Selon une enquête menée par la commission des usagers de la Fédération hospitalière de France (FHF), un tiers des établissements sanitaires et médico-sociaux rencontrent des situations problématiques avec les usagers. La méconnaissance est souvent au cœur du problème.
Il y a des cas qui posent question, mais pas de phénomène inflationniste. Quand des problèmes surviennent, les choses se règlent le plus souvent par le dialogue et la pédagogie.
Du côté des patients, c’est un mari qui refuse que sa femme soit auscultée par un professionnel de santé masculin, ou encore des demandes liées à l’alimentation. Du côté des professionnels, cela peut être le port de signes distinctifs (voile, croix, etc.) ou la volonté d’exercer sa prière dans des lieux inadaptés.
Les textes disent que vous avez le choix du praticien à condition que ce soit votre demande et non celle de votre entourage. C’est effectivement un droit fondamental du patient que de pouvoir dire « je suis gêné que quelqu’un du sexe opposé m’ausculte ». C’est une question de pudeur, de respect de l’intimité et s’il est possible d’accéder à la demande, il n’y a aucune raison de ne pas le faire. Dans le cas contraire, il faut l’expliquer à la personne, prendre le temps du dialogue. Mais il y a un manque de formation sur ces questions. La confusion règne dans les esprits des usagers et des professionnels sur le cadre de la laïcité dans un établissement de santé public.
Les professionnels ne font pas toujours la distinction entre les droits des usagers et leurs propres obligations. Par méconnaissance des fondements mêmes de la laïcité, certains pensent que le principe de neutralité qui leur est applicable l’est aussi aux usagers. Or, pratiquer sa religion à l’hôpital, de manière encadrée, est un droit du patient. Quand on est âgé, qu’on souffre, qu’on a peur de mourir, la religion peut être un réconfort pour les croyants. Cette incompréhension crée des tensions, puisque des demandes légitimes exprimées par les usagers sont considérées comme non appropriées par les professionnels. C’est pourquoi la formation est essentielle.
Il existe peu d’études sur la question, mais celle de Georgia Malamut, de l’Hôpital européen Georges-Pompidou (AP-HP), montre que les professionnels en formation comme ceux qui exercent déjà méconnaissent les principes de laïcité
Cela ne suffit pas. La question à se poser c’est aussi « comment ce module est-il placé ? est-il intégré dans l’évaluation ». J’interviens en Ifsi sur les droits des patients. Il s’agit souvent du dernier module, une semaine avant la remise de rapport en 3e année…
Nous nous efforçons de répondre aux besoins spirituels que certains patients ou leurs proches expriment. Nous n’intervenons que sur demande, conformément à la charte nationale des aumôneries du service public du 5 septembre 2011. Les visites au chevet du patient et les entretiens occupent les trois quarts de notre temps. Nous fournissons aussi un gros travail relationnel pour tisser du lien avec les soignants de façon à être identifié.
Oui. Il y a une méconnaissance de la laïcité. Ce qui me gêne, par exemple, ce sont les femmes qui portent un voile très visible. Alors qu’il est autorisé en faculté de médecine, on ne leur dit pas qu’elles ne pourront plus arborer ce signe religieux qui contrevient au principe de neutralité s’imposant aux agents publics quand elles sont envoyées en stage dans les hôpitaux. Certains patients ont peur quand ils se trouvent face à un soignant au visage à moitié caché ! Sans parler de l’hygiène, quand les manches descendent bien bas. On devrait informer ces femmes dès le début de leur formation que si elles veulent exercer voilées, elles doivent aller dans un établissement privé. Souvent, le chef de service négocie : « C’est la charlotte ou vous partez. » Mais le port ostentatoire de signes religieux ne se résume pas au voile. Il peut s’agir d’une croix, des Évangiles ou de prosélytisme. Si on ferme les yeux là-dessus, on est hors-la-loi.
C’est inutile, on a tout pour que ça marche. Encore faut-il appliquer la loi. Il faut informer les gens : vous êtes dans un hôpital public, vous faites partie de la fonction publique, vous avez des droits, mais aussi des devoirs. Certains tombent des nues quand on le leur dit. Pourtant la charte de la laïcité est affichée partout. Mais les gens ne savent pas ce que c’est. Je le constate à l’Ifsi, où je donne des cours sur les soins spirituels et la laïcité : pour les jeunes générations, la laïcité est un fourre-tout. Certains soignants interpellent l’aumônier quand ils le croisent : « Il y a séparation de L’Église et de l’État, vous n’avez rien à faire ici ! » Cela témoigne d’une profonde méconnaissance de la loi de 1905.
Dès 2016, les nouveaux aumôniers auront l’obligation de s’inscrire à un DU sur les relations entre le droit, les religions et les sociétés
1- « Place des principes de laïcité de l’hôpital public dans les études de médecine : le paradoxe français ». Selon l’une des conclusions de cette étude, une majorité d’étudiants (70 %) et de médecins hospitaliers (64 %) souhaitaient ou auraient souhaité recevoir un enseignement spécifique sur la laïcité.
2- Un tel DU va s’ouvrir à l’université Paris Sud. Son programme est déjà bien avancé.
3- Selon l’enquête de la FHF, seuls 22 % des établissements sont dotés d’un référent laïcité, pourtant obligatoire.
COPRÉSIDENT DE LA COMMISSION DES USAGERS DE LA FHF
→ 1986 : coordonnateur protection sociale et santé de l’Union nationale des associations familiales (Unaf)
→ 1996 : cofonde le Collectif inter-associatif sur la santé (Ciss), dont il est président d’honneur
→ 2011 : copréside la commisison des usagers de la FHF, tout juste créée
ANCIENNE PASTEUR-AUMÔNIER HOSPITALIER
→ 1983 : responsable de presse religieuse et enseignante en théologie
→ 2001-2013 : pasteur-aumônier à l’hôpital Avicenne (AP-HP), dont elle coordonne le comité interreligieux (cinq confessions)
→ 2014 : référente régionale bénévole de l’aumônerie protestante en Île-de-France
→ Législation. Aux termes de la loi de 1905 dite de séparation des Églises et de l’État, « seront supprimées des budgets de l’État toutes dépenses relatives aux cultes ». À l’exception des dépenses « des services d’aumônerie et destinées à assurer le libre exercice des cultes dans les établissements publics, tels les prisons et les hôpitaux ».
→ Droits des patients. La charte du patient hospitalisé du 6 mai 1995 affirme qu’ « un patient doit pouvoir, dans la mesure du possible, suivre les préceptes de sa religion (recueillement, présence d’un ministre du culte, nourriture). Ce droit s’exerce dans le respect de la liberté des autres. ».
→ Fonctionnaires. Un projet de loi relatif à la déontologie et aux droits et obligations des fonctionnaires doit être examiné par les députés en octobre.
→ Rapport. Après avoir interrogé 172 établissements publics de santé sur leur gestion des incidents liés au respect de la laïcité, la FHF a formulé une série de recommandations (http://bit.ly/1KbLVaK).