L'infirmière Magazine n° 364 du 01/10/2015

 

FORMATION

LA PATHOLOGIE

ANTOINE WALRAET  

Chaque année en France, les épidémies de grippe saisonnière touchent plusieurs millions de personnes. Généralement bénigne, la grippe peut entraîner des complications pulmonaires graves ainsi que des milliers de décès annuels.

1. ORIGINE VIRALE

La grippe est une maladie infectieuse respiratoire aigüe, contagieuse, d’origine virale. Ce virus s’attaque en priorité aux voies respiratoires supérieures (nez, gorge) et plus secondairement au système broncho-pulmonaire.

→ Les virus de la grippe appartiennent à la famille des Influenzae et sont classifiés en trois groupes : A, B et C. Ce sont les virus A et B qui sont à l’origine des épidémies saisonnières chez l’homme. Si le type A (qui regroupe par exemple H1N1 ou H3N2) est le plus dangereux, le type B est le plus fréquent.

→ Les virus grippaux évoluent en permanence. Cette évolution génétique est responsable des variations saisonnières de la grippe : les souches de virus en circulation ne sont pas les mêmes d’une année à l’autre. D’où l’importance de renouveler le vaccin annuellement. En effet, la sévérité de l’épidémie de grippe saisonnière varie chaque année en fonction de l’immunité de la population et de la virulence de la souche en circulation.

2. ÉPIDÉMIOLOGIE

La grippe circule dans le monde entier et peut toucher n’importe qui dans n’importe quel groupe d’âge. D’après l’Organisation mondiale de la santé (OMS), le taux d’atteinte annuel de la grippe est estimé à 10 % chez l’adulte et entre 20 % et 30 % chez l’enfant.

→ La maladie peut provoquer des hospitalisations et des décès, principalement parmi les groupes à haut risque : personnes âgées, patients très jeunes ou fragilisés par une pathologie chronique sous-jacente. Au niveau mondial, ces épidémies annuelles de grippe sont responsables d’environ trois à cinq millions de cas de maladies graves, et de 250 000 à 500 000 décès. En France métropolitaine, lors d’une épidémie de grippe, on estime qu’entre 788 000 et 4,6 millions de personnes (2,4 millions en moyenne) consultent pour syndrome grippal, d’après des données historiques des épidémies grippales depuis 1984.

→ L’épidémie démarre le plus fréquemment fin décembre - début janvier et dure en moyenne neuf à dix semaines. D’après l’Institut de veille sanitaire (InVS), l’épidémie de grippe de la saison 2014-2015 a été forte, dominée par le virus A (H3N2), avec une estimation de près de 2,9 millions de consultations pour syndromes grippaux. Au cours des neuf semaines de l’épidémie 2014-2015, l’InVS a relevé une surmortalité de 18 300 décès. À 90 %, ces chiffres concernent les sujets âgés de plus de 65 ans, « confirmant que la grippe reste une maladie grave pour les personnes à risque, notamment les seniors », note l’InVS.

3. MODE DE TRANSMISSION

→ La transmission du virus d’un individu à l’autre se fait principalement par voie aérienne, via des sécrétions respiratoires : lorsqu’un individu est contaminé, il projette des gouttelettes de salive dans l’air, en parlant, en toussant ou en éternuant. Par ce biais, des millions de virus sont libérés dans l’air. D’autres personnes vont les inhaler et seront contaminées à leur tour. Les lieux confinés et très fréquentés, à l’image du métro, des bus ou des collectivités, sont propices à la transmission de ces virus.

→ Cette transmission peut également avoir lieu par le biais des mains ou via des objets contaminés par des gouttelettes de salive. Le froid et l’humidité favorisent la résistance du virus grippal, notamment sur des surfaces solides, rendant possible cette transmission par voie manuportée. Ainsi, en France métropolitaine, les épidémies de grippe saisonnière surviennent au cours de l’automne et de l’hiver, lorsque le temps est froid et humide. À l’inverse, les épidémies de grippe saisonnière dans l’hémisphère Sud surviennent principalement entre avril et octobre.

→ Après son introduction dans l’organisme, le virus a une période d’incubation variant de 24 à 72 heures. Passée cette période, la symptomatologie grippale survient brutalement. Les sujets atteints deviennent contagieux un à deux jours avant l’apparition des premiers symptômes et le restent pendant 5 à 7 jours.

