner vers la centrale d’achats, le fabricant ou prestataire, afin de revoir le processus.

L’I. M. : C’est une mini révolution ?

O. T. : En quelque sorte. Mais la formation n’est pas seule en cause. À mon sens, la recherche et développement (R&D) en santé n’existe pas en France. Chaque action menée avec des résultats positifs devrait être connue de tous. Il est nécessaire de mutualiser les bonnes pratiques, de collecter et de diffuser l’information sur l’ensemble du territoire. Diminuer le volume des Dasri dans un service d’ophtalmologie, réduire l’utilisation des produits chimiques, revoir les contenants, travailler sur les emballages… Tout est possible, mais il faut le savoir, et le faire savoir. La R&D existe dans les laboratoires pour éco-concevoir un produit ou un médicament mais, au niveau des soins, la recherche est simplement passionnante ! Le développement durable doit être impulsé et relayé par l’encadrement. Il est un formidable levier social.

1- Le texte prévoit la réduction à la source des résidus de médicaments et l’élaboration d’un guide technique national. Il demande à l’UE d’accélérer les travaux sur les perturbateurs endocriniens et prévoit d’insérer une information dans le carnet de maternité et le carnet de santé du nouveau-né. En revanche, le sujet de la qualité de l’air intérieur des établissements recevant du public est reporté à 2018.

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