En se servant du jeu de rôles, le psychodrame psychanalytique permet une prise de conscience de son mal-être et amorce un processus de changement.
Les troubles de l’agir de l’adolescent sont dus à un défaut de mentalisation, autrement dit, une représentation psychique insuffisante de lui-même, des autres et de la vie. Le principe du psychodrame psychanalytique est de permettre aux jeunes patients de jouer des scènes de vie et d’enclencher un travail psychique de symbolisation et de représentation. Une façon de re-connaître le sens et la portée des éprouvés, plus ou moins inconscients, qui nous font agir et interagir avec les autres. Cette psychothérapie permet en plus une mise en mouvement du corps, et donc, un mode supplémentaire de communication émotionnelle. Au CHU de Saint-Étienne, deux psychanalystes, Jacques Monasse, pédopsychiatre, et Nicolas Kormas, psychologue, proposent, en 1998, au personnel soignant du service de psychopathologie de l’enfant et de l’adolescent de participer à cette psychothérapie. En amont, des groupes de lecture et des ateliers cliniques sont organisés avec des équipes de psychodramatistes expérimentés.
Le psychodrame psychanalytique nécessite un cadre particulier. Le groupe - constitué du patient, du thérapeute principal, ou directeur de jeu, et de trois à cinq cothérapeutes - se rencontre une fois par semaine, à heure et jour fixes, dans une pièce où il n’y a que des chaises. La séance dure trente minutes et comporte trois temps :
→ Un premier temps où le patient donne l’idée du jeu et en crée le scénario, avec l’aide du directeur de jeu : il décrit les personnages et le contexte, choisit son rôle et indique les cothérapeutes qui joueront les autres personnages de l’histoire.
→ Le deuxième temps est celui du jeu. Il a lieu entre le patient et les cothérapeutes. Les règles sont de faire semblant, de ne pas toucher ou utiliser des objets, à l’exception des chaises. Le directeur de jeu ne joue pas mais peut intervenir pour effectuer des changements de rôles, introduire un nouveau personnage, souffler des indications aux cothérapeutes et, parfois, rappeler les règles.
→ Le thérapeute principal interrompt le jeu à un moment clé, et vient le troisième temps, où le groupe revient s’asseoir comme dans le premier temps. Le patient est invité à commenter le jeu et le thérapeute principal propose des interprétations.
→ Une fois le patient parti, nous avons un quatrième temps de réflexion clinique de 15 minutes que nous poursuivons en supervision extérieure, une fois par mois.
La scène se passe dans un centre de loisirs. Mehdi choisit le rôle d’un apprenti animateur sportif de 17 ans sous la responsabilité d’un animateur titulaire, joué par un cothérapeute. D’autres soignants jouent le rôle de deux adolescents. Mehdi précise dans le scénario qu’ils sont en rivalité, l’un aimant le foot, l’autre le basket. Dans le jeu, il choisit de commencer par le foot. Un choix qui déçoit l’un des adolescents, lequel s’énerve car il ne peut pratiquer son sport préféré. Nous choisissons de jouer un conflit entre les adolescents. L’un finira par traiter l’autre de « fils à papa ». Furieux, l’autre adolescent, joué par un soignant, répond qu’il n’a pas besoin de parents et qu’il s’en sortira seul dans la vie. Il rajoute qu’il n’a jamais pu compter sur quelqu’un. Au troisième temps du jeu, Mehdi explique que la séance lui a fait penser à son histoire, dont il ne parle jamais : « Je me suis dit que je devais m’en sortir seul, mais ça n’a pas marché. Je sais maintenant que tout le monde a besoin d’aide, même moi. »
Au-delà de son intérêt thérapeutique, le psychodrame est formateur pour les soignants, tant dans le savoir-être et le savoir-faire que dans les connaissances en psychopathologie. Lors de cette psychothérapie, je n’ai pas le statut d’infirmière, je suis cothérapeute, comme mes collègues psychologues, médecins et psychomotriciens. À la première séance, nous nous présentons simplement à l’aide de nos noms et prénoms. Dans les premier et troisième temps, nous devons nous abstenir d’intervenir par la parole et le geste, simplement des regards partagés avec le thérapeute et le patient. Nous nous retrouvons alors dans une position d’observation, témoins de l’échange entre eux, qui montre le mode de fonctionnement psychique du patient et la nature du transfert
Pendant la séance, cette observation induit déjà en nous des mouvements contre-transférentiels. Tout au long de la construction de l’histoire, je me demande si je serai choisie. Parfois, je le redoute et, à d’autres moments, j’ai très envie de jouer un rôle précis. Je me projette dans l’histoire, j’imagine la suite du scénario, je fais le lien avec les jeux des semaines précédentes, et je m’interroge sur les rapports avec l’histoire personnelle du patient.
