Au CHU de Dijon, le ralliement des blocs opératoires sur un même plateau technique a réinsufflé une nouvelle énergie. Dans ce lieu, les Ibode sont de véritables garde-fous du processus chirurgical, au plus près du patient.
Ciseaux ! », enjoint à mi-voix le chirurgien absorbé dans son geste. À sa droite, l’Ibode a devancé la requête, l’instrument déjà tendu vers le praticien. Sur un écran, gros plan sur un cœur et une main gantée tirant sur un fil. L’intervention arrive bientôt à son terme, le patient est hors de danger. Il est 9 heures et dans tous les blocs du CHU de Dijon, l’activité chirurgicale bat son plein. Pour chaque intervention, pas moins de deux Ibode – diplômées ou en cours de formation –, un anesthésiste et une Iade, un ou plusieurs chirurgiens, entourés parfois d’internes ou d’étudiants, allient leurs compétences pour assurer le bon déroulement de l’opération. Au centre de ces prises en charge parfaitement orchestrées, le patient, livré à leur savoir-faire. « Le malade nous fait confiance. Sur la table d’opération, celui-ci reste un être social avec un avant, un après, un espoir. Pendant l’intervention, tout doit être parfait, nous n’avons pas d’autre choix. Ce n’est pas négociable », précise Rose Prétot, cadre supérieure Ibode au CHU de Dijon.
Que ce soit à la périphérie ou au cœur des blocs opératoires, le rôle de l’Ibode est crucial : « C’est un métier avec beaucoup d’engagement, d’implication et toujours cette conscience soignante au plus près de la plaie », poursuit-elle. Un métier où il faut aussi savoir s’adapter aux nouvelles organisations qui bousculent les us et coutumes…
Si le CHRU du Bocage est inauguré en 1962 à l’est de la ville, le regroupement de l’ensemble des services sur ce site unique se concrétise en plusieurs décennies. C’est en 2011 que le plateau technique interventionnel ouvre ses portes, dans le cadre du plan Hôpital 2007-2012, réunissant enfin dans un même espace l’ensemble des blocs autrefois dispersés. Une révolution pour toute l’équipe soignante et, par conséquent, pour les patients. Un outil bien organisé qui a renouvelé les méthodes de travail. Rose Prétot, qui supervise aujourd’hui une équipe d’environ 190 personnes – dont 34 Ibode, 66 IDE formées sur le terrain au fil de leur expérience au bloc et 8 cadres de santé Ibode –, travaille en collaboration étroite avec Dominique Bordet, cadre supérieur de santé coordonnateur, qui endosse la responsabilité de l’ordonnancement du parcours des patients, avec la gestion des 329 lits sur deux pôles et 16 services de chirurgie et médecine dans la première phase. « Une bonne adéquation entre activité opératoire et lits d’accueil gagne en efficacité. Soit comment, par exemple, ne pas annuler un patient programmé au bloc et lui trouver un lit disponible dans le service correspondant. Le flux des patients s’en trouve fluidifié et canalisé. Cette interaction nouvelle prouve tous les jours son utilité », développe-t-il. Réunion le mercredi, pour ajuster les ressources humaines présentes à l’activité programmée, et staff de programmation le jeudi, pour optimiser les temps de vacations… Des mises au point qui favorisent la bonne organisation du travail pour des équipes souvent d’astreinte quatre longues journées d’affilée suivies d’un jour de repos.
Ici, pas de journée type, mais une cadence soutenue. Les plates-formes sont soumises aux aléas des tempêtes ou des périodes d’accalmies. Hormis les urgences, sur le qui-vive 24 heures sur 24, tous les blocs opératoires sont actifs dès 8 heures du matin. Une armada d’infirmières, de chirurgiens, d’anesthésistes enfilent tuniques, coiffes, masques, sabots désinfectés, se savonnent mains et avant-bras, parent à tout risque de contamination. Les deux plateaux interventionnels (PTI), l’un dédié aux adultes et l’autre à la gynécologie-obstétrique et à la pédiatrie, sont une vraie machinerie où intervient quasiment en permanence un staff cadré par un planning rigoureux.
Sur le PTI adulte, c’est la conception du bâtiment qui donne le ton. Reliés aux sas d’arrivée des patients et à la salle de surveillance post-interventionnelle – unique en France par sa taille et sa technicité –, cinq redans (sortes d’avancées architecturales indépendantes) se dégagent de la structure centrale. Chacun accueille une orientation chirurgicale. Les urgences d’abord, puis, le redan « tête, cou et main », suivi de celui orienté « système digestif, thoracique et urologie ». Plus loin, trois salles sont destinées aux interventions cardiovasculaires et, enfin, l’espace dit hyper aseptique accueille les interventions dédiées à l’ophtalmologie, l’orthopédie, les procédures cardio-interventionnelles et la neurochirurgie. En tout, 25 blocs pour toutes les spécialités adultes disposées sur 5 200 m2 au 2e sous-sol du bâtiment central, plus de 40 places pour la chirurgie ambulatoire et, non loin de là, 11 blocs de gynécologie-obstétrique et pédiatrie installés à la maternité et accessibles par un couloir intérieur. Le vaisseau amiral peut affronter vents et marées, notamment grâce à une technologie de pointe, de hauts standards de stérilisation et de désinfection et un système informatique optimal.
