L'infirmière Magazine n° 365 du 01/11/2015

 

AUTOTESTS VIH

ACTUALITÉS

REGARDS CROISÉS

FLORENCE RAYNAL  

Depuis le 15 septembre, des autotests VIH sont vendus sans ordonnance en pharmacie. Élargissant l’accès au dépistage, ce nouvel outil devrait contribuer à libérer la parole sur le sida et faire avancer la prévention et le soin.

Julie Langlois « Amener les infirmières à parler plus ouvertement de prévention »

Comment réagissent les professionnels de santé à l’arrivée des autotests ViH en pharmacie ?

L’accueil est globalement bon. Les autotests sont perçus comme un outil de dépistage et de prévention complétant utilement la panoplie existante. Certains soignants restent, certes, plus attachés à un dispositif très encadré médicalement, mais la plupart considèrent indispensable de faciliter le dépistage. L’important est de ne laisser personne seul face à un résultat positif. À cette fin, le dispositif d’écoute géré par Sida info service fonctionne 24 heures/24, ce qui est souligné dans la notice, et nous comptons sur les pharmaciens pour détailler la marche à suivre. La plus forte réserve tient en fait au coût élevé [NDLR, 28 euros] de ce test d’orientation diagnostic, qui en limite l’accès.

Les mineurs peuvent acheter seuls un autotest ViH en pharmacie. n’est-ce pas problématique ?

La SFLS estime, en accord avec la HAS, que c’est au pharmacien d’évaluer la capacité du patient à effectuer un test seul. Par défaut, l’idéal est d’inciter le mineur à consulter un médecin ou à se faire dépister en CDAG(1). Mais s’il insiste et s’il existe un vrai risque, mieux vaut le lui vendre et lui expliquer ce qu’il doit faire. Nous avons développé cela avec précision dans nos fiches de formation à l’intention des pharmaciens. Ceux-ci pensent notamment que des demandes d’autotests pourraient émaner des jeunes filles, nombreuses, qui viennent leur acheter la pilule du lendemain.

Concrètement, quel sera l’impact des autotests sur les pratiques soignantes, en particulier infirmières ?

La vente des autotests pourra amener les infirmières à parler plus ouvertement de prévention du VIH avec leurs patients puisque cette simplification du dépistage renforce la possibilité d’autoprévention de chacun. Ce sont surtout les libérales qui verront le sujet évoqué : par certains de leurs patients qui auront fait un autotest, par des pharmaciens… Elles pourront peut-être aussi être des accompagnatrices, dispenser des conseils, donner de l’information, par exemple, sur les tests de confirmation. Améliorer l’accès au dépistage devrait libérer un peu la parole sur le VIH et fluidifier les relations entre pharmaciens d’officine, infirmières et médecins de ville.

Les pharmaciens sont-ils tous prêts à jouer le jeu ?

La prévention entre dans leurs missions et ils sont très demandeurs de formation. Ce nouvel outil va leur permettre de parler du VIH avec les patients, mais il leur offre aussi une belle opportunité d’amorcer d’autres sujets liés à la santé sexuelle : IST, contraception… Néanmoins, toutes les pharmacies ne commanderont pas d’autotests. Malgré son coût élevé pour le patient, ce produit n’est pas rentable pour le pharmacien, et ce, d’autant plus que l’accompagnement au diagnostic VIH prend du temps. Pour les soutenir, la SFLS contribue à leur formation en partenariat avec l’Ordre des pharmaciens. Nous avons ainsi conçu divers supports, dont un module de e-learning. Mais la première attente est qu’ils soient à l’écoute et fassent preuve d’empathie vis-à-vis du client.

Nelly Reydellet « le coût des tests va écarter les plus précaires »

Que vont apporter les autotests à une association de lutte contre le sida comme le Kiosque ?

Au Checkpoint – le centre du Kiosque situé dans un quartier très fréquenté par les gays parisiens –, nous faisons du dépistage rapide médicalisé avec un binôme médecin-infirmière depuis 2010. Or, nous avons constaté qu’un tiers des personnes dépistées étaient en primo-infection ou infection récente. Cela rend caduque le discours selon lequel il faut attendre 3 mois pour effectuer un test. Cela signifie également qu’il y a lieu de se focaliser non sur la dernière prise de risque, mais sur la fréquence des dépistages. Grâce aux autotests, ceux qui prennent régulièrement des risques pourront accroître cette fréquence en réalisant, par exemple, un test sur deux à domicile. Nous veillerons en effet au maintien du lien pour qu’en cas de test positif, nous puissions leur permettre de bénéficier très vite d’un traitement.

Les autotests permettront-ils de toucher les publics les plus concernés ?

