L'infirmière Magazine n° 364 du 01/10/2015

 

PRISE EN CHARGE

DOSSIER

VÉRONIQUE HUNSINGER  

Le souffle politique est un peu retombé mais, sur le terrain, la prise en charge de la douleur fait, plus que jamais, partie des domaines qui esquissent les mutations des pratiques hospitalières et de l’exercice infirmier de demain.

Depuis trois ans, la douleur a complètement disparu du radar des préoccupations du ministère de la Santé. Pourtant, il y a vingt ans, en parallèle des initiatives de soignants pionniers, une forte impulsion politique via les trois « plans douleur » successifs avait accompagné le changement du regard médical sur la douleur. Mais le 4e plan prévu pour 2013-2017 n’a jamais vu le jour. « Sans qu’on ne sache pourquoi, les travaux se sont arrêtés au ministère », confirme Sylvain Fernandez-Curiel, chargé de mission au Collectif interassociatif sur la santé (Ciss).

Les infirmière, elles, n’ont pas été les dernières à s’emparer du sujet. Ainsi, dès 2005, la Société française d’étude et de traitement de la douleur (SFETD) crée une commission professionnelle infirmière afin de promouvoir l’expertise infirmière dans ce domaine. « Son but : produire des travaux sur les soins, les démarches qualité, l’éducation thérapeutique, l’ évaluation des pratiques et la formation », explique Christine Berlemont, infirmière ressource douleur (IRD) au CH de Meaux et responsable de cette commission. Aujourd’hui, quatre groupes de travail sont à l’œuvre sur la consultation infirmière, l’enseignement clinique infirmier, l’éducation thérapeutique et les recommandations professionnelles. « La consultation infirmière et les pratiques avancées sont d’actualité avec le projet de loi santé, souligne Christine Berlemont. Nous travaillons actuellement sur un référentiel de compétence et sur la définition du contenu d’une consultation infirmière. On sait qu’un virage se prépare pour les infirmières, alors autant prendre de l’avance et réfléchir à ces pratiques dès maintenant. » Chose peu commune dans une société savante, la commission infirmière est complètement partie prenante de son congrès annuel comme du conseil d’administration ; elle peut aussi faire partie des interlocuteurs du ministère au nom de la société et organise ses propres universités douleur infirmières. « C’est un état d’esprit propre à la SFETD et qui est aujourd’hui bien installé, poursuit l’IRD. On retrouve un peu la même approche dans les soins palliatifs, un autre domaine où l’interdisciplinarité est quelque chose d’assez naturel. »

L’épineuse question du financement

Un dynamisme qui contraste avec le désintérêt des pouvoirs publics. Les comités de lutte contre la douleur (Clud) ne sont plus obligatoires depuis la loi Bachelot même si, dans les faits, ils n’ont pas disparu (lire page suivante). En revanche, ce qui a permis à la douleur de rester sur le devant de la scène, c’est qu’elle fasse partie des pratiques exigibles prioritaires dans la certification des établissements par la Haute autorité de santé (HAS). Mais le problème du financement de cette prise en charge demeure. Les centres et consultations douleurs bénéficient de financements par les agences régionales de santé. Tout repose de fait sur les consultations médicales : de leur nombre découlent les dotations, les autres actes n’étant pas valorisés. Dans ce contexte, la collégiale des infirmières ressources douleur de l’AP-HP a travaillé sur un répertoire des actes spécifiques réalisés par ces infirmières afin de voir pour chaque acte si une codification existante pouvait être utilisée ou sinon d’en proposer une, le cas échéant. Ce référentiel d’une quarantaine de pages a été présenté à la direction de soins et a été, semble-t-il, plutôt bien accueilli puisque cette dernière l’a fait remonter aux pouvoirs publics. Mais, pour l’heure, ce travail n’a jamais été exploité. Les infirmières spécialisées ne bénéficient pas d’une rémunération complémentaire pour cette compétence. Une fiche métier « infirmière spécialiste clinique douleur » a bien été écrite par la HAS en 2009. À l’AP-HP, cette dénomination est d’ailleurs mentionnée sur les fiches de paie mais sans conséquence financière.

Thérapeutiques en vogue

Par ailleurs, si la prise en charge de la douleur a beaucoup évolué depuis le début des années 2000, c’est aussi grâce à la multiplication des thérapeutiques à disposition des soignants, en particulier les méthodes non médicamenteuses et pour lesquelles les infirmières sont en première ligne. « L’hypnose commence vraiment à prendre une place respectable, souligne Pascale Thibault, cadre de santé, fondatrice et responsable pédagogique d’Amaé-santé. Cette technique peut être utilisée dans des douleurs aiguës, notamment celles liées aux soins, mais également dans les douleurs chroniques. Comme l’hypnose, la relaxation et la sophrologie sont de plus en plus utilisées dans les structures douleur. » La neurostimulation transcutanée intéresse, elle aussi, les infirmières douleur, mais « cette technique reste encore sous utilisée alors que sans doute de nombreux patients pourraient être soulagés grâce à elle », estime Pascale Thibault. Sur la même période, la généralisation de l’utilisation du Meopa et la banalisation de l’usage de la morphine grâce notamment aux formes galéniques plus adaptées ont été déterminantes pour le travail des soignants.