→ Si la vaccination reste la mesure préventive de référence contre la grippe, certaines mesures d’hygiène simples peuvent contribuer à limiter la transmission du virus de personne à personne (lire aussi « Bonnes pratiques », p. 54) : se laver les mains lorsqu’elles ont pu être contaminées ( à l’eau et au savon, ou avec du gel hydroalcoolique – SHA – en l’absence de point d’eau), nettoyer les objets ou surfaces souillées lorsque des mucosités ont été projetées, garder une certaine distance ou porter un masque antiprojections quand on a soi-même ces symptômes.

4. MANIFESTATIONS CLINIQUES

→ La grippe se caractérise par l’apparition brutale :

– d’une forte fièvre (39-40 °C) ;

– de toux (généralement sèche) ;

– de maux de gorge ;

– d’écoulement nasal ;

– de céphalées ;

– de douleurs musculaires et articulaires, courbatures ;

– d’une asthénie.

Généralement, les symptômes disparaissent en une à deux semaines, mais l’asthénie et la toux peuvent persister plusieurs semaines.

→ Cependant, des complications peuvent apparaître, respiratoires, extra-respiratoires, secondaires à une surinfection bactérienne, ou dues à la décompensation d’une maladie chronique sous-jacente.

Les complications de type respiratoires peuvent prendre la forme d’une pneumopathie ou d’une atteinte des voies aériennes supérieures (otite, sinusite, laryngite). Le virus grippal peut également être responsable d’une décompensation sévère chez un patient porteur d’une broncho-pneumopathie chronique obstructive (BPCO) ou asthmatique. Chez ces patients, la décompensation peut-être à l’origine d’une hospitalisation en réanimation pulmonaire.

→ Les complications de type extra-respiratoires peuvent être cardiaques (sous la forme de péricardite ou de myocardite, de décompensation d’une insuffisance cardiaque), neurologiques (par exemple des méningites lymphocytaires et des manifestations d’encéphalite virale accompagnées de convulsions et de troubles de la conscience).

→ C’est le terrain du patient qui est en grande partie responsable de la sévérité du tableau clinique de la décompensation. Ainsi, les patients considérés « à risque de complications de la grippe » sont :

– les patients âgés de moins de 1 an et de plus de 65 ans ;

– les femmes enceintes ;

– les patients ayant une maladie cardiaque chronique (insuffisance cardiaque, cardiopathie ischémique…) ;

– les patients souffrant d’une maladie respiratoire chronique (asthme, BPCO, mucoviscidose…) ;

– les patients ayant une autre maladie chronique (diabète, insuffisance rénale, etc.) ;

– les patients immunodéprimés (infectés par le VIH, sous traitement immunosuppresseur…).

5. DIAGNOSTIC

Le diagnostic est souvent clinique en période épidémique. Cependant, en cas de difficulté diagnostique, un test de dépistage rapide (TDR) peut être réalisé au lit du patient par le médecin après écouvillonnage nasal (voir « mode d’emploi » p. 53). Ces tests sont notamment utilisés par les médecins des réseaux de surveillance. Une culture est utile au début de l’épidémie pour identifier le type en cause et réaliser des tests de résistance virologiques. Les autres explorations (biologie, imagerie médicale) sont guidées par la clinique et les comorbidités.

6. TRAITEMENT

La grippe saisonnière nécessite avant tout du repos et une hydratation correcte. Le repos, à domicile, permet de surcroît de ne pas contaminer d’autres personnes.

Le traitement symptomatique

Lorsque la maladie est contractée, le traitement cible avant tout les symptômes de la grippe.

→ On aura notamment recours aux antipyrétiques, utilisés en première intention, afin de combattre la fièvre et les multiples douleurs : paracétamol, aspirine ou anti-inflammatoires non stéroïdiens (ibuprofène) peuvent être préconisés. On préfèrera le paracétamol, qui provoque moins d’effets secondaires.

La posologie du paracétamol sera de 60 mg par kilo et par jour pour les nourrissons et les enfants, à répartir en quatre doses séparées au minimum par un intervalle de six heures. Les adultes prendront 1 gramme de paracétamol toutes les six heures.