Quand un rôle m’est attribué, je l’interprète avec des mots, des gestes, des attitudes, des mimiques. Je fais semblant d’être un personnage tout en me dévoilant un peu, puisque je joue avec ma sensibilité, mes représentations du monde, de la société et de la famille. La difficulté est de me laisser aller à jouer en prenant en compte à la fois le fonctionnement psychique du patient, les interventions des autres co-thérapeutes, les indications du directeur de jeu et mes propres fantasmes et associations.
Cette complexité du travail de co-thérapeute nous aide à gérer celle des soins dans nos différentes unités. Dans les jeux au psychodrame, nous sommes très souvent dans des rôles d’auxiliaires du Moi, ce qui renforce la capacité d’empathie. Cette empathie permet d’incarner de l’intime indicible par le patient, et dans lequel il peut se reconnaître dans le troisième temps, hors jeu, avec le thérapeute principal.
Nous proposons donc une gamme de ressentis dans une scène de vie banale ou extraordinaire pour lui faire connaître de nouvelles expériences affectives par identification, comme en thérapie institutionnelle et médiations thérapeutiques.
La position d’intermédiaire du cothérapeute dans le psychodrame s’apparente à celle de l’infirmière, qui assiste aussi bien le patient que le médecin. Cette expérience aide à gérer cette position d’entre-deux. Dans nos unités en psychiatrie, les indications de médiations thérapeutiques et d’entretiens infirmiers font penser aux indications de jeu au psychodrame. Nous avons, dans les deux cas, une part d’autonomie en fonction de notre connaissance des patients et de notre intuition clinique soutenue par le travail d’élaboration en réunion clinique qui nous permet de comprendre comment, dans l’interprétation de nos rôles, nous sommes influencés par la relation transférentielle avec le patient, mais aussi, ce qui nous échappe dans la spontanéité du jeu. En partageant ce vécu parfois éprouvant avec le groupe, et grâce au travail de supervision, nous apprenons à nous servir de la relation transférentielle pour adapter notre jeu à la problématique du patient.
Ce travail au psychodrame favorise la capacité des soignants de percevoir et de comprendre ce qu’induit la rencontre avec un patient, d’être à l’écoute de ce qu’il nous fait vivre, de ce qu’il dit - en restant au plus près de ce qui se passe dans la relation - et de le partager en équipe. C’est ce qui fonde la relation thérapeutique en psychiatrie.
1- Processus psychologique inconscient par lequel un patient reporte ses émotions sur d’autres personnes ou des lieux. Des émotions en rapport avec les modalités d’attachement et de relations dans la petite enfance.
Mehdi, 16 ans, est suivi en pédopsychiatrie depuis sa petite enfance pour des troubles précoces de l’attachement, en lien avec des carences affectives et un défaut de soins primaires. Il a grandi dans des familles d’accueil et des foyers, au gré d’événements familiaux et de décisions judiciaires. À l’adolescence, Mehdi est en échec scolaire et présente des troubles du comportement, entre opposition et agressivité.
Dans le langage courant, le terme « psychodrame » connote une situation marquée par un excès d’émotion, une ambiance survoltée. Mais il désigne aussi le théâtre thérapeutique inventé au début du vingtième siècle par le Dr Moreno, un psychiatre américain. Par son effet libérateur, le jeu de rôles aide à sortir des impasses relationnelles. Jouer spontanément des scènes de la vie quotidienne en incarnant d’autres personnages que soi permet de s’alléger et de découvrir d’autres façons de voir, et donc d’autres façons de vivre avec soi et les autres. Des psychanalystes d’enfants se sont inspirés du Dr Moreno pour créer le psychodrame psychanalytique.