L’originalité du plateau technique interventionnel, où exerce l’équipe soignante – tout de vert vêtue – repose sur une mutualisation raisonnée qui tient compte des compétences, dont trois maîtrisées par les IDE travaillant au bloc, à mettre au profit de tous les blocs opératoires du CHU, toutes spécialités confondues. « Autrefois, les Ibode prenaient en charge les patients avant l’intervention, les accueillaient, s’occupaient du traitement des instruments…, explique Rose Prétot. Cela leur permettait d’alterner les tâches à forte concentration avec des activités moins prenantes. » Dès lors, les voilà recentrées sur des rôles spécifiques intensifs, assortis d’une attention de tous les instants, dans une assistance constante aux chirurgiens au sein des blocs opératoires. Qu’elles exercent les fonctions de circulante, d’instrumentiste ou d’aide opératoire, leur emploi du temps est constamment relié à la durée des interventions stricto sensu. Il leur faut donc appréhender un nouveau cadre de travail sur une plate-forme ultra-moderne. Sans compter que pour chaque intervention, et en fonction du chirurgien désigné, les protocoles à respecter et les habitudes varient.
« Au moment du déménagement, les Ibode ont craint de perdre leurs repères, voire leur identité professionnelle, devenant une ressource pour “armer” une vacation, réduite à un coût d’heure de bloc, une charge », se souvient Rose Prétot. Un tournant que le décret n°?2015-74 du 27 janvier 2015 a tempéré. En effet, son vote, après des années de combat, est venu notifier une reconnaissance de cette spécificité infirmière, mettant en avant la compétence exclusive des infirmiers de bloc opératoire. Suivi de l’arrêté du 12 mars 2015 relatif à la formation spécifique conduisant au diplôme d’État (49 heures ou 7 jours de formation supplémentaire en plus à justifier avant 2020), ce texte comble un vide juridique et redynamise la fonction. Il renforce et redéfinit l’habilitation des infirmières de bloc opératoire à réaliser de nouveaux actes, telles que les installations chirurgicales, l’aide aux sutures d’organes ou de vaisseaux, etc.
Une avancée majeure pour ce métier difficile qui, au-delà des actes techniques, demande une grande résistance physique et psychique. « Il faut de réelles aptitudes à gérer ses émotions pour être dans le soin au bloc. On est au sommet du curatif, de l’invasif », analyse Rose Prétot. Horaires flexibles, étirables, capacité à absorber le stress du chirurgien, à rester des heures debout, sans boire ni manger, à subir la pression, tout en restant humble et en intervenant avec précision… Une telle fonction ne peut s’exercer que dans la passion. « Une césarienne, un code rouge, mine de rien, on aime bien », admet Élisabeth Chaput, infirmière du plateau technique mère-enfant, affairée dans le bloc d’urgence dédié aux césariennes, toujours prêt, surtout les veilles de week-end. « Pas plus de 15 minutes ne doivent s’écouler entre la décision et la sortie de l’enfant », précise-t-elle. L’efficacité et la réactivité ne sont pas de vains mots en chirurgie. Et les coups de feu n’ont rien d’exceptionnel.
« On met le cœur en une », avertit au téléphone Catherine Thiard, cadre Ibode du redan cardiovasculaire, concentrée sur le logiciel où apparaît tout le planning des blocs. Elle interpelle ensuite Dorian Ducroix, Ibode, dans le couloir. Pas moins de 110 mètres desservent toutes les salles du plateau interventionnel. « Tu vas démarrer le cœur pendant que Véro est partie déjeuner. » Calme et affable, il acquiesce, se dirige vers le bloc idoine. « Je connais la cartographie des compétences. Mon credo : mettre la bonne personne au bon endroit et au bon moment », assure-t-elle.
Pendant ce temps, l’infirmière de bloc circulante termine de préparer et d’organiser tout ce que l’intervention requerra en termes d’accessoires et d’appareillages. Au fil de la journée, celle-ci est chargée, entre autres, de préparer les chariots avec tout le matériel, de vérifier la stérilisation de tous les instruments, d’assurer le relais d’approvisionnement, de s’occuper de la salle en s’assurant du bon fonctionnement de l’éclairage et de l’équipement technologique. C’est elle aussi qui s’assure quasi exclusivement de la mise en œuvre de la check-list HAS « Sécurité du patient au bloc opératoire », obligatoire depuis janvier 2013. Un gain de sérénité pour toute l’équipe. « Le chirurgien ne contrôle pas, il fait confiance », certifie Agnès Thiery-Pietri, Ibode suppléante, qui assure des remplacements dans toutes les spécialités et dans tous les blocs. Un profil particulier, où s’allient expérience, souplesse et goût du changement.