S’agissant de l’aspirine, elle ne doit pas être administrée chez l’enfant sans avis médical, en raison du risque de survenue de maladie rare mais grave (syndrome de Reye). Par ailleurs, l’aspirine doit être très prudemment prescrite chez l’adulte présentant un antécédent d’ulcère, d’asthme, d’insuffisance rénale, etc. La dose maximale pour l’aspirine sera, elle, de 1 gramme, trois fois par jour. Pour l’ibuprofène, la dose maximale autorisée pour un adulte est de 1 200 mg par jour, répartis en trois prises.

→ Des antitussifs peuvent être indiqués en cas de toux sèche, et des fluidifiants en cas de toux productive.

→ La vitamine C peut également être conseillée afin d’accélérer le rétablissement.

→ Le traitement antibiotique n’est pas systématique, en prévention d’une infection bactérienne, mais il est fonction du tableau clinique et de l’évolution clinique.

Dans les cas de surinfections bactériennes (otites, sinusites, pneumopathies bactériennes), une antibiothérapie adaptée devra être proposée. On fera préférentiellement appel à une bêtalactamine en l’absence de contre-indication, ces antibiotiques étant actifs sur les germes habituellement rencontrés dans les surinfections de grippe.

→ Concernant les patients considérés « à risque de complications de la grippe », et notamment les personnes âgées, les mesures générales sont importantes. Elles visent notamment à éviter ou contrôler une décompensation d’une pathologie sous-jacente. À une bonne hydratation et aux antipyrétiques, on pourra associer la prévention des complications du décubitus de type phlébite (par les anti-thrombotiques de type héparine de bas poids moléculaire – HBPM), ainsi qu’une kinésithérapie respiratoire.

Le traitement spécifique :les antiviraux

On dispose de molécules qui agissent en empêchant la réplication du virus : les traitements antiviraux. Cependant, leur utilisation est limitée : ils peuvent être utilisés chez les personnes fragilisées ou présentant un tableau clinique sévère.

→ On retrouve principalement deux classes d’antiviraux :

• les amantadanes (amantadine et rimantadine), antiviraux « historiques » contre la grippe, ne sont efficaces que contre les virus de type A. Même si ce médicament présente l’avantage d’être peu onéreux, son utilisation est limitée en raison de l’émergence rapide de souches résistantes et de risques d’effets secondaires tant au niveau digestif que neuropsychiatrique (délires et convulsions survenant surtout à forte dose chez les personnes âgées) ;

• les inhibiteurs de la neuraminidase (INA), utilisés depuis 1999. Les neuraminidases sont les protéines de surface des virus grippaux. Les INA vont ainsi cibler la neuraminidase virale des virus de type A et B et empêcher la libération de nouveaux virions. On retrouve notamment le zanamivir (Relenza) et l’oséltamivir (Tamiflu). L’oséltamivir s’administre par voie orale à raison de deux prises par jour pendant 5 jours. Le zanamivir est, lui, utilisé en inhalation, deux fois par jour pendant 5 jours. Mais il peut être à l’origine de bronchospasmes après inhalation qui doivent alors conduire à l’arrêt de son utilisation.

→ Pour être efficace, les antiviraux doivent être administrés très tôt : dans les 48 heures suivant le début de l’apparition des symptômes grippaux. Ils permettent de diminuer la durée et l’intensité des symptômes, ainsi que de réduire le risque de complications chez la personne fragilisée. Mais les traitements par antiviraux ne remplacent pas la vaccination contre la grippe.

Dans son avis du 3 mars 2015 relatif à la priorisation de l’utilisation des antiviraux en situation d’épidémie de grippe saisonnière, le Haut conseil de la santé publique (HCSP) rappelle les recommandations d’utilisation ciblée des antiviraux (INA). Et, en cas de situation de contingentement de ces antiviraux, le HCSP recommande que leur prescription chez les personnes âgées de plus de 65 ans ne soit pas systématique, mais soit appréciée au cas par cas.

SANTÉ PUBLIQUE

Un virus sous surveillance

Du fait du grand nombre de personnes atteintes chaque année et des complications parfois fatales de la maladie, la grippe constitue une problématique majeure de santé publique.

