Le patient neutropénique est confronté à un risque infectieux susceptible de mettre en jeu son pronostic vital. Le point sur sa surveillance et ses traitements.
La neutropénie est définie par un nombre absolu de polynucléaires neutrophiles inférieurs à 1 500/mm3 chez l’enfant de plus de 1 an. En situation fébrile, définie par une température corporelle supérieure à 38,5 °C une fois, ou supérieure à 38 °C deux fois à une heure d’intervalle, le risque d’infection grave survient essentiellement lorsque les polynucléaires neutrophiles sont inférieurs à 1 000/mm3. Il est significativement majoré en dessous de 500/mm3 et lorsque que la durée de la neutropénie est supérieure à dix jours. Dans le cadre de l’urgence, deux situations peuvent se présenter : la neutropénie est déjà connue ou attendue (cf. terrains à risque), ou sa découverte est fortuite.
> Patients à haut risque de complications infectieuses graves :
• Neutropénies secondaires à une chimiothérapie cytotoxique anticancéreuse ;
• Aplasies médullaires idiopathiques ;
• Neutropénies constitutionnelles liées à une maladie génétique complexe, ou neutropénies constitutionnelles primitives (neutropénie congénitale, neutropénie cyclique).
> Patients à risque modéré de complications infectieuses graves (neutropénies auto-immunes).
> Découverte fortuite d’une neutropénie fébrile : les neutropénies en contexte viral sont fréquentes, mais seule l’évolution permet d’affirmer cette hypothèse. Dans le cadre de l’urgence, une neutropénie inférieure à 500/mm3, en contexte fébrile, doit conduire à la même prise en charge que les terrains à risque.
L’examen clinique doit être complet avec une attention particulière portée sur les points suivants :
• Évaluation hémodynamique : conscience, FC, PA, TRC, diurèse ;
• Examen respiratoire, avec mesure de la FR et de la SpO2 (saturation pulsée en oxygène) ;
• Examen attentif de la peau et des muqueuses (peau, bouche, périnée), recherche de cellulite ;
• Contrôle visuel de l’émergence cutanée d’un cathéter veineux central (CVC) percutané. Inspection et palpation d’un dispositif vasculaire implantable sous-cutané (port-a-cath).
• NFS (numération formule sanguine), CRP (protéine C réactive), PCT (la procalcitonine), ionogramme sanguin ;
• Recherche d’agglutinines irrégulières (RAI) (contexte d’aplasie médullaire ou d’aplasie post-chimiothérapie) ;
• Prélèvements microbiologiques des lésions cutanées ou muqueuses, de l’orifice du cathéter veineux central (si inflammation, écoulement) ;
• Prélèvement nasopharyngé pour examen virologique (si contexte viral) ;
• Radiographie thoracique (si point d’appel clinique) ;
• ECBU (si point d’appel clinique) ;
• Coproculture si diarrhée ;
• Hémoculture.
• Agents microbiens à haut risque d’aggravation rapide, pouvant mettre en jeu le pronostic vital :
– Bacilles à Gram négatif (entérobactéries) ;
– Streptocoques ;
– Levures (patients traités pour une hémopathie maligne) ;
• Agent microbien le plus souvent identifié, chez les patients porteurs d’un cathéter veineux central : staphylocoques epidermidis ;
• Virus (contexte épidémique ou contage familial).
• La leuconeutropénie peut être un marqueur de gravité dans certaines infections graves.
• La corticothérapie, fréquemment utilisée dans le traitement des leucémies, peut masquer la fièvre. Dans ce contexte particulier, et chez les patients fortement immunodéprimés en général, les frissons, les douleurs diffuses et/ou abdominales ou la diarrhée, même en l’absence de fièvre, doivent être considérés comme des signes d’infection, nécessitant la mise en route rapide d’une antibiothérapie intraveineuse.
• L’hypothermie doit conduire à la même prise en charge que la fièvre.
• En cas de suspicion d’infection du cathéter veineux central (inflammation du point d’entrée, écoulement purulent, non-entretien du pansement), la perfusion du CVC doit être prudente, car il existe un risque de bactériémie.