Une fois la salle d’opération configurée dans ses moindres éléments, le patient toujours en éveil, en attente dans le sas d’arrivée, peut être installé. Que ce soit en neurochirurgie, en cardiologie ou en urologie, l’orchestration sera ensuite similaire pour les Ibode, circulante et instrumentiste, dans leurs tâches, mais différente dans leur relation au praticien. Il existe environ 40 techniques chirurgicales à connaître par spécialité, dont une dizaine qui reviennent le plus souvent. « On assiste l’acte chirurgical du début jusqu’à la fin », développe Axelle Cousin, cadre Ibode, qui gère les salles et le staff. De plus, le nouveau système informatique mis en place pour tout le plateau permet de contrôler et de gérer les blocs de façon transversale, comme d’attribuer un bloc de cardiologie vacant, par exemple, à un autre type d’intervention. Ce gain de temps permet de diminuer les durées moyennes de séjour. Enfin, la mutualisation du matériel, de l’espace et – lorsque cela devient nécessaire – du personnel soignant, est l’un des leviers d’efficience de cette entité chirurgicale. Une productivité que le pool d’Ibode suppléantes et l’équipe d’urgence, de jour et de nuit, facilitent et viennent soulager, tout en diminuant les tensions éventuelles.
Véritable pivot soignant, l’Ibode prend le relais du patient, totalement dépendant lors de l’acte chirurgical. Dès l’entrée au bloc, à elle de deviner, d’observer, de protocoliser. Elle fait partie intégrante du processus thérapeutique. « Il faut sans cesse être vigilant. C’est un métier avec des risques », observe un infirmier penché sur un patient que des saignements abondants retiennent au bloc après une ostéosynthèse sternale. Autour de lui, pas un placard : tout est disposé sur des charriots à roulettes. Une Ibode, check-list HAS à l’écran de son PC, termine de compter les compresses stériles usagées et celles qui n’ont pas été utilisées. Derrière une baie vitrée par laquelle la lumière naturelle se mêle à l’éclairage des LED, un patio zen que de la végétation égaie. « Si on maîtrise, on voit plein de choses », garantit Christelle Escaravage, cadre de santé. « Lors de la fermeture du sternum d’une femme de petite taille, nous n’avions pas de fil métallique suffisamment fin. Un infirmier a suggéré de prendre du fil de chirurgie maxillo-faciale. Et le probléme a été résolu », se souvient-elle. Une telle expertise et un tel recul ne se conçoivent pas sans une réelle attention et une grande curiosité. Délestées, autant que possible, de la part affective que peut susciter cette fonction, ces qualités prennent sens par leur pleine maîtrise.
C’est notamment le cas sur le plateau technique mère-enfant où les enjeux psychologiques sont prégnants. « La complexité de notre activité repose sur la prise en charge conjointe des enfants et de leurs parents », développe Alice Trémeaux, infirmière de bloc, tout en assemblant rapidement les instruments nécessaires à une greffe osseuse mandibulaire dans l’arsenal stérile. Ainsi, pour pallier la délicate interaction parents-enfants, quelques Ibode se sont formées à l’hypnose analgésique pour décontracter les enfants. Hologrammes, jeux, CD, livres viennent compléter la palette d’outils de médiation permettant de préparer les petits patients à affronter une intervention chirurgicale. Alors, lorsqu’en se réveillant, un jeune opéré demande : « Où est le livre des fées ? », c’est que tout s’est déroulé sans anicroche et que le soin a pris toute sa dimension thérapeutique et humaine. Toute la force de l’Ibode réside dans le lien de confiance, conscient ou inconscient, qu’elle tisse avec le patient. Et tandis que dans le bloc elle veille, le navire amiral peut poursuivre sa traversée, envers et contre tout.
1- Le décret prévoit encore : l’aide opératoire active aspiration hémostase, l’aide à la réduction d’une fracture ou à la pose d’un DMI, l’injection d’un produit à visée thérapeutique ou diagnostique dans un viscère, une cavité, une artère, la mise en place et la fixation des drains sus aponévrotiques ou encore la fermeture sous-cutanée et cutanée.
→ L’infirmière de bloc opératoire diplômée d’État (Ibode) est une professionnelle spécialisée qui intervient au sein d’une équipe pluri-professionnelle dans toutes les disciplines chirurgicales, en secteur opératoire, en salle interventionnelle, en endoscopie, en services de stérilisation et d’hygiène.
→ Pour devenir Ibode, le cursus comprend les trois années en Ifsi, une expérience professionnelle d’au moins deux ans et une formation spécialisée complémentaire de 1 500 heures dans une école d’infirmières de bloc opératoire qui donne accès au statut de cadre A dans le milieu hospitalier.
→ VAE : les infirmières en poste et qui effectuent déjà ce type de tâches sans le statut d’Ibode, peuvent également l’obtenir via un système de VAE (validation d’acquis des expériences).
→ La formation ouvre sur de nouveaux métiers requis dans les grands blocs modernes : gestionnaire de risques et de la qualité, gestionnaire de flux, référent spécialité chirurgicale et nouvelles technologies ou tuteur.
Pour plus d’informations : www.unaibode.fr