L'infirmière Magazine n° 364 du 01/10/2015

 

FORMATION

CAS CLINIQUE

AFSANÉ SABOUHI  

Au cours de l’hiver 2013, des dizaines de cas de grippe se sont déclarés dans trois établissements des Deux-Sèvres. Depuis, alors que le signalement des cas a été repensé, la couverture vaccinale des soignants demeure, elle, faible.

L’HISTOIRE

→ Le 31 janvier 2013, l’équipe opérationnelle d’hygiène (EOH) du centre hospitalier de Niort est alertée par une cadre de santé de l’hôpital de Saint-Maixent-l’École. Plusieurs cas de grippe parmi les soignants commencent à désorganiser les plannings de l’unité de soins de longue durée (USLD) de 35 lits et de premiers cas de forte fièvre avec suspicion de grippe chez les patients viennent d’être constatés. L’EOH demande des prélèvements naso-pharyngés profonds pour avoir les diagnostics rapides de grippe et renforce les mesures de protection.

→ Dès le lendemain matin, 1er février, les mesures barrières décidées en réunion pluridisciplinaire la veille au soir pour stopper cette épidémie nosocomiale sont mises en place. La procédure est très claire : port du masque en continu pour tous les soignants, suspension des activités collectives, fermeture du self du personnel, prise des repas des patients en chambre et non ensemble en salle à manger, visites des familles extrêmement limitées. Les urgences de Niort sont informées que l’hôpital de Saint-Maixent-l’École suspend les nouvelles admissions.

→ 4 février : la proximité des 132 résidents de l’Ehpad toute proche inquiétant, les activités collectives y sont donc également suspendues.

→ 6 février : l’épidémie ayant ralenti, le self du personnel est rouvert et les activités collectives reprennent à l’Ehpad tandis que le port du masque en continue reste en vigueur dans l’USLD, le service de médecine et celui des soins de suite et de réadaptation (SSR). Le nombre de cas décroit rapidement.

→ 13 février : levée du port du masque en continu, annoncée au personnel par la direction qui les remercie pour leur engagement pendant cette période.

→ 21 février : alors que l’épidémie se termine à Saint-Maixent-l’École, une flambée de cas de grippe est signalée par l’Ehpad de Melle et le 25 février par celui de La Mothe-Saint-Héray. L’EOH intervient en effet sur trois sites, représentant un total de 483 lits. Les mesures barrières sont mises en place immédiatement dans les deux autres établissements.

→ Au total, en deux mois, l’hôpital de Saint-Maixent-l’École a recensé 47 cas de grippe chez les patients et 54 parmi les soignants, soit un taux d’attaque de 19 %. 19 des 52 résidents du petit Ehpad de La Mothe ont été infectés, soit un taux d’attaque de 36 %. La situation a été la plus dramatique à l’Ehpad de Melle, avec un taux d’attaque de 38 %. 43 résidents sur 112 ont contracté la grippe entre janvier et février 2013 et 6 en sont décédés.

L’ANALYSE

Après cette épidémie de grande ampleur, avec 20 à 40 % des patients touchés selon les établissements et six décès imputables à la grippe, il paraissait indispensable à l’EOH de revenir collectivement sur cet évènement pour mieux en comprendre les causes profondes et éviter qu’il ne se reproduise. D’autant que la mise en place des mesures barrières et notamment l’arrêt de toute activité collective, y compris la prise de repas en chambre, a profondément accru la charge de travail des équipes soignantes. Un surcroît difficile à gérer quand, dans certaines équipes, plus de la moitié des personnels ont été eux-mêmes malades et absents.

Utilisation de la méthode Orion

« Au printemps, j’ai été formée à la méthode Orion pour animer les comités de retour d’expérience (Crex). Cette épidémie a été l’occasion de la mettre en pratique pour la première fois. En juin 2013, nous avons ainsi mené deux Crex, l’un à Saint-Maixent-l’École et l’autre à Melle », explique Céline Vincent, référente qualité et gestion des risques pour les trois établissements. Pour les équipes qui ne sont, à l’époque, pas du tout familiarisées avec cette méthode d’analyse systémique des évènements cliniques, la priorité est de dissiper les inquiétudes. « J’ai tout de suite fait comprendre que nous ne cherchions pas à déterminer la responsabilité de chacun, surtout pas. Mais, qu’au contraire, nous voulions trouver ensemble les solutions pour qu’une épidémie aussi importante ne se reproduise pas. Une fois l’angoisse dissipée, toutes les personnes présentes au Crex (médecins, cadres, IDE, AS, direction et responsables logistique) se sont montrées partantes et très constructives », se souvient Céline Vincent.

