L'infirmière Magazine n° 365 du 01/11/2015

 

FORMATION

BONNES PRATIQUES

LÆTITIA QUIQUENPOIS  

Durant leurs trois années de formation, les ESI doivent effectuer a minima 60 semaines de stage. Objectif : acquérir progressivement les compétences nécessaires à l’exercice de leur fonction. Un parcours parfois semé d’embûches.

Le parcours de stage en Ifsi répond avant tout à la réglementation définie par le programme de formation officiel. Au cours de leurs trois années de formation, les étudiants infirmiers doivent avoir réalisé des stages dans quatre domaines différents : les soins de courte durée, les soins de longue durée et soins de suite et réadaptation, les soins en santé mentale et en psychiatrie, et les soins individuels ou collectifs dans les lieux de vie. Objectif : confronter les étudiants au terrain afin de leur permettre d’acquérir progressivement différentes compétences professionnelles.

Des lieux de stage conformes

Le rôle du coordinateur de stage, sous couvert du directeur de l’Ifsi, est de vérifier la conformité des différents lieux de stage. Ceux-ci doivent répondre à des critères de qualité afin d’être retenus et identifiés comme terrain de stage apprenant pour les étudiants.

→ Les ressources humaines doivent être qualifiées et en nombre suffisant pour accueillir et encadrer des stagiaires. Des ressources matérielles doivent être à la disposition des étudiants et leur être présentées en début de stage.

→ Le livret d’accueil et d’encadrement élaboré par chaque lieu de stage permet d’éclairer le stagiaire sur les spécificités du service ou de la structure, sur les situations de soins qu’il rencontrera, sur les éléments de compétence qu’il pourra acquérir, sur les modalités de l’encadrement qu’il aura et enfin sur le fonctionnement de la structure. C’est un document utile à l’Ifsi pour élaborer le parcours de stage des étudiants. Il est également un outil nécessaire pour le tuteur de stage : aide à l’élaboration des objectifs de stage, planification/organisation de l’encadrement, évaluation intermédiaire et finale de l’étudiant. Ce livret d’accueil et d’encadrement n’est malheureusement pas toujours réalisé ou réactualisé dans certaines structures étant donné que les cadres et les équipes sont souvent happés par d’autres priorités.

Double regard

Dans l’Ifsi de Villeneuve-Saint-Georges (94), l’élaboration du parcours de stage est conjointement réalisée par la coordinatrice de stage et le formateur référent pédagogique de la promotion concernée. Ce double regard permet de croiser les différents points de vue, attendus et contraintes.

→ Le référent pédagogique connaît l’étudiant, sa progression, ses acquis, ses éventuelles difficultés pédagogiques ou personnelles, son rythme d’acquisition, ses attentes, son projet professionnel. Le choix du stage à venir se fera essentiellement à partir de ces éléments, et plus particulièrement au regard des compétences qu’il a déjà acquises ou non.

→ La coordinatrice de stage a une connaissance des spécificités des différents lieux de stage et maîtrise l’offre de places. Certains lieux de stage ne permettent pas d’acquérir l’ensemble des compétences, tandis que d’autres – très spécifiques – développent préférentiellement certaines compétences (éducation à la santé, éducation thérapeutique du patient, soins d’urgences,…).

Des places en baisse

Le contexte actuel est assez difficile en termes d’offre de stages infirmiers. Les différentes restructurations au sein des hôpitaux, les fermetures de lits ou de services, les effectifs infirmiers à flux tendu, sont autant de facteurs qui ont contribué à diminuer l’offre de places de stage. La grande difficulté est de collecter suffisamment de places de stage qualifiant pour l’ensemble des étudiants. Cette logique comptable peut avoir pour écueil de vouloir convaincre les responsables de stage de prendre davantage d’étudiants infirmiers, au risque de surcharger les équipes et amoindrir la qualité de l’encadrement. Ainsi, l’élaboration d’un parcours de stage va se confronter à des logiques différentes : celles de l’étudiant, celles du formateur référent, celles du coordinateur de stage et celles des professionnels de terrain.

À chaque année son objectif

Dans notre Ifsi, nous attribuons des stages en Ehpad (établissement d’hébergement pour personnes âgées dépendantes), de préférence aux étudiants infirmiers de 1re et 3e année avec des objectifs différents.

