L'infirmière Magazine n° 364 du 01/10/2015

 

THÉRAPIES COMPORTEMENTALES ET COGNITIVES

SUR LE TERRAIN

TRANSMISSIONS

SANDRA MIGNOT  

À l’hôpital Sainte-Anne, à Paris, une consultation en thérapies comportementales et cognitives est proposée aux patients présentant une pathologie psychiatrique associée à un trouble anxieux. Un outil mis en place par une infirmière du service.

J’ai rencontré M. M. sur les conseils du psychiatre qu’il consulte dans le service hospitalo-universitaire (SHU) de Sainte-Anne depuis 1999 », explique Marie-Astrid Meyer, infirmière titulaire d’un DU en thérapies comportementales et cognitives (TCC) depuis 2011. Régulièrement sollicitée pour des accompagnements individuels, de simples initiations ou la formulation d’avis sur des patients du service, l’IDE a reçu une soixantaine de patients en quatre ans(1). Tous lui sont adressés par le psychiatre ou le psychologue. « Notre service est très axé sur les thérapies par la parole, précise l’IDE. Les TCC y sont utilisées de longue date par les médecins et psychologues. D’autres IDE participent aussi aux séances de thérapies de groupe en binôme avec un psychologue. »

Le premier contact avec M. M. est positif. Le patient s’exprime facilement sur ses antécédents, l’historique de sa maladie et les différents traitements suivis. Il adhère à la thérapie comportementale et cognitive que lui propose Marie-Astrid Meyer. « Il est indispensable que le patient soit motivé, observe-t-elle. C’est lui qui va devoir faire le travail, réfléchir sur ses comportements, lister ses obsessions, hiérarchiser ses objectifs et faire – au quotidien – les exercices que nous élaborerons ensemble. »

En effet, les TCC utilisent la méthode expérimentale en psychologie pour expliquer la genèse et le maintien de comportements anormaux répétitifs. Elles ont pour but de s’attaquer aux problèmes actuels d’une personne via des exercices simples centrés sur les symptômes observables du « comportement-problème » de l’individu : exposition aux situations obsédantes avec prévention de la réponse ou travail sur les pensées automatiques et remplacement par des pensées plus rationnelles. Dans le cas de TOC, les TCC constituent le traitement le plus efficace avec 85 % de taux de succès.

Analyse fonctionnelle

L’infirmière commence donc par évaluer sa problématique actuelle en termes cognitifs et comportementaux : « Généralement, les quatre premières séances sont consacrées à l’analyse fonctionnelle qui permet de cerner la personne, d’identifier les facteurs déclenchants, les émotions ressenties, les pensées engendrées et les comportements qui en découlent, puis de hiérarchiser les enjeux et de voir ce que le patient accepterait de changer en premier. » Hors séance, le patient travaille également au repérage de ces éléments et à la réalisation de tâches via un petit carnet personnel. « M. M. a ainsi noté sa crainte que son genou qui craque se détériore, celle que les faux-plafonds et les cloisons de sa maison puissent contenir des fibres toxiques pour son organisme, se souvient Marie-Astrid. Viennent ensuite l’inquiétude liée à une consommation ancienne de Mediator durant un mois ou celle attachée au contact d’objets vétustes considérés comme potentiellement contaminants. » Une autre appréhension importante est liée à sa perception du risque de transmission du VIH qui l’empêche d’avoir des rapports sexuels…

Les différents « comportements-problèmes » sont alors listés : ruminations, recherche permanente d’informations médicales sur Internet, lectures obsessionnelles, évitement des objets anciens ou de seconde main, check-up médicaux multiples…

L’infirmière utilise ensuite un certain nombre d’échelles permettant d’apprécier l’anxiété, le niveau de dépression, la présence des obsessions et leur répercussion sur la vie quotidienne. « Leur réalisation régulière au cours de la thérapie permettra également d’évaluer l’amélioration de la situation du patient », observe l’IDE. Tous les outils utilisés sont présentés au patient et lui sont expliqués, afin qu’il comprenne les principes de la TCC, qu’il puisse isoler lui-même ses symptômes et qu’il apprenne à repérer ses pensées automatiques, ses erreurs de logique et comment les substituer par des pensées plus positives.