« Depuis l’épidémie, nous avons revu en détail toute la chronologie de survenue des cas, un par un, parmi les patients, les résidents et les soignants depuis le 1er janvier 2013. Pour chacun, nous avons retracé les signes cliniques observés, le résultat du test rapide s’il a été pratiqué, le statut vaccinal et le détail de la prise en charge. Comme nous étions à plusieurs mois de l’épidémie, c’était parfois incomplet », souligne Sylvie Marteau, l’infirmière hygiéniste de l’EOH.

A posteriori, l’équipe a donc considéré :

– comme certains les cas pour lesquels elle disposait d’un résultat virologique positif et d’une notion de fièvre > 38 °C ;

– comme probables les cas pour lesquels les dossiers évoquaient une fièvre > 38 °C et au moins un autre signe de grippe sans que le diagnostic n’ait été posé, ni confirmé virologiquement ;

– comme possibles les cas pour lesquels la fièvre était > 38 °C sans autre précision.

Facteurs de vulnérabilité

L’analyse systémique de cette vague épidémique a permis de mettre en évidence plusieurs facteurs de vulnérabilité :

• le signalement trop tardif. La survenue de cinq cas de forte fièvre en deux jours (de week-end) à Saint-Maixent-l’École n’a pas déclenché de signalement, faute de centralisation de l’information. En réalité, lors de l’alerte donnée le 31 janvier, « nous étions déjà au pic épidémique, cela faisait plusieurs semaines qu’il y avait plusieurs cas par jour, mais les équipes n’avaient pas fait le lien entre les services demédecine, de SSR et de SLD », raconte Catherine Chubilleau, praticienne hygiéniste à la tête de l’équipe opérationnelle d’hygiène. Il a fallu attendre trois jours et six cas supplémentaires pour que l’EOH soit prévenue. De même, le signalement a été trop tardif à La Mothe-Saint-Héray où « l’épidémie, quand nous l’avons apprise, était quasiment terminée », se souvient Sylvie Marteau ;

• la faible couverture vaccinale des soignants. Au cours de l’hiver 2013, seul 14 % du personnel de l’hôpital de Melle (où sont survenus les décès), 18 % de celui de Saint-Maixent-l’École et 21 % des soignants du petit Ehpad de La Mothe-Saint-Héray avaient été vaccinés contre la grippe ;

• la logistique de la distribution de tous les repas en chambre n’avait pas été prévue, ni sur le plan du personnel, ni en terme de matériel ;

• une organisation en mode dégradé en cas d’épidémie parmi le personnel n’avait pas été anticipée.

Facteurs positifs

Mais cette épidémie a également révélé des points forts, sur lesquels capitaliser :

• la bonne connaissance des précautions gouttelettes par les équipes (lire p. 57). « Les précautions avaient été bien appliquées au niveau individuel. Les patients qui présentaient des signes respiratoires avaient été isolés dans leur chambre où les soignants entraient avec des masques. Au moment du signalement, nous n’avons eu qu’à enclencher le passage au niveau collectif », précise Catherine Chubilleau ;

• l’IDE de l’équipe opérationnelle d’hygiène est connue et bien intégrée au sein des équipes des différents sites, ce qui facilite l’adhésion aux mesures impopulaires comme le port du masque en continu. « Quand je suis arrivée à ce poste, j’ai mis deux ans à faire ma place, tout doucement. Je ne voulais surtout pas passer pour la police de l’hygiène des mains ou du port du masque. En pleine crise, cela s’est révélé très précieux d’avoir noué en amont une relation de confiance avec les différentes équipes », confie Sylvie Marteau ;

• le soutien de la direction à l’équipe opérationnelle d’hygiène et aux mesures préconisées pendant et après l’épidémie.

LES ACTIONS D’AMÉLIORATION

À l’issue du Crex, les trois établissements ont mis en place plusieurs mesures correctrices pour éviter les futures épidémies et/ou accélérer la vitesse de réaction des équipes. Deux ans après, l’évaluation est très différente selon les mesures.