Des soins quotidiens…

Au regard du programme de formation, les étudiants de 1re année doivent développer en priorité la compétence 3(2). Dans les Ehpad, les soins étant majoritairement des suppléances aux actes de la vie quotidienne, les étudiants vont donc développer cette compétence. D’autre part, ils sont le plus souvent novices dans les soins. Ils n’ont pas ou peu d’acquis à transférer ; or, tout nouvel apprentissage est laborieux, et nécessite une répétition des gestes et si possible un environnement stable. Lors d’une séance de bilan de stage, Sophie, étudiante en 1re année, explique : « J’ai pu prendre en charge deux résidents pendant toute la durée de mon stage, je passais beaucoup de temps avec eux, on peut dire que je les connaissais bien. Un jour le médecin est même venu me demander des renseignements sur une de mes patientes. » Une de ses camarades lui répond alors : « Tu as de la chance. Moi, j’étais en chirurgie et les malades restaient au maximum 5 jours, ça changeait tout le temps et j’ai dû refaire mes démarches de soins souvent. » Le faible turn-over des résidents leur permet donc de prendre un charge le même groupe de personnes durant la totalité du stage et, ainsi, de faire des progrès.

… À la prise en charge globale

L’affectation d’étudiants infirmiers de 3e année en Ehpad leur permet de développer d’autres compétences, ce que les étudiants ne perçoivent pas de prime abord. Ils devront assurer la prise en charge globale d’un grand groupe de résidents, nécessitant des capacités organisationnelles, des connaissances sur la sénescence et les pathologies de la vieillesse. Alexandra en témoigne : « Lorsque je suis arrivée le premier jour en stage, j’ai suivi l’infirmière toute la journée et, le lendemain, elle m’a dit : « Bon, tu vas rester à t’occuper de tout le 1er étage. Je passerai te voir de temps en temps, mais surtout n’hésite pas à me demander si tu as un problème. » Alexandra explique qu’elle s’est sentie anxieuse les premiers jours, mais qu’elle a ensuite eu le sentiment de « relever le défi ». Elle a appris à travailler en binôme avec les aides-soignantes – les professionnelles les plus représentées dans ces structures – et à mieux cerner le travail en collaboration avec les aidants naturels. Les étudiants nous relatent le sentiment d’avoir été considérés comme de vrais professionnels, ayant de plus grandes responsabilités, et d’avoir fait partie intégrante de l’équipe. Ils reconnaissent avoir ressenti du stress en début de stage, mais se sentent ensuite valorisés d’avoir « tenu le service » comme ils disent et d’avoir été en capacité, à quelques mois du diplôme, d’assumer leurs futures responsabilités professionnelles. Ce fut le cas de Medhi, étudiant en fin de 3e année qui, au dernier trimestre, se sent en perte de confiance après un stage dans un grand centre de cancérologie. Le choix du stage de fin de formation est laissé à l’initiative des étudiants et les démarches se font dès le début de 3e année. Medhi avait envisagé un service de cardiologie pour affiner ses habiletés dans la gestion des actes techniques. À quelques semaines du dernier stage, il demande à ses formatrices référentes de changer pour rejoindre un Ehpad. Sa demande est entendue, il ira faire ce stage en unités de soins de longue durée (USLD). Durant 7 semaines, il gèrera, avec l’infirmière, 46 personnes âgées dépendantes. Ce stage lui aura permis de reprendre confiance en lui, s’étant prouvé qu’il était tout à fait capable d’assurer les tâches et les missions attendues chez un infirmier débutant.

Des stages plus longs

Depuis 2009, la durée des stages a été augmentée à 10 semaines (hormis le premier stage qui dure 5 semaines) afin de limiter la démultiplication du nombre de stages au profit d’une durée plus longue permettant l’approfondissement des apprentissages et une vision de l’exercice professionnel dans son intégralité. Malheureusement, l’offre de places de stage n’est pas toujours en adéquation avec cette logique pédagogique. Nous devons donc repenser un parcours de stage cohérent lorsque les structures de soins nous proposent des périodes de 5 semaines seulement. D’autre part, les étudiants ne saisissent pas toujours l’intérêt d’une période de stage aussi longue et souhaitent, le plus souvent, démultiplier le nombre de stages, persuadés qu’ils ne pourront pas pratiquer et diversifier leurs actes et activités. Mélanie s’inquiète : « Je n’ai fait qu’un stage de chirurgie en 1re année. Je n’ai encore jamais posé de perfusion et je suis en 3e année ! ». Avis parfois partagé par des acteurs de terrain : « Vous vous rendez compte, elle (l’étudiante infirmière de 2e année) a fait deux stages de 10 semaines : un en Ehpad et l’autre en psychiatrie. Alors, forcément, elle ne sait rien faire. » Cette vision simpliste réduit l’infirmière à une dispensatrice de soins techniques. Or, nos besoins de santé actuels font appel à des infirmières davantage formées aux actes de santé primaire, c’est-à-dire plus centrées sur les soins de prévention, d’accompagnement, d’écoute, de relation d’aide et d’éducation thérapeutique. Ce qui demande à l’infirmière d’être dans une démarche réflexive et de s’appuyer sur son raisonnement clinique. Un stage suffisamment long peut davantage aider l’étudiant à approfondir la notion de prise en charge globale à moyen ou long terme.