Le coût des tests va écarter les plus précaires, dont les migrants. Il a été annoncé que les associations pourraient, à terme, bénéficier d’autotests gratuits, mais rien n’est sûr. Au Kiosque, cela pourrait notamment servir aux étudiants gays parfois peu argentés. En province, où l’offre de dépistage est plus réduite, les autotests peuvent aussi intéresser certains publics. Mais il en est un surtout pour qui cela va changer la donne : les hommes hétérosexuels qui fréquentent des lieux de rencontres extérieurs(1) pour avoir des rapports avec d’autres hommes sans se définir comme gays. Cette population se dépiste peu malgré des risques élevés de transmission et reste difficile à atteindre.

Le rôle de l’infirmière va-t-il évoluer ?

Seul le discours de prévention des infirmières en laboratoire, en santé publique ou libérales devrait évoluer puisqu’il s’agit désormais d’inciter les personnes à se faire dépister sans s’arrêter sur la date de la dernière prise de risque et d’évoquer l’existence des autotests. Il faut insister sur le fait que plus les personnes se font dépister tôt, plus elles bénéficient de traitements tôt, et que si la charge virale devient indétectable(2), elles ne sont plus contaminantes. Le dépistage permet donc de protéger sa santé, mais aussi celle des autres.

L’accès aux autotests VIH pourrait-il être le prélude à la mise à disposition de tests semblables pour les hépatites ou les IST ?

Le Kiosque y est très favorable. Il vient d’ailleurs de mener une recherche visant à tester la faisabilité et l’acceptabilité d’un triple dépistage VIH-VHB-VHC par test rapide(3). Les résultats ne sont pas encore publiés, mais le dispositif a bien fonctionné. Malheureusement, la machine réglementaire est longue à se mettre en route : le lancement des autotests VIH a lui-même été décalé plusieurs fois. Nous nous réjouissons cependant de la création par la loi de santé des Cegidd(4). Ces centres de santé sexuelle devraient regrouper toute l’offre actuelle : prévention, dépistage, traitements, contraception, et permettre à chacun de construire sa propre stratégie de prévention.

1- Centre de dépistage anonyme et gratuit.

1- Forêts, parkings, aires d’autoroute…

2- À condition que la personne suive un traitement depuis au moins 6 mois, ait une très bonne observance et pas d’IST.

3- Recherche en soins courants ANRS SHS154 Cube.

4- Centres gratuits d’information, de dépistage et de diagnostic, qui remplaceront les CDAG et les Ciddist à partir de 2016.

JULIE LANGLOIS

SECRÉTAIRE DE LA COMMISSION MÉDICAMENTS-PHARMACIENS, SOCIÉTÉ FRANÇAISE DE LUTTE CONTRE LE SIDA (SFLS)

→ 2005 : doctorat de pharmacie (Paris 5)

→ 2013-2015 : Pharmacienne à St-Antoine (AP-HP). Coordination des travaux sur la formation des pharmaciens à la dispensation d’autotests VIH à la SFLS

→ 2015 : DU « Éducation thérapeutique du patient » (Paris Sud 11)

NELLY REYDELLET

CHEF DE SERVICE, LE KIOSQUE INFOS SIDA & TOXICOMANIE (GROUPE SOS)

→ 2010 : DE infirmier

→ 2010-2012 : IDE à Montpellier et Paris

→ 2013 : Master 2 « Direction des établissements de santé » (Inseec Paris)

→ Depuis 2013 : Chef de service au Kiosque. Encadrement de l’équipe pluridisciplinaire et coordination du projet de recherche ANRS Cube

POINTS CLÉS

→ Enjeux. En France, on estime à 150 000 le nombre de personnes vivant avec le VIH. Parmi elles, 30 000 seraient contaminées sans le savoir. Une étude américaine évalue que le taux de transmission du VIH est de 3 à 7 fois plus élevé dans les populations ignorant leur séropositivité, que dans celles connaissant leur infection.

→ Tests rapides. Depuis le 15 septembre, la vente des autotests VIH est autorisée dans les pharmacies ou sur leur site Internet, y compris aux mineurs, sans prescription médicale. Leur coût est d’environ 28 euros. En 2010, un arrêté du 9 novembre avait déjà permis l’usage de tests rapides à orientation diagnostique (TROD) par des acteurs non médicaux.

→ Mode d’emploi. L’utilisateur effectue son test seul et obtient son résultat en 15 minutes. La fiabilité maximale du test est atteinte 3 mois après la prise de risque. En cas de résultat positif, un test de confirmation doit être effectué en laboratoire. Les utilisateurs peuvent obtenir des conseils en contactant Sida info service au 0 800 840 800 (appel confidentiel, anonyme et gratuit, 24 h/24).

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