Sensibilisation du personnel à la vaccination anti-grippale

En septembre 2013, l’équipe opérationnelle d’hygiène, accompagnée des médecins du travail de Saint-Maixent-l’École ou de Niort et d’un membre de la direction, anime une table-ronde d’information sur la grippe et la vaccination. En 2014, ce sont des séances autour du jeu Grippe.0, mis au point par le Centre de coordination de la lutte contre les infections nosocomiales, CClin-Sud-Ouest (voir encadré p. 48), qui ont été organisées dans chacun des services. « C’est un serious game. Il s’agit de situations courantes pour lesquelles le jeu propose trois réponses possibles. L’idée, c’est vraiment d’ouvrir la discussion dans le petit groupe de professionnels présents. Car cette réflexion collective aide vraiment à la réactualisation des connaissances et à l’amélioration des pratiques », développe Sylvie Marteau. Une note d’information est également glissée avec le bulletin de salaire du mois de septembre pour annoncer la campagne de vaccination dans l’établissement et rappeler les enjeux en donnant les chiffres nationaux de l’épidémie de l’hiver précédent et les graphiques schématisant l’épidémie de 2013 dans l’établissement. Le détail de la campagne est également abondamment relayé par le journal interne et l’affichage en salles de soins.

ÉVALUATION : MITIGÉE

Le jeu Grippe.0 est un bon vecteur de discussion sur les modalités de transmission de la grippe et de réalisation du test de diagnostic rapide, sur les éléments d’identification d’une épidémie ou encore sur les mesures barrières adaptées. 48 agents à Saint-Maixent-l’École et 45 à Melle ont partcipé à des séances de ce serious game pendant l’hiver 2014. En revanche, lors des tables-rondes organisées à l’automne 2013, après l’épidémie, seuls 20 agents/270 se sont déplacés à Saint-Maixent-l’École, 11/144 à Melle et 7/33 à La Mothe-Saint-Héray. « Pour être honnête, c’est une mesure correctrice qui émanait de l’EOH beaucoup plus que des soignants présents au Crex. Le fait que l’épidémie soit clairement nosocomiale n’a pas entraîné de prise de conscience particulière. Il me semble que ce sont plutôt les cadres et les convaincus de la vaccination qui viennent à la table-ronde, malheureusement », regrette Céline Vincent, la responsable qualité et gestion des risques. L’hiver suivant, les taux de couverture vaccinale avaient marqué une vraie hausse à Saint-Maixent-l’École et à La Mothe, passant respectivement de 18 à 26 % et de 21 à 40 % de soignants vaccinés entre 2013 et 2014. Aucun changement à Melle, pourtant marqué par les 6 décès de résidents : le taux de vaccination du personnel est bloqué à 14 %. « Changer les mentalités sur la vaccination prend vraiment du temps. Le petit frémissement que nous avions enregistré juste après l’épidémie dans les taux de vaccination n’a pas tenu cet hiver », souligne Sylvie Marteau, l’IDE hygiéniste. « Face aux vaccins, le soignant est un public comme les autres, voire pire car il pense avoir des connaissances qui créent une résistance au changement. Mais nous n’avons pas affaire à des anti-vaccinaux convaincus et militants, au contraire, ils vont même convaincre les résidents de se faire vacciner », décrit, de son coté, Catherine Chubilleau, à la tête de l’EOH. « Une épidémie de grippe nosocomiale chaque hiver, c’est inacceptable pour une équipe d’hygiène comme nous. Mais le discours ambiant, au sein des équipes en Ehpad est “c’est normal, ça arrive tous les ans, on en a toujours vu et il faut bien mourir de quelque chose”. Du coup, il n’y a pas d’inquiétude ni de culpabilité vis-à-vis des résidents fragiles. Le seul argument qui a un petit écho c’est vous risquez de contaminer vos proches et vos enfants », poursuit Sylvie Marteau. « Pour le moment, notre sensibilisation à la vaccination est un échec. Parce que contrairement aux mesures barrières, l’effet n’est pas visible tout de suite », enchaîne Catherine Chubilleau.

L’équipe est en effet en train de réaliser une petite étude à l’échelle de l’hôpital de Niort où a eu lieu une grosse épidémie l’hiver dernier. Les soignants vaccinés tous les ans depuis plusieurs années ont été mieux protégés que ceux qui ne se sont vaccinés que cette année. Démonstration faite que chaque vaccin permet d’élargir sa protection individuelle contre de nouveaux variants du virus de la grippe. « Mais c’est très dur de convaincre quelqu’un en lui disant “tu divises par deux ton risque d’être malade et même si tu es malade, tu ne feras pas une forme grave”. Ce sont des arguments qui ne portent pas », reconnaît la spécialiste.