→ Aussi, la grippe fait l’objet d’une vigilance importante qui est coordonnée par l’Institut national de veille sanitaire (InVS) et qui a pour objectifs généraux :

– la détection du début et de la fin de l’épidémie ;

– le déroulement chronologique de la maladie ;

– l’identification et le suivi des souches circulantes ;

– l’évaluation des mesures de contrôle (vaccination).

→ Cette veille repose sur :

– des réseaux de médecins généralistes libéraux via le réseau « Sentinelles » et le réseau des Groupes régionaux d’observation de la grippe (Grog) ;

– le suivi des passages aux urgences et des hospitalisations, ainsi que les cas graves hospitalisés en réanimation ;

– le suivi des décès pour grippe clinique ;

– l’identification des foyers d’infections respiratoires aigües en collectivités de personnes âgées ;

– le suivi virologique de la grippe assurée par les Centres nationaux de référence (CNR) des virus influenza ;

– les données issues du site grippenet.fr qui fournit des informations sur la grippe obtenues directement à partir de la population chez des personnes ne consultant pas de services de soins ;

– la veille internationale.

MODE D’EMPLOI

LE TEST DE DÉPISTAGE RAPIDE

Les tests de dépistage rapide de la grippe sont également appelés « tests rapides d’orientation diagnostic de la grippe (TROD).

→ Objectif : il s’agit d’identifier rapidement une maladie grippale, notamment chez les patients à risque de complications. Ces tests vont orienter la décision d’utiliser ou non des antiviraux, et éviter une administration inutile d’antibiotiques. On cherche également à dépister des patients atteints au sein d’une collectivité (type Ehpad) afin de pouvoir mettre en place des mesures de prévention dans les plus brefs délais.

→ Principe : les tests permettent la détection de la présence des virus A et B de la grippe chez des patients (adultes et enfants) après recueil d’un échantillon des sécretions naso-pharyngées. Leur principe est basé sur des réactions immunologiques : les antigènes présents sur les virus sont détectés à l’aide de réactifs composés d’anticorps spécifiques. Ces tests peuvent être réalisés par des médecins ou sous leur responsabilité par un autre professionnel (arrêté du 11 juin 2013).

→ Réalisation : lors de la réalisation du prélèvement, il est indispensable de respecter les mesures d’hygiène : le préleveur devra se désinfecter les mains par friction avec un soluté hydroalcoolique ou par lavage avec un savon antiseptique. Il veillera à protéger sa tenue, à porter un masque de soins, des gants à usage unique et des lunettes afin d’éviter de se contaminer lui-même. Plusieurs types de prélèvements sont possibles : écouvillonnage nasal, de gorge ou nasopharyngé, lavage nasal ou nasopharyngé, ou aspiration nasale ou nasopharyngée.

Une fois le prélèvement réalisé, il convient de suivre la procédure du test choisi. Il existe une vingtaine de tests disponibles sur le marché français. Tous ont un mode d’emploi simple, mais il convient de lire attentivement la notice avant leur réalisation. Le résultat du test est obtenu dans un délai maximal de 30 minutes.

→ Interprétation du test : afin d’optimiser la sensibilité du test, il est recommandé de le réaliser dans les 48 heures suivant l’apparition des premiers signes cliniques de la grippe. Un résultat positif signifie que le patient présente une grippe A ou B. Les « faux positifs » sont rares, mais peuvent exister durant les périodes de basse circulation du virus. En revanche, un résultat négatif n’exclut pas que le patient soit infecté par le virus A ou B. En effet, les cas de résultats « faux négatifs » existent. Selon les cas, on pourra réaliser un test de confirmation diagnostique au laboratoire.

À SAVOIR

Il ne faut pas confondre grippe saisonnière et grippe aviaire.

→ La grippe aviaire est une maladie due aux virus influenza de type A qui touchent les oiseaux. Ces virus aviaires se transmettent entre volatiles.

→ Cependant, depuis une quinzaine d’années, de rares cas d’infections humaines avec un virus aviaire ont été identifiées. Ces infections chez l’homme font suite à des contacts directs et étroits avec des volatiles infectés. Une transmission interhumaine a très rarement été signalée.

→ Le vaccin contre la grippe saisonnière n’a pas d’efficacité pour prévenir la grippe aviaire.