Mais le chemin n’est pas terminé. « Il faut être très pugnace dans la prise en charge de la douleur, estime Brigitte Hérisson, infirmière clinicienne ressource douleur à l’hôpital gériatrique Émile Roux (94). En particulier en gériatrie où les soignants, comme parfois les patients eux-mêmes, peuvent avoir tendance à minimiser l’importance de la douleur. » La prise en charge de la douleur est aussi souvent une affaire de couple. « Le duo médecin/infirmier et sa bonne entente est très important, souligne Laurent Mathieu, infirmier douleur au CH de Verdun. On remarque aussi très souvent que de la spécialité d’origine du médecin découle souvent des habitudes de prises en charge du binôme. » Malheureusement, un bon nombre de médecins investis dans ce domaine sont aujourd’hui proche de la retraite, ce qui inquiète beaucoup les infirmiers douleurs.

Formation pour tous

En termes de formations enfin, l’offre est aujourd’hui plutôt riche, qu’il s’agisse des DU qui existent depuis une quinzaine d’années ou de formations courtes, en attendant, la création, un jour, d’un nouveau master 2 de pratiques avancées en douleur. « Il y a beaucoup de formations dans la domaine de la douleur, confirme Christine Berlemont. Ce ne sont pas forcément des formations longues et elles peuvent être réalisées très facilement dans les établissements. Les soignants en sont très demandeurs. » S’agissant de la formation initiale, la SFETD estime que l’enseignement sur la douleur pourrait encore être amélioré, en particulier sur un sujet important comme les douleurs induites par les soins. « Le fait qu’il n’y ait plus de plans douleur est évidemment un peu inquiétant, remarque Muriel Perriot, infirmière ressource douleur au CH Châteauroux. C’est pourquoi il est important de dire que nous existons pour que le souffle ne retombe pas. La prise en charge de la douleur dépend aussi beaucoup de la politique de chaque établissement. J’ai de la chance de travailler dans un centre hospitalier qui essaye de se donner les moyens et de dégager du temps y compris pour les infirmiers référents douleur dans les services ». Dans les faits, chaque établissement organise sa propre culture de la douleur. Le prochain défi sera de poursuivre cette même dynamique en médecine de ville et de permettre la possibilité des véritables parcours de soins de la douleur. C’est ce qui aurait dû être au cœur du 4e plan douleur resté dans les limbes…

INSTANCES

À quoi servent les Clud ?

Afin d’impulser une culture de la douleur dans les établissements de santé, les comités de lutte contre la douleur (Clud) ont été créé en 1995. Ces instances, qui siègent dans chaque établissement, sont obligatoirement pluriprofessionnelles ; sa présidence et sa vice-présidente reviennent fréquemment à un médecin et une infirmière. Parmi leurs missions, il leur revient de déterminer des programmes d’action, de rédiger des protocoles, de diffuser les recommandations de bonnes pratiques ou de mettre en place des évaluations et des enquêtes de satisfaction notamment auprès des patients. « Les Clud ne sont plus obligatoires depuis la loi HPST de 2009. Mais dans les faits, ils perdurent, souligne Sylvain Fernandez-Curiel, chargé de mission au Comité interassociatif sur la santé. Les professionnels de santé y semblent assez impliqués et les représentants des usagers nous disent que les Clud permettent plutôt de faire bouger les choses. »

Brigitte Herisson, infirmière clinicienne ressource douleur à l’hôpital gériatrique Émile Roux (94) est vice-présidente du Clud de son établissement depuis 2008. « C’est un travail qui permet de dynamiser les prises en charge de la douleur au niveau des soignants, témoigne-t-elle. Nous sommes notamment très fiers dans notre établissement d’avoir réussi à faire progresser les traçabilités des évaluations de la douleur en passant de 20 % en 2010 à 95 % en 2014. » C’est aussi grâce au Clud qu’a pu être mis en place le « Pass’doul », un programme de formations courtes, sur des thématiques comme la physiopathologie de la douleur, la traçabilité ou l’utilisation du Meopa. Destinées aux médecins, cadres, IDE et aide-soignantes de tous les services, elles ont lieu tous les mardis à la même heure. « Nous organisons aussi des journées douleur ouvertes aux patients et aux familles », ajoute Brigitte Hérisson.