À l’issue de la quatrième séance, un contrat thérapeutique oral est établi fixant le rythme (hebdomadaire), la durée (une heure), ainsi que l’objectif de la thérapie : « Que le patient apprenne à gérer ses obsessions et n’accorde plus d’importance à ses pensées automatiques, de sorte que, progressivement, il remette en question ses pensées dysfonctionnelles et les substitue par d’autres plus réalistes. »

12 séances minimum

Chaque séance débute par un résumé de la séance précédente, un bilan de la semaine avec les exercices effectués et se termine par les différentes tâches à maintenir et les nouveaux exercices à réaliser. « Tout se fait en accord avec le patient qui valide chaque exercice afin de vérifier qu’il est en capacité de l’effectuer. » Pour M. M., il s’agira par exemple de lister ses principales obsessions par ordre décroissant et d’en coter le degré d’angoisse sur 100, d’arrêter de rechercher des informations d’ordre médical sur Internet, de ne pas se laver les mains immédiatement après avoir touché un livre en bibliothèque, etc.

L’espacement des séances lui permettra de mettre en pratique ce qu’il a vu lors de la séance précédente. Il faut un minimum de 12 séances pour qu’une thérapie soit efficace. « Mais il n’y a pas de limite à la prise en charge, explique Marie-Astrid Meyer. Tant que le patient est suivi à Sainte-Anne, qu’il ressent des bénéfices et que son état évolue positivement dans le temps, je peux continuer à travailler avec lui. » L’IDE a ainsi accompagné M. M pendant environ une année. « Il allait beaucoup mieux, conclut-elle. Il avait demandé à ce que l’on travaille sur son obsession du VIH. Mais à la fin, il voulait que je l’aide à rencontrer une femme. Je lui ai recommandé des sites qui permettent aux gens de faire des sorties culturelles ou sportives ensemble. Mais je ne pouvais aller plus loin. Puis il a changé de secteur et a poursuivi une autre TCC ailleurs. »

1- Les patients suivis par le SHU doivent appartenir au secteur de Sainte-Anne, ou présenter une pathologie psychiatrique dite résistante, ou encore être à risque d’entrée dans la psychose.

Cas de départ

M. M., 46 ans, présente des troubles obsessionnels compulsifs (TOC) avec obsessions de contamination et de type hypocondriaque associées à des compulsions : ruminations anxieuses et check-up médicaux à répétition. Le premier diagnostic a été réalisé à 26 ans, mais les symptômes sont là depuis l’adolescence. Il n’a pu travailler que quatre ans et vit toujours chez ses parents. Ces symptômes sont très invalidants. Le patient a déjà expérimenté plusieurs hospitalisations (volontaires) et diverses thérapies. Il bénéficie d’un traitement médicamenteux anti-dépresseur.

Au Salon infirmier

Conférence vendredi 16 octobre 9 h 30

HISTORIQUE DU PROJET

→ En 2006, Marie-Astrid Meyer intègre le service hospitalo-universitaire de l’hôpital Sainte-Anne et y découvre la pratique des thérapies comportementales et cognitives.

→ Fin 2007, elle s’initie aux TCC en accompagnant un interne dans ses consultations et via la littérature scientifique.

→ En 2009, l’IDE débute un DU à l’université Paris Descartes.

→ En 2011, diplômée, Marie-Astrid Meyer crée sa propre consultation infirmière TCC.

PRATIQUES AVANCÉES

Les TCC, un outil au quotidien

Peu d’IDE accèdent à la formation par DU qu’a suivie Marie-Astrid Meyer à l’université Paris Descartes. L’infirmière observe qu’en dehors de son établissement, une polémique existe sur la possibilité pour la profession d’utiliser cet outil de soin. « Nous avons pourtant notre place, car nous ne réalisons pas le même travail que les psychiatres et psychologues, et nous n’avons pas le même regard, observe-t-elle. Nous sommes au contact des patients tous les jours, le lien de confiance est déjà présent dans le service. Nous pouvons les accompagner dans leurs exercices d’exposition. Il m’est arrivé, par exemple, d’aller avec un patient terrifié par le métro jusqu’à l’entrée de la station ou de sortir dans la rue avec un autre qui était angoissé par les crottes de chien. » Enfin, elle note que les principes de la TCC peuvent être utilisés au quotidien dans les services. « Face à un patient qui traîne une journée au lit, vous pouvez par exemple le valoriser en lui expliquant que ce comportement est lié à sa maladie et que chacun de ses efforts pour aller se laver, faire quelques pas dans le couloir, manger au réfectoire peuvent le conduire vers une amélioration. »

Partagez vos pratiques

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