• En urgence, en l’absence de formule leucocytaire disponible, un patient fébrile à risque de neutropénie doit être considéré neutropénique. La mise en route de l’antibiothérapie ne doit pas être retardée.
• Le portage chronique d’une bactérie multi-résistante doit être recherché à l’interrogatoire des parents ou sur les documents de sortie du patient. L’antibiothérapie sera adaptée.
• Les centres spécialisés référents disposent d’une permanence médicale téléphonique à contacter s’il existe un foyer infectieux identifié ou une complication grave.
Patients à haut risque PNN < 500/mm3, ou risquant d’être < 500/mm3 dans les 48 heures ; présence d’un cathéter veineux central ; foyer clinique ou situation hémodynamique instable.
> Prise en charge urgente en hospitalisation.
> Mise en place d’un accès veineux :
• Cathéter court périphérique.
• Chez les patients disposant d’un cathéter veineux central, son utilisation est à privilégier pour la réalisation d’examens complémentaires (si IDE habilitée) et la mise en route du traitement intraveineux.
> Traitement anti-infectieux :
• Antibiothérapie large : pipéracilline/tazobactam : 300 mg/kg/j en 3 ou 4 injections intraveineuses (ou C3G), plus aminoside si frissons, foyer clinique, gravité.
• Suspicion d’infection sur le trajet du cathéter veineux central, d’infection cutanée, patient porteur d’une prothèse orthopédique, choc septique : ajouter vancomycine, 40 à 60 mg/kg/j en quatre injections intraveineuses (IV) sur 1 heure.
• Terrain d’hémopathie et lésions cutanées nodulaires purpuriques évoquant une infection fongique : ajouter amphotéricine B liposomale 3 mg/kg/j en injection intraveineuse sur 1 heure.
• Tout foyer infectieux identifié doit faire discuter une antibiothérapie plus adaptée à la situation.
> Prise en charge de la défaillance hémodynamique :
• Remplissage vasculaire : NaCl 0,9 % 20 ml/kg en IV sur 15 minutes, à renouveler si nécessaire.
• 2e voie d’abord veineuse.
• Si hémodynamique non restaurée, transfert en service de réanimation.
> Utilisation du facteur de croissance G-CSF, autres traitements de support.
• G-CSF 5 à 10 µg /kg en IV sur 30 minutes, si infection grave (indication à valider avec le centre référent).
• Support transfusionnel, si nécessaire, en produits irradiés (situations de cancérologie ou d’aplasie médullaire).
> Contexte : PNN > 500/mm3, absence de cathéter veineux central, tableau viral, négativité des marqueurs de l’inflammation.
> Traitement ambulatoire symptomatique, +/- associé à une antibiothérapie orale.
Le prélèvement est effectué sur prescription médicale obligatoire.
> Hémocultures « systématiques »
Elles sont limitées aux indications suivantes :
– À l’entrée de l’enfant en hospitalisation conventionnelle ou en hôpital de jour, uniquement en cas d’antécédent d’infection ou de colonisation du cathéter ;
– Au retour de bloc, uniquement en cas de problème sur le pansement ou en cas de prélèvement nasal positif à staphylocoque doré ;
– Lors d’une hospitalisation prolongée, uniquement pour les enfants sous corticothérapie prolongée, c’est-à-dire sous traitement d’induction de première ligne et de rechute des leucémies aiguës (1 hémoculture par semaine).
> Hémocultures « ciblées »
– En cas de fièvre ou fébricule, faire prélever 2 hémocultures (à 15 minutes d’intervalle ou à 1 heure d’intervalle, selon intensité et tolérance de la fièvre) avant l’antibiothérapie. Si elles sont négatives, poursuivre avec 1 à 2 hémocultures par 24 heures jusqu’à apyrexie. Si elles sont positives, 1 hémoculture par jour jusqu’à la négativation.
– En cas de douleurs abdominales, de douleurs musculaires, de lésions cutanées, de modifications hémodynamiques et, sur le plan biologique, d’une ascension franche de la CRP : 2 à 3 hémocultures par jour maximum, jusqu’à la disparition des symptômes.
En dehors de situations exceptionnelles, ne jamais prélever plus de 3 hémocultures par 24 heures.