Avant de glisser dans ce roman, il faut lâcher prise. Car ce n’est pas tant ce que nous dit l’auteur qui déroute, mais sa prose, comme éclatée. « De la fenêtre de l’hôpital à Lisbonne, ce n’était pas les gens qui entraient ni les voitures entre les arbres ni une ambulance (…), c’était l’oiseau de sa peur sans branche où poser tremblotantes les lèvres de ses ailes, la bogue d’un châtaignier auparavant à l’entrée du jardin et aujourd’hui au-dedans de lui que le médecin appelait cancer. » Le style d’António Lobo Antunes – sorte de divagation contrôlée où ponctuation et construction de la phrase suivent les hiatus de la pensée –, est une expérience unique, puissante. Il faut être prêt. Dans ce roman, journal intime d’une hospitalisation en 2007 pour un cancer de l’intestin, il nous emmène dans le labyrinthe de ses pensées. Quatorze jours où souvenirs, images et émotions scandent les aléas de sa maladie, bien réelle, « la bogue », comme il la surnomme. « Les infirmiers s’occupaient de lui au rythme habituel avec les mots habituels et cependant l’impression de se trouver au centre d’il ne savait quoi et dont sa vie dépendait, (…), la clé pouvant tourner dans la porte qui conduisait à lui-même. » Avec lui, on perd pied, on remonte à la surface et on navigue à vue, entre passé et présent, contrées intimes et considérations brutes. Ce livre se lit autrement, comme un long poème aux impressions quasi cinématographiques. On y vogue entre ces touts et ces riens d’une existence qui s’effiloche, au gré des pirouettes et des aléas de la vie. À expérimenter.
Au bord des fleuves qui vont, António Lobo Antunes, Éd. Christian Bourgois, 18 €