Robert Holcman Directeur d’hôpital, docteur en sciences de gestion et habilité à diriger des recherches
EXPRESSION LIBRE
Il est souvent affirmé par les promoteurs de la légalisation de l’euthanasie que cette dernière formerait le stade ultime de l’autonomie de la personne, de toutes les personnes. Or, les mécanismes de l’imitation, que l’on observe déjà dans tous les autres domaines de la vie, font douter de cette affirmation. Ces derniers conduisent à s’interroger sur l’autonomie du consentement. Le consensus social influence les demandes de mort anticipée, a fortiori puisque jamais sans doute l’opinion générale n’aura eu autant d’influence sur nous, via un système médiatique développé et omniprésent. La tentation serait forte de s’approprier les marqueurs sociaux de la bonne mort, au premier rang desquels viendrait la possibilité de choisir le moment de son accomplissement : mourir « avec du sens » reviendrait à élever au final sa condition pour assimiler sa vie à celle de ceux qui font l’histoire… ou contribuent à l’air du temps.
De même que des gens modestes finissaient au bout d’une vie d’efforts acharnés à se faire ériger un monument funéraire les plaçant au-dessus de leur condition, les titulaires d’une vie ordinaire, souvent les moins armés socialement pour prendre du recul vis-à-vis d’une imprégnation culturelle alimentée par des leaders d’opinion, pourraient être tentés de s’approprier l’aspiration à une mort exemplaire.
Aussi éphémère, sujette à caution et critiquable que cette « gloire » puisse apparaître, il se pourrait qu’elle devienne très attractive pour beaucoup d’entre nous, familiarisés à suivre le mouvement des idées et des comportements. Une éventuelle légalisation du droit à mourir risquerait donc d’entraîner dans son sillage une régression collective, un accroissement des inégalités, en soumettant les moins armés socialement à une pression à l’abrègement de leur existence cependant que les plus nantis s’offriraient une vie prolongée. Les plus modestes en viendraient à se persuader qu’en souscrivant à la nécessité de l’euthanasie - présentée comme un attrait - ils s’offriraient le suicide de Sénèque et s’élèveraient ainsi à la condition de ceux à qui l’on veut ressembler.
Désormais désireux d’imiter la fin supposée glorieuse des élites, les plus modestes et les plus vulnérables en viendraient à « choisir » une mort anticipée, quand - dans le même temps - le privilège d’une vie de plus en plus longue serait réservé à ces mêmes élites. D’ores et déjà, l’espérance de vie et l’espérance de vie sans incapacité est plus longue pour les catégories favorisées. L’envie suscitée par les pratiques supposées d’une classe, le désir de s’y assimiler en l’imitant, établiraient un nouveau marqueur de distinction sociale, le plus terrible - puisque fondé sur la pérennité de l’existence elle-même - et le plus injuste : ce sont ceux qui promeuvent l’euthanasie qui, de fait, sont les moins susceptibles d’y être exposés.
1 - Auteur de Inégaux devant la mort « Droit à mourir » : l’ultime injustice sociale, Éd. Dunod, sept. 2015, 208 p., blog : www. robertholcman.net