Organisation du signalement

« C’est l’un des médecins présents au Crex qui a proposé de mettre en place un outil de recensement des cas pour permettre un signalement plus rapide. Nous avions prévu d’en parler, mais finalement, le fait que cela ne vienne pas de nous mais des équipes elles-mêmes a été très constructif », note Catherine Chubilleau. Dès la fin de l’année 2013, un cahier de surveillance des cas d’infections respiratoires aiguës (IRA) et des gastro-entérites aiguës (GEA) est présenté par l’IDE hygiéniste aux cadres des différents services et déposé dans chaque salle de soins pour que les soignants puissent avoir quotidiennement un aperçu visuel et global du nombre de cas. « Il y a tellement de patients, qu’avec un résident fiévreux dans une aile et un autre à un autre étage, les soignants ne font pas le lien. Il faut vraiment avoir tous les cas sous les yeux dans le tableau de l’outil de recensement pour prendre conscience qu’il se passe quelque chose d’anormal », constate Sylvie Marteau. Chaque page du cahier, correspondant à un mois de surveillance, rappelle le seuil de signalement à l’EOH et à l’ARS (à partir de cinq cas en quatre jours ou moins, les cas concernant des soignants étant à recenser par ailleurs) et la définition d’un cas incident d’IRA (en l’absence de cause non-infectieuse connue, au moins un signe fonctionnel parmi mal de gorge, rhume, toux, dyspnée, douleur thoracique ou sifflement et au moins un signe général parmi fièvre, sueurs, céphalées et arthralgies). Depuis, l’outil a même été amélioré pour permettre l’émargement même en l’absence de cas.

ÉVALUATION : TRÈS POSITIVE

« Cet outil de signalement est vraiment la grande avancée que nous avons retirée de cette épidémie et de son analyse en Crex. L’EOH a accompagné son implantation sur le terrain et les équipes ont très vite mesuré son intérêt au quotidien. Je n’ai que des retours positifs », souligne la responsable qualité et gestion des risques. « Il permet vraiment de gagner en réactivité sur le signalement. L’année dernière, dès le 3e ou 4e cas, les équipes me passaient un coup de fil pour m’alerter. Cet hiver, c’était encore mieux, se réjouit Sylvie Marteau, l’infirmière hygiéniste. Dès le 2e cas incident le même jour, la cadre m’a appelée pour me prévenir. Mais le port du masque et le renforcement de l’hygiène des mains autour de ces résidents avaient déjà été mis en place. Finalement, le message est vraiment passé, je n’ai plus qu’à valider. »

Organisation en cas d’épidémie

« Outre le manque de personnel lui-même touché par la grippe, c’est l’isolement des résidents en chambre et l’arrêt de toute activité collective, y compris les repas, qui ont désorganisé les établissements en 2013. Il était donc indispensable que les responsables de la logistique et des cuisines soient présents au Crex. Ce sont des personnels éloignés du soin, que l’on sollicite rarement. Ils se sont montrés particulièrement constructifs pour trouver des solutions pratiques », souligne Catherine Chubilleau.

Il a en effet fallu repenser le circuit de distribution des repas et des médicaments lorsque les patients sont obligés de rester en chambre. « Le Crex a défini qu’il fallait du personnel supplémentaire pour la mise en plateau individuelle de tous les repas et pour leur distribution. Il fallait également que l’infirmière ait vérifié tous les traitements avant le début de la distribution des repas et non plus au fur et à mesure en salle à manger. Recruter du personnel supplémentaire en période d’épidémie grippale étant souvent compliqué, il est aussi prévu de pouvoir réorienter les officières sur ces tâches », précise Céline Vincent. Les trois établissements se sont également dotés d’autres échelles pour pouvoir mettre davantage de plateaux sur les chariots lorsque tous les repas sont à servir en chambre.

ÉVALUATION : POSITIVE A PRIORI

Cette nouvelle organisation devrait permettre d’enrayer la propagation des virus. Mais depuis sa mise en place, aucune épidémie de grande ampleur n’a touché ces établissements, permettant ainsi de le confirmer

Évolution de l’épidémie

À l’hôpital de Saint-Maixent-l’École (graphique ci-dessous), les premiers cas de grippe ont été signalés chez les soignants qui ont été 54 au total à avoir contracté le virus. Cette épidémie nosocomiale a également touché 47 patients. La situation a été la plus dramatique à l’Ehpad de Melle (voir ci-contre) ou 43 résidents sur 112 ont été atteints de la grippe et 6 en sont décédés.

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