L'infirmière Magazine n° 365 du 01/11/2015

 

LAITS INFANTILES

DOSSIER

Compte-tenu des enjeux de santé publique, la promotion des substituts du lait maternel devrait être encadrée comme celle des médicaments. Une pratique encore largement ignorée en France.

Toutes proportions gardées, je fais un parallèle entre la situation de l’allaitement maternel et l’affaire du Mediator, observe André Marchalot, pédiatre fraîchement retraité et consultant en lactation. Certes, c’est moins dramatique, mais il y a quand même des questions à se poser sur la gestion de ce sujet de santé publique et les intérêts économiques en jeu. » Depuis 1981, un code international de commercialisation des substituts du lait maternel a été élaboré par l’OMS, l’Unicef et l’Assemblée mondiale de la santé, dont la France est membre. L’objectif est de s’assurer que les stratégies commerciales des fabricants de laits en poudre ne découragent pas la pratique de l’allaitement maternel, celui-ci étant reconnu comme le mode d’alimentation le plus adapté au bébé. L’enjeu est d’importance dans les pays en développement où l’usage de ces produits est porteur de nombreux risques liés à la mauvaise qualité de l’eau utilisée pour leur reconstitution ou à une préparation impropre des biberons (dilution excessive, mélange avec d’autres produits, etc.). À tel point qu’à la fin des années 90, l’OMS estimait que 1,5 millions de nourrissons perdaient la vie chaque année pour ne pas avoir été convenablement allaités.

Les interdictions contournées

En France, même si les risques sont moindres, le code devrait également s’appliquer. Pourtant, une infime partie a été transposée dans notre législation. « La France a attendu que le code soit partiellement repris dans une directive européenne, avant de l’intégrer dans sa législation en 1994 », ironise Marc Pilliot, pédiatre à Roubaix et chargé de communication pour l’Initiative hôpital ami des bébés(1). À l’arrivée, seules les dispositions interdisant la publicité pour le lait premier âge auprès du grand public et le don d’échantillons gratuits en maternité sont conservées, ainsi que les dispositions concernant la présentation des produits (étiquetage, mentions affichées, etc.).

Or, outre l’encouragement et la protection de l’allaitement au sein, le code international comporte des spécifications concernant les liens des professionnels et établissements de santé avec les industriels proches de celles qui concernent la promotion du médicament. Ainsi, l’information délivrée devrait « se borner aux données scientifiques et aux faits » et les fabricants ou distributeurs ne devraient pas offrir d’avantages en espèces ou en nature aux professionnels et à leurs familles. Pourtant, plusieurs soignants interrogés au cours de notre enquête ont déjà observé de telles pratiques, à la demande des praticiens eux-mêmes.

La promotion des substituts est également interdite dans les établissements de soins. « Pourtant, les firmes rivalisent de créativité pour être présentes dès les premiers jours de bébé, observe Marie Courdent, puéricultrice de PMI dans le Nord, animatrice à La Leche League et consultante en lactation. Il y a par exemple les protège-carnets de santé, sur lesquels les noms de marque sont présents. Ils accompagnent les enfants jusqu’à l’âge adulte, excellent moyen pour imprimer une marque ou un concept dans leur esprit. »

Enfin, selon deux résolutions prises en 1986 et 1994, par l’Assemblée mondiale de la santé, la fourniture gratuite ou à faible coût de substituts du lait maternel est prohibée. Des dispositions qui ont elles été intégrées dans le code de la consommation et pourraient permettre de mettre fin aux fameux « tours de lait », ces pratiques via lesquelles les industriels versent des subventions aux établissements de santé en fonction du nombre de naissances pour que leurs produits soient officiellement administrés à ceux qui ne sont pas au sein et, surtout, pour se garantir des parts de marché à la sortie de la maternité.

De son côté, Marie Courdent tente d’appliquer la version internationale du code. Dans sa PMI, pas d’affiches ou de sparadraps sponsorisés par un industriel, ni de boîtes de lait gratuites. « Cela n’a pas été facile, se souvient-elle. La promotion de l’allaitement maternel en France ce n’était pas très bien vu dans les années 70/80. Aujourd’hui, l’ambiance s’améliore un peu avec le développement du label Hôpital ami des bébés. » À côté de cela, la professionnelle met un point d’honneur à connaître parfaitement tous les laits disponibles sur le marché. « Car il me faut aussi conseiller adéquatement les mères qui n’allaitent pas, observe-t-elle. Donc nous reçevons les fabricants, je lis et pose beaucoup de questions sur leurs produits. Même si les différences sont infimes, je ne dois pas passer à côté d’une évolution potentiellement utile. »

1- Lancée en 1991, l’initiative Hôpitaux amis des bébés (IHAB) est un projet de l’Unicef et de l’OMS dont l’objectif est de faire en sorte que toutes les maternités, qu’elles soient indépendantes ou situées dans un hôpital, deviennent des centres de soutien à l’allaitement maternel.