La question de l’évaluation

En revanche, repenser le parcours de stage sur la structure ou le pôle, afin d’élargir les compétences et suivre le parcours de soin du patient, est tout à fait envisageable. Le premier obstacle à surmonter est de savoir qui fera l’évaluation finale du stagiaire ? Certains terrains de stage nous demandent deux feuilles d’évaluation de stage pour un étudiant qui a réalisé un stage dans le même service, mais 5 semaines en horaire de jour et 5 semaines en horaire de nuit. Une étudiante de 3e année commente ses deux feuilles de stage : « C’est incroyable, j’ai acquis des éléments de compétence en première période de stage et ensuite, on m’a mis des “À améliorer” alors que je m’occupais des mêmes patients et que j’appliquais les mêmes protocoles. » Il faudrait alors repenser la place et le rôle du tuteur de stage, qui serait référent d’un pôle ou d’une structure et non simplement d’un service(3).

Le parcours de stage n’est pas uniquement l’affaire de l’Ifsi ou du terrain de stage. Il doit être organisé en concertation avec les différents acteurs afin de répondre à une question essentielle : où veut-on emmener l’étudiant ? Veut-on faire de lui un infirmier réalisant des actes ou un praticien réflexif, capable de transférer ses acquis à de nouvelles situations, c’est-à-dire être compétent, qui n’est pas autre chose que savoir agir en situation.

1- Arrêté du 31 juillet 2009 relatif au diplôme d’État d’infirmier ; arrêté du 26 septembre 2014 modifiant l’arrêté du 31 juillet 2009, instruction du 26 septembre 2014 relative aux stages en formation infirmière.

2- Compétence 3 : « Accompagner une personne dans la réalisation de ses soins quotidiens ».

3- Instruction DGOS/RH1 n° 2014-369 du 24 décembre 2014 relative aux stages en formation infirmière.

RATTRAPAGE

Un stage complémentaire pour Adrien en milieu d’année

→ Adrien entre en formation en septembre 2011. Il effectue un stage de 5 semaines en Ehpad, puis un stage de 10 semaines aux urgences porte. Il montre de l’intérêt, mais doit progresser sur l’hygiène, la rigueur, l’organisation et l’assiduité.

→ Il redouble sa 1re année, ses résultats théoriques étant insuffisants. Durant cette nouvelle année, il démontre une faible implication et semble peu motivé. Comme il a validé ses stages de 1re année, il n’a pas obligation de refaire l’ensemble de ses stages.

→ Les étudiants qui ont redoublé effectuent un stage complémentaire, le plus souvent, d’une durée de 5 semaines. Il est réalisé en milieu d’année, afin d’éviter une trop longue période sans pratique professionnelle. Adrien fait donc un stage de 5 semaines en psychiatrie début 2013, et vient ponctuellement à l’Ifsi pour assister aux cours et travaux dirigés des unités d’enseignement (UE) qu’il n’a pas validées.

→ Il passe en 2e année en septembre 2013. Il effectue deux stages de 10 semaines, le premier en pneumologie et le second en chirurgie ORL et ophtalmologie. En bilan de fin d’année, il ressort qu’Adrien a amélioré ses résultats théoriques, mais ses acquis en stage demeurent insuffisants. La réalisation d’un seul stage lors de son redoublement peut expliquer ses difficultés.

→ Son dossier est présenté en conseil pédagogique et en CAC(1). Les membres du conseil estiment qu’un stage de rattrapage d’une durée de 6 semaines est nécessaire. Il est programmé sur la période des vacances d’été, Adrien n’aura que 2 semaines de vacances scolaires avant de poursuivre sa 3e année de formation. La directrice de l’Ifsi et sa référente pédagogique lui exposent l’intérêt de ce stage de rattrapage. Adrien accepte cette proposition et comprend alors qu’il doit saisir cette opportunité pour démontrer sa motivation à devenir infirmier. Il réalisera lui-même que ces 6 semaines de stage en cardiologie lui auront permis de reprendre confiance en lui, d’approfondir ses connaissances et les mettre en pratique.

→ Il effectue ensuite une 3e année de formation avec des résultats théoriques satisfaisants et des évaluations de stage mettant en exergue son dynamisme, son sérieux et sa capacité à prendre en charge un groupe de patients.

→ Adrien obtient son diplôme en juillet 2015.

1- Commission d’attribution des crédits.